samedi 21 décembre 2013

Noël comme une rencontre !


Une rencontre politique curieusement : César veut compter ses conquêtes, une question d'impôt ! C’est la rencontre du recensement, où l’on se déplace pour se compter. Le monde entier se retrouve en ce jour ; Noël est devenu dès le départ, universel.
Joseph a rencontré Marie, c’est une rencontre personnelle, intime…
Ils retrouvent la ville des ancêtres, à Bethléem : ils se retrouvent dans une lignée, une descendance  et cela dans la  ville où l’on se rencontre autour d’une table pour partager quelque chose et le plus souvent du pain…
Ils retrouvent aussi l’indifférence ; ils ne savent plus où est leur place… ils en trouvent une, à la rencontre, à la frontière du monde animal…près d’une crèche...à la marge.
Ils rencontrent aussi des bergers ; Noël c’est un lien entre l’intérieur et l’extérieur. La vie familiale est réelle lorsque elle s’ouvre à une autre dimension vers un autre vers des autres…
Noël c’est la rencontre entre le bas et le haut ; le ciel et la terre ; le monde des humains que vient rencontrer un monde autre et autrement divin…
Noël  c’est aussi la rencontre avec soi-même, comme Marie vivant une naissance et découvrant son fils ; comme Joseph vivant une naissance et découvrant son fils. Naître, c'est être adopté.
Noël c’est ajouter une réalité imprévue à ce que nous sommes, à ce que nous savons, pensons et croyons.
Si tu veux devenir chrétien, disait Luther, si tu veux escalader, grimper vers le ciel,  vers la sainteté, si tu veux devenir quelqu’un de bien, alors commence par aller à Bethléem, le lieu du partage et de la rencontre….Difficile encore aujourd’hui ! Possible sûrement…

samedi 7 décembre 2013

Vérité du christianisme ? Un beau texte à méditer et réfléchir !

1 Corinthiens 2, 1-8 « Fides ratio et caritas »

Dimanche 16 novembre 2013, Bordeaux.

François Clavairoly, Pt de la FPF.

 
1 Pour moi, frères, lorsque je suis allé chez vous, ce n’est pas avec une supériorité de langage ou de sagesse que je suis allé vous annoncer le témoignage de Dieu. 2 Car je n’ai pas eu la pensée de savoir parmi vous autre chose que Jésus Christ, et Jésus Christ crucifié. 3 Moi-même j’étais auprès de vous dans un état de faiblesse, de crainte, et de grand tremblement ; 4 et ma parole et ma prédication ne reposaient pas sur les discours persuasifs de la sagesse, mais sur une démonstration d’Esprit et de puissance, 5 afin que votre foi fût fondée, non sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu. 6 Cependant, c’est une sagesse que nous prêchons parmi les parfaits, sagesse qui n’est pas de ce siècle, ni des chefs de ce siècle, qui vont être anéantis ; 7 nous prêchons la sagesse de Dieu, mystérieuse et cachée, que Dieu, avant les siècles, avait destinée pour notre gloire, 8 sagesse qu’aucun des chefs de ce siècle n’a connue, car, s’ils l’eussent connue, ils n’auraient pas crucifié le Seigneur de gloire.

Chers amis, frères et soeurs,

Ces quelques phrases de Paul posent  la question de la singularité du statut de la religion chrétienne. Sa singularité parmi les autres religions, et celle de sa spécificité au regard des autres discours qui s’expriment en même temps qu’elle.

Ces deux questions du statut et de la singularité de la religion chrétienne constituent les termes du problème  classique de son originalité et surtout celui de sa vérité.

Le mot est lâché : vérité. La religion chrétienne peut-elle prétendre être religio vera [1] ? Et si tel est le cas, quel est son argument, quelles en sont les conséquences ? J’aimerais par ces quelques mots introduire une réflexion sur la question de la vérité du christianisme et de son rapport à la raison et à la vérité. Introduire une réflexion et laisser chacun de vous la poursuivre avec ses pensées propres, ses références et ses convictions...

Précisément, en Europe, depuis les découvertes de la Renaissance et les affirmations critiques de la Réforme et des Lumières, depuis les processus d’émancipations intellectuelles de la Modernité proposant une refondation des discours des origines du monde et offrant des formulations novatrices, le christianisme se trouve dans une crise profonde quant à sa prétention à la vérité.

Il apparaît, de plus, que se pose la question de savoir s’il est juste, devant cette nouvelle donne, d’appliquer la notion même de vérité à la religion, et si les hommes, par le truchement de la religion, peuvent avoir un quelconque accès à une vérité sur Dieu ou sur les mystères du monde, ou bien au contraire s’ils ne sont pas les porteurs d’un projet finalement obscurantiste.

Pour avancer, devant un tel questionnement, nous nous retrouverons sans doute plus à l’aise avec le récit de cette parabole venue de l’Inde, une parabole qui n’est pas biblique, certes, la parabole de l’éléphant et des aveugles, mais qui illustre notre propos : un roi réunit un jour tous les habitants aveugles d’une ville. Il fait passer devant ces aveugles un éléphant. Il laisse les uns toucher la tête en leur disant : « C’est cela un éléphant ». D’autres peuvent toucher l’oreille ou la défense, la trompe, la patte, la croupe, les poils de la queue...Puis le roi demande à chacun : « Qu’est-ce qu’un éléphant ? ». Alors, selon la partie qu’ils ont touchée, certains disent : « C’est comme une corbeille tressée, c’est comme un pot, c’est comme la barre d’une charrue, c’est comme un entrepôt, comme un pilastre, comme un mortier, comme un balai... ». Là-dessus, ils se mettent à se disputer en criant : « L’éléphant est comme ceci, comme cela... ! », et ils se jettent l’un sur l’autre et se frappent avec les poings, pour le plus grand divertissement du roi.

La querelle des religions, y compris celle qui concerne le christianisme en débat avec d’autres, ressemble un peu à cette querelle des aveugles nés. Et le christianisme, en l’occurrence, ne se retrouve en aucune manière dans une situation privilégiée ou plus positive que les autres, bien au contraire. Sa prétention à la vérité, en effet, le rend particulièrement aveugle à la limite de toute notre connaissance du divin, et le marque parfois d’un fanatisme insensé, lui faisant prendre à lui aussi pour le tout, le petit bout touché par l’expérience personnelle.

