lundi 13 mai 2013

Fidèles à l’avenir....

Synode national – Lyon – Mai 2013
Message de Laurent Schlumberger,
Président du Conseil national
 
Frères et soeurs membres du synode national,
Monsieur le Ministre,
Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs les élus, les représentants de la société civile et
des cultes, frères et soeurs d’organisations oecuméniques et d’Eglises-soeurs, venus
d’au-delà des frontières nationales et confessionnelles, frères et soeurs protestants et protestants évangéliques, frères et soeurs venus des paroisses, des Eglises locales, des régions de
l’Eglise protestante unie,
Nous sommes samedi. Entre vendredi et dimanche, qui nous rappellent
le Vendredi saint et le dimanche de Pâques fondateurs. Nous sommes
samedi. Entre l’impasse de la croix, incompréhensible, et des chemins
nouveaux encore impensables.
D’une certaine manière, l’Eglise se tient là. Dans ce samedi, qui
concentre et qui embrasse toute l’histoire humaine. Dans ce samedi, où
les disciples sont introuvables et où seules quelques femmes préparent
un embaumement – un embaumement qui finalement n’aura pas lieu.
L’Eglise est là, dans cet entre-deux, où tout est comme suspendu. Entre
ses espoirs déçus et la promesse déjà à l’oeuvre. Entre repli amer et
confiance possible.
 
Et il lui faut toujours se laisser convertir à nouveau par l’Esprit du Dieu
vivant. Car ce qu’elle croit être une impasse est précisément l’ouverture.
Ce qu’elle tient pour l’échec final est le début de sa mission.
Samedi, c’est chaque jour, lorsque plus rien ne semble possible aux
hommes et que tout est possible à Dieu. Et c’est pourquoi fêter la
naissance de l’Eglise protestante unie de France, ce samedi, ne peut
avoir qu’un sens : remettre toute chose au Dieu vivant, nous confier en
lui, nous abandonner à la confiance qui prend sa source en lui.
La création de l’Eglise protestante unie, c’est l’affirmation de cette
confiance, fondamentale, vitale. Ce n’est pas le fruit de je ne sais quelle
stratégie habile et mûrement calculée. Il ne s’agirait alors que de cette
espèce de fausse confiance, dont on nous rebat les oreilles, qui
s’apparente à la méthode Coué, qu’on invoque dans les salles des
marchés financiers ou dans les écoles de management, qui n’est que la
confiance en soi seul, en ses propres forces et capacités, et donc qui
n’est au fond que méfiance à l’égard des autres.
La confiance dont je parle ici, c’est la confiance dont Dieu a fait le
choix, une fois pour toutes. Et cette confiance choisie par Dieu, pour
nous c’est une confiance reçue, une confiance qui fait vivre, une
confiance qui engage.
C’est une confiance reçue.
Si nous sommes ce que nous sommes aujourd’hui, nous le devons
d’abord à d’autres.
Bien sûr, il ne saurait être question d’oublier tout le travail patient qui
nous a conduits jusqu’à ce samedi 11 mai. L’effort a été multiple ; la
tâche, considérable. L’appel, presque le défi, lancé par la paroisse de
Bourg-la-Reine, repris par le synode de Soissons, confirmé en 2007 lors
du synode conjoint de Sochaux, a été relevé. Relevé par toutes celles et
tous ceux qui s’y sont attelés, depuis les commissions spécialisées
jusqu’aux assemblées générales des associations cultuelles. Et relevé en
temps et en heure.
Mais si nous avons pu mener ce travail à bien, c’est parce que nous
avons été travaillés, plus encore que nous n’avons travaillé. C’est parce
que nous avons « été agis » si je puis dire, plus encore que nous
n’avons agi.
L’Eglise protestante unie est un fruit du mouvement oecuménique. En
1910, la conférence d’Edimbourg a appelé à mettre au premier plan la
mission de l’Eglise et à relativiser du même coup les identités
confessionnelles. En 1934, la déclaration de Barmen a uni des luthériens
et des réformés pour affirmer l’autorité ultime du seul Jésus-Christ, face à
l’idolâtrie nazie ; avec la sève de l’Eglise confessante, elle a irrigué tout
le protestantisme d’après-guerre, notamment en France. En 1948, la
fondation du Conseil oecuménique a placé la recherche de l’unité visible
au coeur de la vie des Eglises. En 1962, le concile Vatican II a montré
combien l’espérance oecuménique pouvait rencontrer d’échos au sein de
l’Eglise la plus importante et la transformer, alors que beaucoup la
pensaient immobile et immuable. En 1973, la Concorde de Leuenberg a
proposé un modèle d’unité fondé non plus sur l’uniformité et la méfiance
à l’égard des originalités, mais au contraire sur la diversité réconciliée.
A travers cette histoire, c’est l’Esprit du Dieu vivant qui est à l’oeuvre.
Nous qui étions loin les uns des autres et parfois même antagonistes,
nous avons été rendus proches. Nous avons fait l’expérience d’être
réconciliés par le Christ, qui est notre paix. En lui, Dieu le premier a fait
e choix de la réconciliation. Il a fait une fois pour toutes, et il tisse à
nouveau chaque jour, le choix de la confiance, le choix de la foi. La foi
de Jésus-Christ, c’est la foi qui nous est donnée.
C’est pourquoi nous attestons qu’il est bon de faire confiance à l’autre.
Nous refusons les postures identitaires. Elles procèdent de la peur et de
l’illusion, la peur de l’autre et l’illusion que l’on pourrait exister sans lui,
voire contre lui.
 
