vendredi 25 mars 2016

Vers Pâques...

Jean 20, 1-18 avec Marie de Magdala...

A l'aube de Pâques, les disciples n'assistent pas à la Résurrection de Jésus, ils ne voient pas ce que tant de tableaux représentent: un Christ, véritable Hercule, plein de force et de puissance qui force les portes de son tombeau, ou qui le piétine avec à sa main le sceptre des empereurs victorieux ! Rien de tel au matin de Pâques selon les évangiles, rien de spectaculaire! Il n'y a qu'un tombeau vide… et tout reste encore à interpréter de cet événement mystérieux.

Un tombeau vide...

Il y a un certain risque en effet à Pâques de vouloir imposer une sorte de joie obligatoire, une certitude sans failles, une foi inébranlable, mais qui risque de n'être qu'une parenthèse dans les brouillards de nos vies quotidiennes, des luttes que nous avons à mener contre nos peurs, nos questions, nos réticences.

Pâques pourra alors être célébré rituellement, être chanté avec ferveur, prêché avec conviction, mais le retour à la réalité peut faire mal, et les enthousiasmes artificiels nous décevoir .




Avant d'exulter de la joie pascale, peut-être vaut-il mieux suivre le chemin moins triomphant, plus modeste de Marie de Magdala.

Chemin, passage, Pâque du coeur vide de tristesse et de détresse, à la parole pleine du témoignage.
Chemin, passage, Pâque de l'obsession mortifère, qui nous replie sur nous-mêmes, nous isole et nous cloue sur place rivés à notre chagrin, à la mission qui nous conduit à la rencontre des frères et soeurs porteurs d'une parole de vie.

Tant il est vrai que dans ce récit , il est avant tout question de la Résurrection ...de Marie de Magdala, de sa foi ressuscitée , re-suscitée par la Parole d'appel de son Seigneur ..plus que d'un reportage sur la résurrection "objective", "historique" de Jésus.
Ou, pour le dire autrement, nous ne pouvons avoir accès à la Résurrection de Jésus que par l'intermédiaire des vies ressuscitées des disciples et de leurs paroles porteuses de confiance et d'espérance. Il ne peut y avoir de connaissance froide, rationnelle, scientifique de l'événement de Pâques, des preuves évidentes aux yeux de tous de la Résurrection de Jésus...Mais il ne peut y avoir qu'une connaissance chaude, existentielle, qui concerne toute notre vie, une re-connaissance dans la foi.
C'est seulement quand le Christ nous appelle par notre nom, quand il nous rappelle à notre vocation, alors que nous doutions de tout, et surtout de nous ! que nous pouvons entrer dans ce mouvement de reconnaissance .Il nous faut nous-mêmes opérer un passage, une pâque, un retournement ...pour pouvoir témoigner de façon crédible de la Pâque du Seigneur.
Autant de cheminements , de démarches spirituelles que de disciples: chacun vit à son rythme cet accès à la foi pascale:

- Il y a d'abord le cheminement ou plutôt la course de Jean, le disciple que Jésus aimait. Jean le mystique, l'intuitif, qui au coeur du tombeau "voit et croit", fait l'expérience à travers le vide, dans la nuit, dans la perte, d'une présence plus forte que tout et qui l'illumine. Jean le disciple que Jésus aimait et qui sait qu'il n'y a pas de plus grande voie que celle de l'amour pour parvenir à la connaissance de Dieu et à la reconnaissance de la Résurrection.

Et tant mieux si parmi nous il y a des personnes qui ont cette foi sans ombres, cette foi instantanée, cette foi qui les fait entrer dans le monde de Dieu et leur permet alors de tout regarder dans Sa lumière éternelle .

- Il y a le cheminement de Pierre le réaliste , l'homme de l'institution et du bon sens, celui qui fait le détail de tout ce qui se trouve dans le tombeau et qui aimerait avoir des conclusions logiques à cette énigme .

Nous pouvons aussi cheminer avec Pierre lorsque nous sommes embourbés dans toutes les bonnes raisons que nous avons de ne pas croire; quand nous opposons tout ce qui nous semble être du "bon sens" et du "réalisme" à l'Incroyable message de Pâques. Quand nous nous laissons envahir par tous les bruits du monde, toutes les habitudes de notre société de consommation, tous les raisonnements de notre intelligence à l'horizon bornée et découvrons alors avec Pierre que la résurrection n'est pas une énigme à résoudre mais un mystère auquel s'ouvrir.

-Et enfin, il y a le cheminement lent de Marie de Magdala , peut-être plus proche de nous, de moi en tout cas, plus proche de nos tâtonnements et hésitations , de nos doutes et de nos envies de croire, de nos douleurs et de nos pleurs, de nos peurs et de nos enfermements.