Le scepticisme général à l’égard de la prétention à la vérité en matière de religion se trouve par ailleurs renforcé encore par tout ce que la science moderne a permis de soulever en ce qui concerne la question des origines de la vie : la théorie de l’évolution surclasse la doctrine de la création (toujours enseignée depuis Vatican II comme aussi dans certaines Eglises évangéliques ; les connaissances de l’homme en matière de neurobiologie, de chimie, de psychologie, d’anthropologie, semblent surclasser la doctrine du péché originel ; l’exégèse critique relativise tout ce que nous croyions connaître de la figure même de Jésus et de sa conscience de Fils ; les origines de l’Eglise en Jésus apparaissent plus que douteuses et beaucoup plus complexes qu’une simple vision linéaire des choses laissait croire, puisque le système de la papauté et de la succession ne se conçoit que tardivement, puisque Pierre n’a jamais été pape, etc.

La fin de la métaphysique et la rationalité ont rendu problématique le fondement philosophique du christianisme. Et quasiment conflictuel le rapport de la foi et de la raison.

Aujourd’hui, en réalité, il est plus facile de réduire les contenus chrétiens à un ensemble de discours métaphoriques, de ne leur attribuer qu’une vérité de même nature que celle des mythes de l’histoire des religions, et de les comprendre comme un mode d’expérience religieuse de même type que tant d’autres.

Dans cette perspective, il n’est plus possible de parler du christianisme comme d’une vérité qui serait pour l’homme, pour tout homme, quelle que soit son origine géographique et sa culture, une force qui s’imposerait à lui, telle une promesse fiable. Il faut en parler bien plutôt comme d’une expression culturelle particulière de la sensibilité religieuse générale, elle-même produit des aléas de notre origine européenne. Tout cela, nous le savons, a été formulé dès le début du XXè siècle par de grands intellectuels et de grands chercheurs, issus notamment de l’université allemande. En termes philosophiques et théologiques, on a décelé et décrit cette sorte de rétrécissement du champ du christianisme, ce retrait intérieur par rapport à une vision universelle originelle qui se fondait sur sa prétention à la vérité. L’on était presque arrivé à la conviction que, les cultures étant insurpassables et les religions étant liées aux cultures, le christianisme n’était, pour reprendre l’enseignement de la parabole de l’éléphant et des aveugles, que le côté du visage de Dieu tourné vers l’Europe...

La raison aurait donc eu raison.

La raison aurait eu raison de la religion. Du moins en Europe...Et ce qu’elle dit aujourd’hui, en toute rationalité, est effectivement ceci : la vérité en tant que telle, nous ne la connaissons pas. Certes, à travers des images les plus diverses, c’est au fond la même chose que nous visons, mais un mystère aussi grand, le divin, ne peut être réduit à une seule figure qui exclue toutes les autres. Il y a beaucoup de voies, beaucoup d’images, toutes reflètent quelque chose du tout, et aucune n’est elle-même le tout.

Autrement dit, il n’y a pas de certitude de la vérité, sur Dieu, mais seulement des opinions.

Et la porte s’ouvre, alors, sur une forme d’indifférentisme, de relativisme, de cohabitation de toutes les croyances, où chacune s’insère paisiblement dans la symphonie polymorphe de l’éternel inaccessible. Écoutons comment s’exprime ce sentiment : « C’est la même chose que tous vénèrent, c’est une unique chose que nous pensons, ce sont les mêmes étoiles que nous contemplons, le ciel au-dessus de nous est unique, c’est le même monde qui nous enveloppe ; qu’importent les espèces variées de sagesse par lesquelles chacun cherche la vérité. On ne peut parvenir par une unique voie à un mystère aussi grand. »

Ces mots ne sont pas d’hier, bien qu’ils résonnent agréablement à nos oreilles, et ils trouveraient chez nos contemporains, convenons-en, un écho manifestement favorable : ainsi parlait pourtant le sénateur Symmaque en 384 devant l’empereur Valentinien II, défendant le paganisme et voulant rétablir la déesse Victoria dans le sénat romain...

Où en sommes-nous, aujourd’hui ? Et que s’est-il passé pour que nous en soyons arrivés là ? Le christianisme aurait-il définitivement renoncé à se percevoir comme discours de vérité ? Et ce faisant, n’étant plus porté par cette quête exigeante de discernement du monde et du mystère divin, aurait-il renoncé à s’aider de la raison pour en exprimer avec rationalité les enjeux et l’espérance pour le monde entier, au-delà de toute frontière culturelle ?

Aurait-il divorcé avec la raison après avoir été humilié par elle ?

La foi se réduirait-elle, au pire, à une expérience religieuse comme on le voit dans toute une partie du christianisme en plein développement et marqué notamment par le pentecôtisme ? Serait-elle, au mieux, un discours en forme de commentaire du monde et de l’histoire parmi d’autres, mais un commentaire seulement ? Ne pourrait-elle être le lieu d’une herméneutique exigeante, la proposition d’un message, le témoignage d’une interpellation critique et l’expression d’une vérité, en débat, justement, avec les sagesses de ce monde et se plaçant sans crainte sur le terrain de la raison, d’autant plus que l’un des mots clés de son discours est précisément celui de Logos ?

L’apôtre Paul, écrivant à Corinthe, a un avis sur le sujet : sagesse contre sagesse, raison contre raison, discours contre discours, c’est bien avec des mots, avec un discours et avec la raison qu’il argumente. C’est avec « la parole de la croix » qu’il défend son point de vue. Il ne présente d’ailleurs que cet argument discursif, un argument qu’il nomme « Jésus-Christ crucifié ».

Trois mots seulement pour dire tout à la fois ce qui est de l’ordre du religieux et ce qui est de l’ordre de la raison, mais trois mots pour les lier l’un à l’autre : Religieux, en effet, est le nom de Jésus qui signifie sauveur, christ, messie et envoyé de Dieu ; et raisonnable, le fait qu’il s’agisse bien ici d’un homme et non d’un demi dieu, d’un titan ou d’un héros. Un mortel donc, puisqu’il meurt sur la croix. Jésus-Christ crucifié.

Le langage de Dieu, pourrait-on dire, est donc religieux, mystérieux, et il demande qu’on le croie, sans conteste, car il nous faut y entendre dans la foi que Jésus vient donc de sa part.

Mais ce langage, notre raison le comprend tout autant, le lit même, le déchiffre dans le texte, le critique et le cerne, l’examine, l’étudie, comme n’importe quel langage. Il est langage humain, inscrit dans une logique humaine, celle d’un homme du premier siècle de notre ère, dans un contexte précis, un homme au destin étonnant mais compréhensible pourtant, au regard des discours qu’il a prononcés et dont on a gardé trace, et des discours de ceux, prophètes d’Israël, qui l’ont précédé.