C’est vrai entre chrétiens et c’est pourquoi nous confessons que notre
Eglise et que toute Eglise, est un des visages – un des visages seulement
– de l’unique Eglise du Christ. Et nous nous réjouissons de la pluriappartenance
ecclésiale de certains chrétiens, qui manifestent ainsi que
l’Evangile déborde les limites confessionnelles et les frontières
culturelles.
Nous récusons aussi les postures identitaires dans le champ social. On
peut bien sûr comprendre les racines de ces peurs et de ces illusions, des
racines parfois bien réelles, et si souvent entretenues et
instrumentalisées. Mais on ne saurait se résigner ni à les laisser se
répandre, ni à simplement se désoler de leurs effets néfastes. Nous
avons besoin les uns des autres. Notre société, rongée par la défiance,
a besoin de cette hospitalité fondamentale. Est-ce naïf de le dire ? C’est
au contraire profondément réaliste. Aucun de nous ne serait ici s’il
n’avait été lui-même accueilli, à sa naissance et plusieurs fois dans sa
vie. Ainsi, si nous sommes appelés à vivre une hospitalité confiante,
surtout à l’égard des humiliés, de celles et ceux que l’on désigne si
facilement et à bon compte comme dépendants, incapables, fragiles,
assistés, losers de toute nature, ce n’est pas par devoir ; c’est par
lucidité et par gratitude.
 
La confiance est toujours d’abord reçue. Etant reçue, elle peut donner
naissance à la gratitude et ainsi à la confiance partagée. Célébrer la
naissance de l’Eglise protestante unie, c’est attester cette confiance
reçue. Reçue de Dieu et manifestée en Jésus-Christ.
 
Cette confiance reçue est, ensuite, une confiance qui fait vivre.
Et j’aimerais m’arrêter ici un instant sur les métamorphoses
considérables que vit, en ce moment même, notre protestantisme, et dont
la création de l’Eglise unie est un signe.
 
Depuis son apparition et pendant cinq siècles, être protestant en France,
ce fut ne pas être catholique. Les protestants ont constitué une sorte
d’alternative ultra-minoritaire au culte dominant. C’était pour leur
malheur, en période de persécutions. C’était pour leur fierté, quand ils
étaient identifiés du côté du progrès, de la République ou de la laïcité.
Et ce fut une ressource identitaire inépuisable et, au fond, confortable :
le protestantisme vivait en quelque sorte appuyé contre le catholicisme.
Il a donc développé une manière d’être Eglise adaptée à ce contexte. Il
s’est compris comme un petit troupeau, pour reprendre une image
biblique. Un petit troupeau se serrant les coudes, tissant des solidarités
internes fortes, aimant les marqueurs discrets et perceptibles par les
seuls initiés, vérifiant régulièrement sa fidélité. Cette manière d’être
Eglise, pertinente alors, lui a permis de traverser les épreuves et les
siècles.
 
Mais ce monde a changé. Et même, il a disparu. Les institutions
religieuses sont désormais marginales, les convictions sont
individualisées, les affiliations sont fluctuantes. Depuis 2008, les
personnes agnostiques et athées déclarées sont majoritaires en France.
Le catholicisme, bien sûr, mais aussi l’ensemble cumulé des cultes est de
plus en plus minoritaire. Le protestantisme français ne peut donc plus
exister en s’appuyant contre un autre culte. Il ne faut pas s’en désoler.
C’est ainsi. Et c’est sans doute la chance de trouver une nouvelle
manière d’être Eglise, pertinente dans ce monde-ci.
 