Ne soyons donc pas culpabilisés de nos lenteurs à croire et entrons dans la voie tracée par Marie Madeleine:

Pour elle, le tombeau vide au matin de Pâques ne signifie pas le triomphe et la victoire de Jésus sur la mort . Mais ce vide fait redoubler le sentiment de l'absence de Jésus. Ce vide vient amplifier la séparation d'avec son maître aimé et sa solitude. Le tombeau vide vient faire écho à son propre vide intérieur. Au matin de Pâques, Marie ne rayonne pas de joie, mais au contraire redouble de tristesse. Nous voyons en elle le vide de la foi, le désarroi, la course panique et le refrain obsessionnel "Ils ont enlevé le corps du Seigneur et nous ne savons où ils l'ont mis."

Elle n'a plus rien à quoi se raccrocher, même si elle cherche seulement à se raccrocher à un cadavre, à des rites d'embaumement qui domestiquent la mort . Ses mains se referment sur le vide. Et c'est bien son premier "passage", même s'il nous semble négatif ou douloureux . Pour reconnaître le Ressuscité et la Vie victorieuse, elle doit en quelque sorte passer par le vide et la mort . Ce vide l'amène à lâcher prise , à admettre la perte et son côté irrémédiable, à renoncer à embaumer un cadavre, renoncer à toute "chosification" ...ou à toute idéologie, qui n'est rien d'autre qu'une chosification de l'esprit ... Elle doit aller jusqu'au bout de cette "nuit obscure" où il n'y a plus rien , que le vide de la pensée, le vide des sentiments, le vide de la foi .

Car ce vide permet le passage, nous permet de nous désencombrer de tout ce que nous jugions important et qui se révèle un obstacle sur le chemin de la vie. Il y a une traversée des apparences, traversée des illusions pour entrevoir la Vérité.
Mais comment faire pour que ce moment de "vide", de "dépression" soit réellement passage vers une vie autre ? une vie plus pleine?
Et ne soit pas l'immobilisme de la déception ? du désespoir ?
Comment pouvoir lire les signes de Dieu ? Voir dans ce tombeau vide non pas une absence redoublée , mais l'affirmation d'une vie plus forte que la mort ?

Marie ne va pas trouver cette force en elle-même. Ce qui va la faire sortir de sa rumination obsessionnelle et de sa léthargie , c'est une Parole extérieure à elle-même . Non pas un traité théologique sur la Résurrection, ni une explication rationnelle de ce qui s'est passé cette nuit-là, mais la Parole de Jésus, parole d'au-delà de la mort et du tombeau.

Parole qui va la ressusciter , qui va la reconduire à elle-même et à son Seigneur. Une parole qui la nomme "Marie" et la fait entrer à nouveau dans la relation non plus avec un cadavre mais avec le Vivant qui la ramène à la vie, par-delà le vide.

Jésus avait évoqué cette parole intime dans sa parabole du berger "Les brebis qui lui appartiennent , le berger les appelle chacune par son nom et il les amène dehors".

Marie peut alors sortir de sa tristesse ..sortir de l'enclos d'une vie où la mort et le désespoir sont le seul horizon.

Parole de nomination, de vocation, d'appel comme le jour de notre baptême : "Ne crains rien, je t'ai appelé par ton nom, tu m'appartiens" et qui fait de notre vie de nouveau un tout cohérent.

Parole qui résonne si fort dans le coeur vide de Marie que cela l'amène à la reconnaissance: "Rabbouni- Maître" ..Reconnaissance qui signifie pour elle une renaissance. C'est parce qu'elle reçoit à nouveau vocation alors que tout semblait terminer que Marie peut entrer dans la joie de la Résurrection. Et cette vocation est en même temps envoi et mission:

car Marie ne doit pas revenir en arrière, comme si Jésus n'avait pas traversé la mort .Elle ne revient pas avant Vendredi Saint. La foi en la Résurrection n'abolit pas l'absence.

Elle ne doit pas "chosifier" le Ressuscité : "Ne me retiens pas", mais elle devient missionnaire de l'Evangile, d'une Parole de Vie et d'espérance, d'une Parole ressuscitante...d'autant plus crédible que cette parole a eu le temps de mûrir dans la tristesse et les larmes.

"Va trouver mes frères et dis leur que je monte vers mon Père qui est votre Père, vers mon Dieu, qui est votre Dieu"

Le vide n'est pas comblé, l'absence physique de Jésus demeurera ...mais ce vide prend une toute nouvelle signification: la participation de Jésus à la Vie même de Dieu .