En Jésus- Christ crucifié, foi et raison peuvent se conjuguer pour qui prête sérieusement une attention réelle et intelligente au récit et à la pensée, pour qui s’intéresse à l’homme.

Mais il y a plus que cela encore, et ce point est décisif dans notre réflexion qui se conclura ici de façon toute provisoire : la foi et la raison, devant cet homme Jésus-Christ crucifié dont parle l’apôtre aux corinthiens, la foi et la raison devant cet argument de « la parole de la croix », s’étonnent soudain d’y découvrir, outre l’envoyé de Dieu, pour l’une, ou le simple mortel au destin étonnant, pour l’autre, que la vérité que chacune d’elles cherche n’existera pas sans une troisième dimension, celle de l’amour.

Ratio (la raison), la sœur jumelle de Fides (la foi), n’y avait pas pensé, en effet. Malgré toute sa sagesse, elle pour qui tout s’explique, en ce monde laïc, par des processus et des logiques, des enchaînements et des probabilités, des causes et des effets, mais sans autre éthos que celui qu’autorisent les lois de la physique ou celle de l’évolution, pouvait très bien raisonner le monde et le destin des hommes sans faire appel à une éthique, sans introduire la dimension du symbole de l’amour, l'amour de soi et de l'autre.

Et Fides (la foi) non plus, l’autre sœur jumelle, n’y avait pas pensé. Elle qui se croyait comme en surplomb du monde et des hommes, au balcon de Rome, n’ayant besoin de rien de plus que sa superbe et la force de sa conviction...

Voici donc une troisième invitée au débat de la vérité, en plus de Fides et de Ratio :

Caritas, la petite sœur, la troisième, la charité, autrement dit l’amour, qui préside à tout ce que fait et dit Jésus-Christ crucifié, Caritas qui motive sa venue et l’initiative même de Dieu, qui oriente les actes et le comportement du Christ, ses paroles, sa vie même, jusqu’au dernier souffle : « Père, pardonne-leur... »

La religion chrétienne a ceci de bien singulier et sans doute d’original -et de vrai ?- qu’elle ose le pari de faire entrer en dialogue incessant la foi et la raison, et qu’elle soumet à chaque instant l’une et l’autre au regard bienveillant et critique de l’amour. Un amour qui aime jusqu’à l’abandon de soi, gratuitement, au-delà de toute conviction et de toute raison...

Pour un discernement commun de la vérité.

Aux religieux intégristes qui pensent encore, et ils sont bien seuls, qu’il n’y a qu’une vérité divine, contre toute raison, caritas rappelle qu’il faut écouter l’autre pour la recevoir et la comprendre dans ce qu’elle a souvent d’inattendu, de pluriel, de complexe, et qu’elle ne peut jamais être possédée, ni instrumentalisée, ni assénée ; et aux intégristes de la raison et de la laïcité, caritas rappelle que la dimension symbolique de nos langages et de nos gestes désignent une réalité qui échappera toujours à nos schémas, malgré les froides logiques qui prétendent tout expliquer, malgré les théories, y compris celle du chaos, malgré les lois de la physique d’un  monde dont le ciel semble vide, malgré les lois de la vie, et malgré même les lois de la République : une réalité dont la dimension parfois oubliée, et pourtant ultime et imprenable que désignait justement cet homme Jésus, que les chrétiens nomment Christ, une réalité dont la dimension rappelle que nos existences humaines sont porteuses de bien des promesses encore inaccomplies…

Amen

[1] Voir particulièrement la communication de Joseph Ratzinger « Vérité du christianisme ? », in Christianisme : héritages et destins, LGF, Paris, 2002 (p.303 et s.).

 

vendredi 15 novembre 2013

Le racisme n'est pas une opinion, c'est un délit !


Xénophobie, racisme, bâtir ensemble un monde vivable. Eglise protestante unie de France
   Communiqué
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La parole xénophobe –contre les Roms par exemple– et raciste –contre la Garde des Sceaux Mme Taubira par exemple– se banalise et parfois se déchaîne. Elle est renforcée par des calculs politiciens, à quelques mois d’échéances électorales. Elle est dopée par des logiques médiatiques qui, par effet de loupe et de répétition, donnent une importance parfois démesurée à des manifestations ou des propos marginaux
La souffrance sociale, le désarroi politique, l’impression qu’une logique économique ne profitant qu’à une minorité ravage tout sur son passage, la crainte du déclassement, la peur de l’avenir, sont des sentiments bien réels et largement partagés. Ils peuvent pour une part expliquer le ressentiment qui s’exprime par la xénophobie et le racisme. Ils ne sauraient le légitimer.
Le pacte républicain est confié à chaque citoyenne, chaque citoyen, et d’abord à celles et ceux qui exercent une responsabilité sociale. Il est précieux. Il n’est pas indestructible.

Nul ne peut se dire à l’abri de bouffées xénophobes ou racistes, chacun le sait. Il est d’autant plus important de refuser toute complaisance à leur égard. La confiance est possible, mais elle se construit chaque jour et elle est l’affaire de tous et toutes.
En outre, des personnes ou des groupes qui prétendent par ailleurs défendre des « valeurs chrétiennes » ont participé à l’expression xénophobe et raciste. Ces discours et ces attitudes sont pourtant radicalement incompatibles avec la foi chrétienne. L’Evangile de Jésus-Christ prend sa source dans l’amour inconditionnel de Dieu pour chaque être humain. Chacun est bienvenu sur cette terre. Chacun a besoin d’y être accueilli.

Ce message libérateur et exigeant nous appelle à découvrir dans notre semblable une sœur, un frère, et à bâtir ensemble un monde vivable et vraiment humain.

Pasteur Laurent SCHLUMBERGER
Président du conseil national
de l’Eglise protestante unie de France

L’Eglise protestante unie de France (EPUdF) est membre de la Fédération protestante de France (FPF).

 

mercredi 13 novembre 2013

Pierres Vivantes, c’est Vous…



 1 Pierre 2, 4-10 : « Vous aussi vous êtes comme des pierres vivantes ! Entrez dans la construction de la maison habitée par l’Esprit »

Depuis que l’humanité a quitté l’âge de pierre, elle n’a pas cessé de construire, d’édifier, de construire. Le travail de la pierre, son usage, sa complexité ont été les signes visibles d’une humanité qui s’est développé en construisant et en détruisant. La pierre c’est ce qui permet l’édification et en même temps ce qui permet la destruction : pierre sur pierre jusqu’à la pierre d’angle c’est le sommet de la construction et le caillou de la fronde comme le boulet du canon ou de la bombarde sont les premiers éléments les premières armes de la guerre. Il est un temps pour tout,  disait le sage : « un temps pour amasser des pierres et un temps pour lancer des pierres ».