C’est notre grand défi, pour cette génération : intégrer ce renversement
complet de ce que nous avons longtemps été, pour être fidèles
aujourd’hui et demain à l’Evangile que nous avons reçu, à notre
manière de le comprendre et de le partager. Il s’agit, pour notre
protestantisme, de passer de la connivence au partage, de l’entre-soi à
la rencontre, d’une Eglise qui se serre les coudes à une Eglise qui ouvre
ses bras. D’une Eglise de membres à une Eglise de témoins.
 
Cette mutation n’est pas à venir, elle est en cours, nous y sommes déjà
engagés. De multiples signes le montrent, par exemple dans bien des
paroisses qui osent des projets hors les murs, dans le recrutement plus
diversifié des responsables locaux, dans les étudiants de nos facultés de
théologie venus des horizons les plus variés, dans la volonté de
renforcer les liens avec les associations et mouvements d’origine
protestante.
 
C’est encore le sens de la dynamique « Ecoute ! Dieu nous parle…, qui a accompagné le création de l’Eglise unie, et dans laquelle le « nous » ne signifie précisément pas un petit troupeau privilégié, mais le désir d’une écoute partagée – et je vous donne rendez-vous tout à l’heure,
dans le village de tentes sur le quai, pour avoir un aperçu de la richesse de cette dynamique.
 
C’est également le sens du projet qui sera lancé le samedi 11 octobre 

2014 et qui nous conduira jusqu’en 2017, sous le titre : Protester pour
Dieu, protester pour l’Homme. Quelles sont nos thèses pour l’Evangile
aujourd’hui ? Dans la perspective des 500 ans de la Réforme, nous nous
inspirerons de Martin Luther pour nous interroger, tous ensemble et le
plus largement possible : quelles sont nos « thèses », c’est-à-dire nos
convictions engagées, pour l’Evangile aujourd’hui ? Loin de nous
contenter de répéter ce que nos pères dans la foi nous ont transmis,
comment nous approprions-nous l’Evangile que nous avons reçu et qui
nous fait vivre ? Personnellement et collectivement, quels sont nos mots
pour le goûter, le célébrer, le partager ? Comment le manifesterons nous ?
Ce que nous pouvons percevoir dans toutes ces mutations du petit
protestantisme luthérien et réformé français, des mutations plus radicales
que ce que nous pensons souvent, c’est une confiance à l’oeuvre.
 
Une confiance reçue, je l’ai dit, et une confiance qui fait vivre. Autrement dit :
 
une confiance en demain. Oui, demain vaut la peine d’aujourd’hui. Demain vaut la joie d’aujourd’hui.
Demain vaut l’espérance lucide et active d’aujourd’hui.
Les mille raisons – sociales, économiques, financières, écologiques… de considérer l’avenir comme menaçant et, pire encore comme illisible, ne sauraient abattre ceci : celui qui en Jésus-Christ a plongé au coeur de la condition humaine, celui qui a laissé le tombeau vide, celui qui le premier nous fait confiance, nous donne rendez-vous demain. Il nous y précède et il y vient à notre rencontre.
Célébrer la naissance de l’Eglise protestante unie, c’est attester une
confiance reçue. C’est attester une confiance qui fait vivre et qui fera
vivre demain. Et c’est pourquoi, c’est attester une confiance qui engage.
 
Une confiance qui engage – et je terminerai par là.
Nous croyons que Dieu aime le monde. Nous croyons même qu’il… le
« kiffe » ! Non pas qu’il le « kiffe grave », mais qu’il le kiffe en grand,
comme ce sera vécu et fêté fin juillet, à Grenoble, lors du rassemblement
jeunesse de notre Eglise et au-delà ! Et c’est parce que Dieu aime le
monde et ses habitants qu’il s’y est fait connaître comme un serviteur.
 
Au coeur de l’Evangile tel que la Réforme le reçoit, il y a cette
découverte que Dieu vient non pas pour être servi mais pour servir. Pour
nous servir. En Christ, le Dieu vivant se met à nos pieds. La hauteur où
Dieu se trouve, désormais, c’est au ras du sol. Quand nos osons nous
abandonner à ce service renversant, alors nous éprouvons que notre vie
entière est entre ses mains, que ce qui semble humble devient glorieux,
que ce qui est faible devient fort. Par amour, pour rien, par grâce, il
nous dégage de toute fausse valeur, de tout pouvoir, de toute fatalité.
 
