lundi 9 février 2015

De commencement en commencement !


Lectures : Néhémie 8, 1-10 et 1 Corinthiens 12, 12-30 et Luc 1, 1-4 et 4, 14-21

Commencements… « Puisque beaucoup ont entrepris de composer un récit… il m’a paru bon moi aussi…Il vint à Nazareth… alors il commença à leur dire : aujourd’hui cette écriture est accomplie… »
C’est le temps de la déconstruction et voici que commence le temps de la reconstruction… il faut d’abord commencer par nourrir, héberger, soigner, et il faudra bien commencer et recommencer à vivre. Il se pourrait que depuis d'évènements dramatiques personnels ou plus politiques  nous soyons prompts à  un nouveau commencement à un recommencement qui réclame l’aide le soutien dans le temps, du plus grand nombre.

L’humain, l’humanitaire c’est toujours un commencement. Nous n’en finissons pas de commencer et de recommencer. Il se  pourrait que nos vies personnelles comme la vie des peuples et des civilisations ne soient pas harmonieuses mais plutôt saccadées ; plutôt dans la discontinuité que dans la continuité. Nous avons acquis par confort et par habitude, l’idée du temps linéaire, on naît, on vit, on meurt et ça recommence ou plus exactement au moment où cela se passe cela commence et recommence ailleurs. Les événements de nos existences nous poussent cependant à vivre des commencements sans cesse : après un accident, une maladie, un mariage, un divorce, la venue d’un enfant, la perte ou la redécouverte d’un travail : tout est propice à comprendre sa vie comme succession de commencements nouveaux.

Parfois aussi nos contemporains ne voient pas le lien, ne voient plus ce qui lie et relie ces commencements ; ils font les choses et vivent une chose l’une après l’autre sans se poser trop de questions ; ils disent qu’ils vivent sans se poser trop de questions et font face malgré tout, aux urgences, aux événements qui surviennent et qui bousculent l’existence des humains et qui bousculent aussi la réalité tranquille de la nature comme dans l’événement planétaire que nous vivons.

Peut être sommes-nous là sur cette terre, pour permettre à d’autres de vivre des commencements. Il se pourrait que les autres soient là tout simplement pour m’aider à vivre mes recommencements personnels. Là se tient, je le crois, le mode de fonctionnement des sociétés humaines : permettre aux individus de ne pas sombrer dans l’éclatement permanent ou à l’inverse permettre à d’autres d’éviter de se fondre dans un tout, un magma indifférent où ma vie n’intéresserait plus personne car elle serait confondue avec toutes les autres.