Les pierres sont anciennes ; les grandes civilisations d’Assour à Babylone, des statuts géantes de l’Asie en passant par les ziggourats babyloniennes ou les pyramides d’Egypte , les routes, les arcs de triomphe, les aqueducs romains sont notre héritage direct comme le sont aussi les théâtres ou les amphithéâtres grecs ; la vie des hommes est lisible dans les pierres.  Pensons à la chute des tours jumelles à New York !

On pourrait dire que nos cultures et civilisations bien au-delà de nos individualités de nos personnes, sont de vastes lithographies c’est à dire littéralement des écrits sur de la pierre ou bien encore des pierres écrites. Même si nous ne les comprenons pas toujours comme les pierres dressées et sculptées de la civilisation celtique par exemple.

Dans cette permanence et cette priorité de la pierre construite détruite et reconstruite, apparaît le désir des hommes de se montrer, forts et puissants et en même temps signifier qu’il est utile important et nécessaire de durer. La pierre dans toutes ses manifestations apparaît comme le signe d’une espérance et d’une forme d’immortalité ou comme un gage contre l’oubli, un signe de mémoire, ce que deviendra ensuite le mémorial. Malgré l’usure ces monuments sont l’expression d’une volonté d’être là longtemps comme signe et gage de vérité ; les cathédrales qui deviennent des lieux de visites sont de cet ordre, un témoignage d’une foi d’une histoire passée et qui viennent à notre rencontre.

Le peuple d’Israël est probablement le seul peuple ancien qui n’est pas visible dans ces constructions et ces monuments. Comme s’il n’avait pas tout misé sur ce genre d’apparence ! Le mur du temple est particulièrement récent il est surtout symbolique et n’est pas un vrai monument : il ne se compare pas aux pyramides d’Egypte. Même si « un jour dans tes parvis en vaut mille ailleurs » et même si dit le psalmiste déjà : « j’ai choisi de rester  au seuil de la maison de mon Dieu et de loger sous la tente des infidèles » (Ps. 84,11) Le peuple d’Israël comme les autres a été fasciné par la capacité constructrice des hommes :  de Salomon en particulier discutant avec la reine Saba.

Mais la destruction a été plus forte et a été fondatrice de nouvelle  identité de nouvelle manière de vivre ensemble ; non plus autour ou dans le temple mais autour et dans une parole à lire à comprendre à prier à vivre.

Le Seigneur lui seul est mon rocher, ma forteresse, ma citadelle, mon asile protecteur.

On pourrait dire encore que la captivité égyptienne était celle de l’épreuve de la pierre à construire à édifier pour la gloire du pharaon ; casser des cailloux a toujours et partout signe d’humiliation du vaincu pour construire la gloire du vainqueur. Le peuple d’Israël ne se remettra jamais vraiment du souvenir reconstitué de cette épreuve de la dureté et il sera sera toujours présent.

De plus et comme pour renforcer ce souvenir difficile les tables de pierres celle de la loi divine directement écrite devront être brisées et détruites comme pour dire que cette loi fondatrice est gravée ailleurs que dans des pierres mais dans des vies dans des cœurs dans des histoires personnelles et communautaires. Bref, même les parvis, les degrés, les colonnes, les murs impressionnants, de tout cela, il ne restera pas pierre sur pierre.

Tu es Petros et sur cette Pétra, c’est le latin de roc et rocher, j‘édifierai mon église (Matth 16,18) Non pas je pétrifierai mon église, ni sur un trône ni dans un tombeau ; mais je la rendrai vivante comme le miracle d’une pierre vivante. Mon Eglise ne sera pas de pierre car elle risquerait de se lézarder sans cesse.

Etrange aventure de ce mot et cette réalité de la pierre. Jésus va s’en servir pour dire une nouvelle loi ou pour renouveler la loi de Dieu ; vous pouviez lapider et bien désormais c’est fini. Que celui d’entre vous qui est sans pécher lui jette la première pierre ! et le cercle se brisa et ils partirent les uns après les autres en commençants par les plus vieux. Et lui écrivait sur le sol (Jean 8, 1-11.) sur la poussière du sol…

Jeter des pierres non plus du faible vers le fort pour se libérer comme David à l’égard de Goliath, mais jeter des pierres par les forts vers le faible : jeter des pierres comme les gardiens du temple de la foi et de l’orthodoxie en jettent toujours et partout,  vers celui et ceux qui osent dire et faire une réalité, une parole et un geste nouveau. Ce sera par exemple, le meurtre d’Etienne le premier martyr ; ce sera l’approbation de ce meurtre par Paul ce sera son écharde à tout jamais au cœur de sa vie et de son corps.

Toujours une histoire de pierre. Qui nous ôtera la pierre, non seulement celle du tombeau qui nous empêche d’approcher du corps mais aussi la pierre qui pèse sur notre vie. Notre pierre, ce poids qui est là en nous et qui nous plombe disons-nous parfois. Le Seigneur, le Père, Dieu lui-même, vient ôter la pierre, trop lourde ; comme si quelqu’un était l à toujours là pour nous aider à remonter la pierre, pour la porter avec nous, tels de nouveaux Sisyphes ; pour la supporter, pour la remplacer par une autre peut être moins lourde.
 
Les pierres dressées par Josué au début de la conquête à Guilgal et cercle qui deviendra la Galilée, les 12 pierres dressées sont devenues vivantes ; elles se sont animées ; on pourrait dire qu’elles sont devenues les 12 fils les 12 tribus, les 12 apôtres, les premiers témoins de la foi à l’œuvre et en marche. Elles n’ont pas été transportées, adorées, elles n’avaient en elles-mêmes ni beauté ni prestance pour attirer nos regards ; elles étaient des signes, des réalités à imiter, des objets inanimés qui soudain avaient une âme, une vie pour la vie de l’autre et des autres.

L’image est étonnante : la pierre vivante. Il est plus usuel que les hommes soient transformés en pierre en statue pour qu’on ne les oublie pas. Ils sont morts et pétrifier propice parfois à l’adoration des autres.

Pierre et c’est un comble que ce soit uniquement Pierre l’apôtre ou son Eglise qui nous parle lui, de tout le contraire : « Approchez-vous de lui la pierre principale rejetée par les hommes mais choisie par Dieu, elle est précieuse ».

Devenez comme des pierres vivantes ! Ne devenez pas un poids lourds et morts  pour les autres mais soyez bien vivants !