Surtout, il nous dégage du souci de nous-mêmes.
 
Et c’est d’être ainsi dégagé de nous-mêmes qui nous engage au service
des hommes. C’est pourquoi l’Eglise protestante unie n’a pas sa fin en
soi, mais dans un renouveau de sa mission, de son service. C’est le motif
pour lequel elle a été créée. C’est la raison pour laquelle nous sommes
ici. La confiance reçue de Dieu, cette confiance qui fait vivre, est une
confiance qui nous engage.
 
Nous voulons donc attester qu’il est bon de servir. Il est bon de servir en
s’engageant dans la prière, qui élargit notre vie aux dimensions de
l’amour de Dieu pour le monde. Il est bon de servir en s’engageant
dans la diaconie, le service social, qui nous rend vulnérables aux autres
et à Dieu. Il est bon de servir en s’engageant dans le témoignage
explicite, qui sème à tous vents les graines du règne de Dieu. Ce sont là
les trois dimensions du service pour lequel Christ nous libère et dans
lequel il nous engage. Et c’est ainsi que nous rendons contagieuse la
confiance que nous avons reçue et qui nous fait vivre.
 
Oui, nous l’attestons, il y a du bonheur à servir les autres, à s’engager
pour eux. Pourtant, tout nous pousse à n’avoir le souci que de soi. Tout,
à commencer par la transformation du moindre événement même intime
en spectacle, ou par l’idéologie du marché quand elle devient une
religion qui imprègne tout et qui fait de mes envies la seule mesure qui
vaille.
 
Mais nous croyons – et bien plus : nous éprouvons – qu’il y a du
bonheur à servir plus qu’à se servir. C’est le service qui tisse patiemment
la confiance
 
Il nous faut le redire d’abord à nous-mêmes : construire la confiance est
le contraire d’un quiétisme béat ; c’est une pratique, c’est un effort, c’est
une lutte, bien souvent contre soi d’abord et contre la méfiance toujours
recommencée ensuite. Il nous faut aussi partager cette conviction et la
rappeler à toutes celles et tous ceux qui exercent une responsabilité
sociale, qu’elle soit politique, en entreprise, médiatique, éducative, que
sais-je encore. Et nous pouvons, précisément à cause de la foi de Jésus-
Christ qui nous est donnée, ne pas craindre de nous engager, nous-mêmes,
dans le champ de la responsabilité sociale.
 
La confiance reçue – et que nous affirmons recevoir de Dieu le premier,
c’est là le coeur de l’Evangile –, la confiance qui nous fait vivre, est une
confiance qui nous engage. Rendre cette confiance contagieuse, c’est
notre vocation. C’est le sens de la création de cette Eglise unie. C’est le
chemin qui lui est ouvert.
 
C’est pourquoi, ce samedi matin, dans cet entre-deux par lequel l’Eglise
repasse toujours, je voudrais, tranquillement mais clairement, affirmer
que ce chemin est ouvert comme un chemin de bénédiction.
Le chemin qui est ouvert devant nous est un chemin de bénédiction, si…
Si nous nous y engageons en comptant non pas sur nos forces propres,
mais sur le souffle de Dieu. Si nous délaissons nos identités lorsqu’elles
nous entravent, pour recevoir celle que Dieu nous donne. Si nous osons
être attestataires d’Evangile.
 
Bien plus, le chemin qui est ouvert devant nous est un chemin de
bénédiction, parce que… Parce que si je n’ai aucune idée de quoi
demain sera fait, je sais que Christ nous y accueille et nous y donne
rendez-vous. Parce qu’il nous accompagne, là où nous sommes, chaque
jour.
 
Et le chemin qui est ouvert devant nous est un chemin de bénédiction,
pour… Pour servir les hommes. Pour y rendre contagieuse la confiance
reçue de Dieu. Pour bénir, puisque c’est à cela que nous sommes
appelés.
 
Frères et soeurs, nous pouvons faire monter à Dieu notre reconnaissance
quand nous regardons le passé, le passé dans la longue durée et le
passé plus proche qui nous a conduits jusqu’ici. Et désormais, enracinés
dans la confiance reçue, la confiance qui nous fait vivre, la confiance
qui nous engage, nous sommes appelés à marcher sur ce chemin de
bénédiction.
Désormais, nous sommes appelés à être fidèles à l’avenir.
 
Laurent SCHLUMBERGER,
pasteur, président du conseil national de l’Eglise protestante unie de France
 

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