Cette absence se transforme alors en une nouvelle forme de présence: communion donnée et expérimentée, pour ceux qui se reconnaissent frères et soeurs et enfants d'un même Père, au coeur de l'Eglise et du monde.

Jean devant le tombeau vide "voit et croit"; Pierre doit raisonner pour finir au-delà de toute raison par accepter le mystère; Marie-Madeleine doit traverser le vide de son cœur pour accueillir cette Parole qui la remplit de joie… Autant de disciples, autant de cheminements différents pour accéder à cette Vie en Plénitude que le Ressuscité veut donner à chacun.

Tant mieux s’il y a ici des personnes pour qui la résurrection est évidente et simple à croire ! tant mieux s’il y a ici, des hommes et des femmes pour qui cela n’a rien d’évident et qui ont besoin d’un chemin ; Tant mieux si ce matin chacun a notre manière nous sommes prêts à croire une parole qui nous ressuscite qui nous nomme et nous appelle nous envoie vers les autres pour partager cette grande nouvelle : la vie sera toujours plus grande que la mort ; l’amour de Dieu et des autres sera toujours plus fort que toute haine et toute séparation. Dieu vient dans la partage du pain et du vin nous donner cette vie et cet amour ; il vient chez le tout petit ; il vient chez le tout âgé ; il vient dans le silence et le trouble , il vient dans la question comme dans la réponse qu’il nous donne aujourd’hui et tous les jours.



mardi 8 mars 2016

A propos de Passion ou de moment difficile...


Matthieu 26, 36-75

A Gethsémané : solitude ; arrestation, solitude. Situation de déréliction.  « Alors les disciples l’abandonnèrent tous et prirent la fuite ». Les fondateurs de l’Eglise chrétienne ne sont pas des héros ! La fin de Jésus n’est en rien miraculeuse. On ne se soucie pas de ceux qui sont perdu ou qui semble perdu. Le fils de Dieu est en état d’arrestation, le gardé à vue est sans avocat ni à la première heure ni à la dernière.  Comment se fait-il que cette histoire dure depuis si longtemps. Aucune religion ne connaît pareil dénouement et nous raconte la fuite du premier cercle. La religion celle de Caïphe décrète le blasphème. Lorsque des puissants disent qu’il y a blasphème, il faut craindre le pire. C’est une accusation d’intolérance et de confiscation de toute liberté.

Matthieu 27, 1-44

La mort du premier et important disciple est le suicide. Comme un général romain vaincu, trahison, affaire d’argent, comment recycler cet argent sanglant ? Rien ne nous est épargner comme pour nous dire que nous ne rêvons pas que la réalité est pleine de cela et en même temps de présence de celui qui ne dit pas grand-chose. Après la religion voici la politique ambigüe celle qui veut plaire à la foule au peuple qui ne veut pas d’histoire ; si on agit dans le sens de ce que demande le peuple qui veut toujours des coupables vrais ou faux peu importe.  Ce qui hante l’écrivain biblique ce sont des résonnances scripturaires : Zacharie, Jérémie, les Psaumes sont requis pour nous dire que ce qui se passe on peut en lire en relire des traces dans les textes anciens. Tout n’est pas prévisible, mais ce qui a été écrit contient du sens de la signification, contient une direction pour ne pas devenir fou devant cette histoire tragique.

Matthieu 27, 45-66

L’évangéliste décrit la mort du Christ d’abord avec le fameux : Pourquoi ? Pourquoi toi aussi Dieu !  Tu me laisse seul. Avoir le droit de crier à Dieu sa solitude son angoisse sa peur ; c’est sans doute le point de départ de la foi. Elle est l’assurance de rien, avant de retrouver le chemin de la confiance. Sentiment de l’absence et sentiment de confiance sont mêlés, intriqués, noués ensemble. Matthieu décrit aussi ce moment comme une fin du monde un cataclysme, un tremblement de terre, comme une apocalypse, qui révèle un changement radical. Les images religieuses de Dieu volent en éclats, rien ne se passent et ne se passera plus comme avant ; il y aura désormais un avant Jésus Christ et un après.  Ce sont les sans grades, inconnus ou discrets des femmes souvent courageuses, un homme riche plein de bon sens, qui s’occupent encore de Lui, de son corps. Ils font œuvre d’humanité comme des Antigones, au cœur même de l’inhumanité.  Les pouvoirs eux continus à sécuriser avec la garde et surtout par la pierre déposée, ils assurent que rien ne doit bouger, tout est bien fini.

L’espérance de Pâques précisément sera que rien n’est jamais fini.