Vous avez votre place, quelque soit votre forme voter compétence votre assurance votre foi, pour être un témoin actif et vivant de la construction commune ; ne méprisez pas les pierres, vous en êtes une ; observée votre place : où êtes-vous, du côté de la fondation, dans les murs qui ne se voient guère, du côté des façades, du côté du sol peut-être bref, il est sans doute possible de changer de place de faire l’expérience d’une nouvelle fonction d’un nouveau service.

Non pour la gloire de l’édifice, non pour la gloire des autres pierres, mais pour la seule gloire de la vraie pierre celle qui nous fait tenir tous ensemble pour que d’autres se sentent à leur tour pierres vivantes ; c’est dire témoins qui durent et s’usent mais attestent que la construction est en nous au service des autres pour les aider à porter et supporter ; grâce à Celui qui sans cesse est là pour transformer nos cœurs de pierres en cœurs de chair.

Pour nous aider à passer de la dureté qui est en nous, celle de notre cœur, de notre foi de notre regard à la miséricorde et à la compassion. Pierre dira : « vous qui n’aviez pas obtenu miséricorde mais qui maintenant avez obtenu miséricorde » !  Vivez de cela !  L’Eglise de Jésus Christ n’a besoin d’aucun objet d’adoration d’aucune personne supérieure aux autres d’aucuns lieux sacrés ou magiques.

L’Eglise de Jésus Christ a besoin de tous et de chacun c’est une communauté où personne ne peut dire : on n’a pas besoin de moi ; car nous sommes tous et chacun des pierres vivantes belles et plaisantes aux yeux de Dieu, qui crient et annoncent l’espérance et l’amour possible en ce monde.

Nous ne sommes pas là pour partager des pierres, mais le repas du Seigneur. Souvenez-vous : « si quelqu’un te demande du pain, quel est celui parmi vous qui lui donnera une pierre » ? (Matthieu 7,9) Le Christ invitant n’est pas pétrifié, il devient pour nous une puissance de partage.


mercredi 6 novembre 2013

Conseil oeuménique des Eglises en Corée

Voici le texte de l'intervention faite par Laurent Schlumberger en séance plénière, à propos du programme du COE pour les années à venir:

COE/Lindén-Montes
"Nous avons surtout évoqué la vie, la justice et la paix, à partir de contextes dans lesquels elles sont bafouées et en songeant aux engagements qui devraient être les nôtres et ceux de nos Eglises. Nous avons bien fait.

Nous avons ainsi privilégié les convergences avec toutes celles et tous ceux, quelles que soient leurs références et leurs convictions, qui ont le souci de la planète, des hommes et des femmes, et de chaque être humain. Tant mieux, car nous devons chercher à agir de la manière la plus ouverte et la plus inclusive possible.


Mais, du coup, nous avons peut-être insuffisamment rappelé ceci, qui me paraît pourtant fondamental. La vie, la justice et la paix ne sont pas d’abord notre œuvre, elles sont d’abord un don gratuit, immérité. Et nous croyons – et c’est cela que je veux souligner – nous croyons qu’elles sont données et pleinement reçues en Jésus-Christ.

Nous n’avons peut-être pas assez pris soin d’articuler vie, justice et paix dans une réflexion proprement théologique et je dirais plus précisément christologique.

Pourtant, selon les Ecritures, Jésus-Christ dit : « moi, je suis la vie ». Et l’apôtre Paul, en particulier, souligne de nombreuses fois et de nombreuses manières que Christ est notre justice. Et il affirme également, ainsi que l’évangéliste Jean par exemple, que Christ est notre paix. Et la base de la constitution du Conseil œcuménique dit que nous sommes « une communauté fraternelle d’Eglises qui confessent le Seigneur Jésus-Christ comme Dieu et Sauveur selon les Ecritures ».

Nous devrions être attentifs à toujours et explicitement référer nos propos, nos convictions et nos engagements à Jésus, le Christ. Sinon, ils perdront leur goût et deviendront fades ; ils perdront leur lumière et deviendront ternes.

C’est un souhait que je formule en pensant aux travaux du comité central, des différents programmes, et aussi aux travaux de Foi et Constitution dont nous n’avons malheureusement à peu près pas parlé et je le regrette, car c’est le premier lieu de travail théologique du COE.

Si, au milieu des détresses et des promesses du monde, nous n’affirmons pas explicitement que la vie, la justice et la paix ont leur source en Jésus-Christ et trouvent leur plénitude en Jésus-Christ, si les Eglises et les chrétiens ne le disent pas, inlassablement, à temps et à contretemps, qui le fera ?"

lundi 28 octobre 2013

"Dieu de la vie, conduis-nous vers la justice et la paix"


“Dieu de la vie, conduis-nous vers la justice et la paix” – Le thème de l’assemblée du Conseil oecuménique des Églises à Busan fait écho au thème de l’assemblée du COE à Vancouver en 1983 : “Jésus-Christ, vie du monde”.

Trois décennies s’étant écoulées depuis, les différences apparaissent aussi clairement. Le thème de Vancouver était une affirmation : Christ est le fondement de la vie du monde entier – en théologie réformée, nous parlerions de la souveraineté de Christ sur le monde entier. Toutefois, à Busan, l’idée de pouvoir de la vie devient au contraire un appel à Dieu qu’il nous conduise « vers la justice et la paix ».

La toile de fond de l’assemblée de Vancouver était les menaces qui pourraient endiguer le flot de la vie, menaces venues de la course à l’armement entre l’Est et l’Ouest et le spectre d’un embrasement nucléaire, des structures d’injustice partout dans le monde – parmi lesquelles l’apartheid en Afrique du Sud, que la lutte n’avait pas encore résolue – et la prise de conscience que l’écosystème mondial lui-même était menacé. Le thème de l’assemblée, “Jésus-Christ, vie du monde” avait été choisi pour affirmer la puissance de la vie par-delà celle de la mort – vue dans la violence et la destruction, l’exploitation des ressources naturelles, la pauvreté et la faim – et la spirale de sécuritarisme, défense, destruction et mort, comme Konrad Raiser, le théologien allemand qui deviendrait plus tard secrétaire général du COE, l’avait déjà mentionné. L’assemblée elle-même donna naissance au processus conciliaire « Justice, paix et sauvegarde de la création » :

« (…) inviter les Églises membres à entreprendre un processus conciliaire d’engagement mutuel (alliance) en faveur de la justice, de la paix et de l’intégrité de toute la création. Cette orientation devrait avoir pour fondements la confession de Christ en tant que vie du monde et l’affirmation de la résistance des chrétiens aux pouvoirs démoniaques de la mort … »

C’était un "appel urgent pour une prise de position forte de la part des Églises » (Konrad Raiser) à propos de la guerre et de la violence, de la justice et de l’injustice, de la faim et de la pauvreté, et de la destruction de l’environnement.  Au centre de cet appel, il y avait un lien étroit entre l’affirmation confessante du Christ comme vie du monde et la résistance nécessaire aux pouvoirs injustes. Ici, il y a un parallèle étroit avec ce que l’on appelle en tradition protestante un statut confessionis, où la fidélité à Jésus-Christ requiert un témoignage confessant par l’Église.