Paul utilise la parabole du corps, bien connue à son époque par certains penseurs grecs et romains jusqu’à La Fontaine, pour dire la vitalité des membres du corps au service et au bénéfice de l’ensemble. Les pieds sont utiles à la tête et la tête aux pieds ! L’estomac même a besoin des mains et des pieds ! La réalité de l’Eglise est semblable à ce grand corps qui devient malade si l’utilité des uns est contestée par la vie ou la mort des autres. Si la solidarité n’est plus seulement une œuvre de charité chrétienne ou pas, mais plutôt une nécessité vitale sans laquelle tout est déréglé et rien de ne devient plus utile et où tout peut tomber dans un dysfonctionnement anarchique et fou. 
Il arriva dans l’histoire que le peuple d’Israël fasse l’expérience vitale d’un recommencement, pas seulement après la Shoah, comme après un événement dramatique et mortel mais après un événement plutôt agréable et positif celui de la libération d’une partie du peuple, avec Cyrus le grand roi perse qui renvoie on ne sait pas trop pourquoi d’ailleurs, les captifs vers la liberté et vers Jérusalem pour ceux qui le souhaitaient et le désiraient comme un vœu de chaque année prononcé sans y croire vraiment et  enfin accompli :  l’an prochain à Jérusalem ! Ils se mirent alors à écouter la lecture d’une écriture ancienne d’une vieille loi qui devenait pour eux structurante dans leur situation nouvelle ; elle venait mettre de l’ordre dans le désordre et l’exubérance d’une nouvelle installation dans le pays des ancêtres. 
Il arriva aussi dans l’histoire de Jésus sans doute qu’il commença un jour par assurer le service ordinaire dans une synagogue ordinaire et voici que d’un seul coup le texte lu, relu, parcouru et entendu bien souvent devient ce jour-là non plus seulement un texte, mais une parole qui venait rencontrer la vie saccadée des auditeurs de ce jour nouveau : « Aujourd’hui cette écriture est accomplie pour vous qui l’entendez » ?  Il donnait ainsi une interprétation nouvelle et radicale : Dieu n’est pas dans le passé de l’écriture d’Esaïe, il n’est pas dans l’avenir dans le futur espéré ou rêvé, Il est : Aujourd’hui ! Dans une réalisation et un accomplissement au jour le jour comme au temps jadis de la manne dans le désert. Son geste et sa parole venaient introduire du désordre dans l’ordre établi. Son interprétation suscitait un commencement vraiment nouveau pour beaucoup ; ils étaient tournés vers le passé, ils espéraient dans l’avenir, ils oubliaient le présent difficile à vivre pour le plus grand nombre.
Il arriva aussi que dans l’existence d’un personnage écrivain qui s’appelle Luc, l’envie de commencer une rédaction renouvelée des événements qui l’avaient intéressé et qui s’étaient déroulés dans un passé récent qui précisément ne passait pas ! Ces événements n’arrivaient pas à devenir un passé ! Ces événements l’aidaient non seulement à vivre et à se repérer dans l’existence, mais Luc éprouvait le besoin nouveau de les transmettre de les faire connaître à sa manière qui était nouvelle et originale. Il commençait à écrire un Evangile !  Il devenait en nous invitant à l’être à  notre tour, il devenait : serviteur de la Parole. Son écriture, son geste, son souci de transmettre devenait un service. Son écriture il ne s’en doutait pas allait être lue et relue par des centaines de générations d’humains comme aucune autre écriture dans l’histoire de l’humanité.
Nous sommes au bénéfice de ces commencements de ces moments et de ces gestes fondateurs. Ils nous aident à lire et à vivre notre présent, à relire notre passé, à nous préparer à l’avenir ; l’Evangile est là possible pour relire le passé sans crainte et envisager malgré tout, un autre avenir. Parfois seul le passé nous retient comme une bouée ou un rocher sur lequel nous nous tenons agrippés. Parfois seul l’avenir nous occupe et nous préoccupe car nous y voyons le temps et le lieu de celles et ceux qui nous succèderont un jour.
L’Evangile de Luc, la relecture de la loi par Esdras selon Néhémie, le commencement de la prédication de Jésus sont là pour faire le lien dans nos vies entre ce qui nous a précédé ce qui va nous dépasser pour nous permettre de vivre aujourd’hui et commencer à nouveau
Enfin dans la perspective chrétienne, la prédication pragmatique, concrète de Jésus en train de se réaliser selon Luc, reste pour nous une orientation de vie indépassable et une exigence personnelle et communautaire :
·        L’annonce de l’Evangile à tous et aux plus pauvres
·        L’annonce d’une liberté et d’une libération pour ceux qui sont dans l’oppression physique, spirituelle ou sociale
·        L’annonce d’un temps d’accueil et d’un partage inconditionnels au nom du Seigneur.
On sait que cela ne fut pas une mince affaire pour Celui qui annonça cela ; le message était déjà porté par d’autres comme Esaïe, il devenait avec le Christ d’une brûlante actualité.
Le rôle de l’Eglise et des chrétiens aujourd’hui c’est bien de montrer la toujours brûlante actualité de ce message. Le rôle de la foi en Dieu c’est de montrer cette actualité du message au cœur de nos existences avant même de l’annoncer à d’autres et de le vivre avec eux.
L’Evangile de Jésus Christ est un commencement nouveau, neuf. Il n’est pas répétition. A nous de ne pas le reléguer dans un passé enfoui et dépassé ni dans un avenir qui ne nous menace plus  mais à la redécouvrir comme une irréductible espérance, au cœur de notre aujourd’hui.
BA