Toutefois, une telle “prise de position” suppose un contexte où l’Église reste une force morale dans la société, voire même un contexte de chrétienté. C’est précisément dans un tel contexte que l’Église peut se permettre de mettre « un bâton dans la roue » (Dietrich Bonhoeffer) en s’engageant directement dans une action politique.

Trois décennies plus tard, la “vie” est de nouveau le thème central d’une assemblée du COE. Mais le contexte a changé sensiblement.

Comme Ellen Ueberschär, secrétaire générale du Kirchentag (rassemblement protestant en Allemagne), l’a récemment noté, « Si le dialogue œcuménique a été le grand sujet pour les Eglises aux 20e siècle, l’inter-religieux et la compréhension de l’autre sont le grand sujet du 21e siècle ». 

Le choix de Busan pour 2013 éclaire les changements géostratégiques et religieux des 30 dernières années. L’équilibre des pouvoirs au niveau mondial bascule de l’Europe occidentale et de l’Amérique du Nord vers des pays comme le Brésil, l’Inde et la Chine. L’Asie est également un symbole du changement de visage du christianisme, qui glisse vers le Sud mondial, avec la croissance des formes pentecôtistes et évangéliques de spiritualité. Enfin, l’Asie est une région du monde qui est depuis longtemps marquée par le pluralisme religieux, pluralisme qui caractérise aujourd’hui le monde entier. Le thème de l’assemblée de Busan, « Dieu de la vie, conduis-nous vers la justice et la paix », atteste de l’émergence d’un nouveau paradigme de coexistence religieuse. 

Le thème de l’assemblée de Vancouver peut être vu comme une expression de ce que Konrad Raiser décrivait comme un « universalisme christocentrique » dans son livre Ecumenism in transition, publié en Allemagne en 1989 (puis en anglais à Genève en 1991) juste au moment où l’affrontement de la guerre froide commençait à s’effriter. Alors qu’un tel « universalisme christocentrique » était le paradigme œcuménique dominant dans les décennies suivant la 2e guerre mondiale, affirmait-il, celui-ci était remis en question de plus en plus fort par le pluralisme religieux, la logique de la mondialisation et les menaces pour la survie mondiale. Il y avait nécessité de développer un nouveau paradigme, écrivait-il, avec une accentuation nouvelle sur une orientation « théocentrique » dans une perspective trinitaire de relation entre Dieu, le monde et l’humanité, où la « vie » est comprise comme un réseau de relations réciproques, de cultures en dialogue dans une situation de pluralisme religieux et culturel.

Dans le thème de l’assemblée de Busan, à la différence de l’affirmation christocentrique de Vancouver, c’est le Dieu de la vie qui conduit vers la justice et la paix. Comme M. Young Cheol Cheon, enseignant en communication coréen, le remarque dans son mémoire “Communication pour la viedans le Cyberespace”, la vie et la communication jouent un rôle central dans ma vision du monde orientale. On peut voir cette perspective dans une déclaration faite lors d’une rencontre sur le thème de l’assemblée, tenue en Corée du Sud en mai 2012 à Busan et organisée par l’Association mondiale de communication chrétienne (World Association for Christian Communication), le COE et le comité local d’accueil de l’assemblée du COE. Intitulée « mettre en valeur une communication pour la vie, la justice et la paix », elle fait clairement référence à l’apport de la vision du monde orientale et au rôle de la communication dans un monde pluraliste en termes de religions, où « l’univers est compris comme un tout, une entité, un organisme indépendant (…) la communication est l’essence de la vie et (…) les êtres humains sont en communication avec toute la création.»

De plus, « dans un monde qui a permis à des gens d’origines, de religions et de cultures différentes d’être plus conscients les uns des autres et de leurs interconnexions, la communication a le potentiel de promouvoir la vie en commun dans la foi, l’espérance et l’amour ».

Dans un tel contexte, “les droits à la communication demandent des espaces et des ressources dans la sphère publique pour que chacun soit capable de s’engager dans un débat transparent, informé et démocratique. Ils nécessitent un environnement politique, social et culturel qui encourage l’échange libre d’une variété d’idées créatives, de connaissances et de produits culturels. Au final, les droits à la communication insistent sur la nécessité d’assurer une diversité d’identités culturelles qui valorisent et enrichissent tout ensemble le bien commun »

Comme nous approchons de l’assemblée de Busan, le programme énoncé ci-dessus nous offre un moyen de réagir à l’appel de Dieu pour que Dieu nous conduise vers la justice et la paix.

 
Stephen Brown, responsable de GlobeTheoLib
traduit par Claire Sixt-Gateuille

 

jeudi 24 octobre 2013

Préparation de l'AG du Conseil oecuménique des Eglises (début novembre en Corée)


Une communauté mondiale d'Églises, en quête d'unité, de témoignage commun et de service chrétien

Le témoignage chrétien dans un monde multireligieux

Conscients des tensions qui existent entre les personnes et les communautés de différentes convictions religieuses ainsi que des diverses interprétations du témoignage chrétien, le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux (CPDI), le Conseil œcuménique des Églises (COE) et, à l’invitation du COE, l’Alliance évangélique mondiale (AEM), ont, à l’issue de cinq années de rencontre et de réflexion, élaboré le présent document, qui se veut un ensemble de recommandations pour guider le témoignage chrétien dans le monde. Ce document n’entend pas être une déclaration théologique sur la mission mais il s’attache à aborder les questions pratiques liées au témoignage chrétien dans un monde multi-religieux.

Recommandations de conduite

Préambule

La mission fait partie de la nature même de l’Église. Annoncer la Parole de Dieu et en témoigner dans le monde sont essentiels pour chaque chrétien. Il est par ailleurs nécessaire de le faire en accord avec les principes de l’Évangile, avec un respect et un amour entiers pour tous les êtres humains.

Conscients des tensions qui existent entre les personnes et les communautés de différentes convictions religieuses ainsi que des diverses interprétations du témoignage chrétien, le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux (CPDI), le Conseil œcuménique des Églises (COE) et, à l’invitation du COE, l’Alliance évangélique mondiale (AEM), ont, à l’issue de cinq années de rencontre et de réflexion, élaboré le présent document, qui se veut un ensemble de recommandations pour guider le témoignage chrétien dans le monde. Ce document n’entend pas être une déclaration théologique sur la mission mais il s’attache à aborder les questions pratiques liées au témoignage chrétien dans un monde multireligieux.

Le but du présent document est d'encourager les Églises, les conseils d’Églises et les organismes missionnaires à réfléchir à leurs pratiques actuelles et à utiliser les recommandations formulées ici afin de préparer, là où cela s’avère utile, leurs propres directives sur le témoignage et la mission auprès des membres des différentes religions et auprès de ceux qui ne professent aucune religion particulière. Nous espérons que les chrétiens de par le monde étudieront ce document à la lumière de leur propre pratique du témoignage de leur foi rendu au Christ, en paroles et en actes.

Une base pour le témoignage chrétien

1.     Pour les chrétiens, c’est un privilège et une joie que de rendre compte de l'espérance qui est en eux et de le faire avec courtoisie et respect (cf. 1 P 3,15).

2.     Jésus Christ est le témoin suprême (cf. Jn 18,37). Le témoignage chrétien est toujours un partage de Son témoignage, qui prend la forme de l’annonce du Royaume, du service du prochain et du don total de soi, même si cela doit conduire à la croix. Comme le Père a envoyé le Fils dans la puissance de l’Esprit Saint, ceux qui croient sont envoyés en mission afin de témoigner en paroles et en actes de l'amour du Dieu-Trinité.

3.     L'exemple et l'enseignement de Jésus Christ et de l’Église primitive doivent servir de guide à la mission chrétienne. Pendant deux millénaires, les chrétiens ont cherché à suivre le chemin du Christ en partageant la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu (cf. Lc 4,16-20).

4.     Le témoignage chrétien dans un monde pluraliste implique d’entamer un dialogue avec des personnes de différentes religions et cultures (cf. Ac 17,22-28).

5.     Si dans certains contextes, vivre et annoncer l’Évangile est difficile, entravé, voire même interdit, les chrétiens demeurent chargés par le Christ de Lui rendre témoignage, fidèles et solidaires entre eux (cf. Mt 28,19-20 ; Mc 16,14-18 ; Lc 24,44-48 ; Jn 20,21 ; Ac 1,8).

6.     Si des chrétiens vivent la mission de façon inadéquate, en ayant recours à la supercherie et à des moyens coercitifs, ils trahissent l'Évangile et peuvent causer des souffrances aux autres. De tels manquements appellent au repentir et nous rappellent que nous avons besoin de la grâce permanente de Dieu (cf. Rm 3,23).

7.     Les chrétiens affirment que s’ils ont pour responsabilité d'être témoins du Christ, la conversion est en dernier ressort l’œuvre de l’Esprit Saint (cf. Jn 16,7-9 ; Ac 10,44-47). Ils reconnaissent que l’Esprit souffle où il veut de telle sorte qu’aucun être humain ne le contrôle (cf. Jn 3,8).

Principes

Les chrétiens sont appelés à suivre les principes suivants pour accomplir comme il se doit le mandat reçu du Christ lui-même, en particulier dans des contextes interreligieux :

1. Agir dans l'amour de Dieu. Les chrétiens croient que Dieu est la source de tout amour et, en conséquence, dans leur témoignage ils sont appelés à mener une vie marquée par l’amour et à aimer leur prochain comme eux-mêmes (cf. Mt 22,34-40 ; Jn 14,15).

2. Imiter Jésus Christ. Dans tous les aspects de la vie, et particulièrement dans leur témoignage, les chrétiens sont appelés à suivre l'exemple et les enseignements de Jésus Christ, partageant son amour, rendant gloire et honneur à Dieu le Père dans la puissance de l’Esprit Saint (cf. Jn 20,21-23).

3. Manifester les vertus chrétiennes. Les chrétiens sont appelés à se conduire avec intégrité, charité, compassion et humilité, et à surmonter toute forme d’arrogance, de condescendance et de dénigrement (cf. Ga 5,22).

4. Accomplir des actes de service et de justice. Les chrétiens sont appelés à pratiquer la justice et aimer avec tendresse (cf. Mi 6,8). Ils sont en outre appelés à servir les autres et à reconnaître ainsi le Christ dans les plus petits de leurs frères et sœurs (cf. Mt 25,45). Les actes de service tels que l'éducation, les soins de santé, le secours et les actes de justice et de défense des causes font partie intégrante du témoignage rendu à l'Évangile. L'exploitation des situations de pauvreté et de nécessité n'a aucune place dans l’action chrétienne. Les chrétiens doivent dénoncer et s'abstenir d’offrir toutes formes d'artifices, y compris des incitations et des récompenses financières, dans leurs actes de service.

5. Faire preuve de discernement dans le ministère de guérison. En tant que partie intégrante de leur témoignage rendu à l'Évangile, les chrétiens exercent des ministères de guérison. Ils sont appelés à faire preuve de discernement lorsqu'ils accomplissent ces ministères, dans le respect absolu de la dignité humaine, s'assurant que la vulnérabilité des personnes et leur besoin de guérison ne sont pas exploités.

6. Rejeter la violence. Les chrétiens sont appelés à rejeter toutes les formes de violence, y compris psychologique ou sociale, et tout abus de pouvoir dans leur témoignage. Ils rejettent également la violence, la discrimination injuste ou la répression par n'importe quelle autorité religieuse ou laïque, notamment la violation ou la destruction des lieux de culte, des symboles sacrés ou des textes.

7. Respecter la liberté de religion et de croyance. La liberté religieuse, qui comprend le droit de professer publiquement, de pratiquer, de diffuser et de changer de religion, découle de la dignité même de la personne humaine, qui se fonde sur le fait que tous les êtres humains sont créés à l'image et la ressemblance de Dieu (cf. Gn 1,26). Ainsi, tous les êtres humains sont égaux en droits et en responsabilités. Quand une religion, quelle qu’elle soit, est manipulée à des fins politiques, ou quand une religion est l’objet de persécutions, les chrétiens sont appelés à rendre un témoignage prophétique dénonçant ces actions.

8. Œuvrer dans le respect mutuel et la solidarité. Les chrétiens sont appelés à s’engager à œuvrer avec tout individu dans un esprit de respect mutuel, afin de promouvoir ensemble la justice, la paix et l’intérêt commun. La coopération interreligieuse est un aspect essentiel d'un tel engagement.

9. Respecter tous les individus. Les chrétiens reconnaissent que l'Évangile remet en question et enrichit les cultures. Même si l'Évangile remet en question certains aspects des cultures, les chrétiens sont appelés à respecter tout individu. Les chrétiens sont appelés également à discerner les éléments de leur propre culture contestés par l’Évangile.

10. Renoncer à tout témoignage faussé. Les chrétiens doivent s’exprimer avec sincérité et respect ; ils doivent écouter afin de mieux connaître et comprendre les croyances et les pratiques des autres ; ils sont encouragés à reconnaître et à apprécier ce qui est vrai et bon en l’autre. Tout commentaire ou approche critique doit avoir lieu dans un esprit de respect mutuel, en veillant à ne pas rendre un témoignage faussé des autres religions.

11. Veiller au discernement personnel. Les chrétiens doivent reconnaître que tout changement de religion est un pas décisif qui doit être accompagné d’un temps suffisant pour y réfléchir et s’y préparer de manière ajustée, au moyen d’un processus qui garantisse la pleine liberté individuelle.

12. Consolider les relations interreligieuses. Les chrétiens doivent continuer à construire des relations de respect et de confiance avec les fidèles des autres religions, de manière à faciliter une plus grande intercompréhension, la réconciliation et la coopération dans l’objectif de l’intérêt commun.

Recommandations

La troisième consultation organisée par le Conseil œcuménique des Églises et le CPDI du Saint-Siège, en collaboration avec l’Alliance évangélique mondiale et avec la participation des plus importantes familles de la foi chrétienne (catholique, orthodoxe, protestante, évangélique et pentecôtiste), a travaillé dans un esprit de coopération œcuménique pour préparer le présent document à l’attention des Églises, des organisations confessionnelles nationales et régionales et des organisations missionnaires, tout particulièrement celles qui œuvrent dans des contextes interreligieux, et leur formule les recommandations suivantes :

1. Étudier les questions présentées dans le présent document et, là où cela s’avère utile, formuler desdirectives pour la conduite à suivre concernant le témoignage chrétien, selon leur contexte particulier. Dans la mesure du possible, ceci devrait se faire de manière œcuménique et en consultation avec des représentants d'autres religions.

2. Établir des relations de respect et de confiance avec les personnes de toutes les religions, en particulier au niveau institutionnel entre les Églises et les autres communautés religieuses, en entretenant un dialogue interreligieux continu dans le cadre de leur engagement chrétien. Dans certains contextes, là où des années de tension et de conflit ont engendré de profondes méfiances et ébranlé la confiance dans et entre les communautés, le dialogue interreligieux peut offrir de nouvelles possibilités de résolution des conflits, de restauration de la justice, de guérison des mémoires, de réconciliation et de consolidation de la paix.

3. Encourager les chrétiens à renforcer leur propre identité religieuse et leur foi, tout en approfondissant leur connaissance et leur compréhension des différentes religions, et ce en tenant compte également des perspectives des fidèles de ces religions. Les chrétiens doivent faire attention à ne pas se faire une opinion erronée des croyances et des pratiques des personnes pratiquant d’autres religions.

4. Coopérer avec les autres communautés religieuses en agissant concrètement au niveau interreligieux en faveur de la justice et de l’intérêt commun et, dans la mesure du possible, en faisant preuve ensemble de solidarité à l’égard des personnes qui sont dans des situations de conflit.

5. Appeler les gouvernements à faire en sorte que la liberté religieuse soit correctement et globalement respectée, en reconnaissant que, dans de nombreux pays, on entrave le travail missionnaire des institutions religieuses et des individus.

6. Prier pour leur prochain et leur bien-être, la prière faisant partie intégrante de ce que nous sommes et de ce que nous faisons, comme elle l’est de la mission du Christ.

Annexe : Contexte du document

1. Dans le monde actuel, il existe une collaboration croissante entre chrétiens ainsi qu’entre chrétiens et fidèles des différentes religions. Le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux (CPDI) du Saint-Siège et le Programme de coopération et dialogue interreligieux du Conseil œcuménique des Églises (COE-CDIR) collaborent de longue date dans ce cadre. Parmi les thèmes abordés en commun par le PCDI et le COE-CDIR figurent le mariage interreligieux (1994-1997), la prière interreligieuse (1997-1998) et la religiosité africaine (2000-2004). Le présent document est le résultat de leur travail conjoint.

2. Le monde connaît actuellement une recrudescence des tensions interreligieuses, entraînant violence et perte de vies humaines. La politique, l’économie et d'autres facteurs jouent un rôle dans ces tensions. Les chrétiens sont parfois aussi impliqués dans ces conflits, volontairement ou involontairement, qu’ils soient persécutés ou qu’ils participent à la violence. Face à cet état de fait, le PCDI et le COE-CDIR ont décidé d'aborder ces questions à travers un processus concerté visant à élaborer des recommandations communes concernant la conduite du témoignage chrétien. Le COE-CDIR a invité l’Alliance évangélique mondiale (AEM) à participer à ce processus, ce qu’elle a accepté avec joie.

3. Deux premières consultations ont eu lieu : tout d’abord à Lariano, en Italie, en mai 2006, où s’est déroulé une consultation intitulée « Évaluer la réalité ». Les représentants de différentes religions y ont fait part de leurs opinions et de leurs expériences sur la question de la conversion. Dans une déclaration publiée à cette consultation on peut lire notamment : « Nous affirmons que si toute personne a le droit d’en inviter d’autres à mieux comprendre sa religion, ceci ne doit pas se faire en violant les droits et les sensibilités religieuses d’autrui. La liberté religieuse nous donne pour responsabilité tout aussi non négociable de respecter les religions qui ne sont pas la nôtre et de ne jamais les dénigrer, les diffamer ou d’en faire des représentations faussées dans le but d’affirmer la supériorité de notre religion ».

4. La deuxième consultation, qui rassemblait des chrétiens de diverses traditions, s’est tenue à Toulouse, en France, en août 2007, pour se pencher sur les mêmes problématiques. Les thèmes touchant à la famille, la communauté, le respect d’autrui, l'économie, le commerce et la concurrence, et la violence et la politique ont été discutés en détails. Les questions pastorales et missionnaires liées à ces thèmes sont devenues la base de la réflexion théologique et des principes développés dans le présent document. Chaque question a son importance et mériterait davantage d'attention que celle qu’on peut lui accorder dans les présentes recommandations.