samedi 24 mars 2012

Rameaux de Palmiers

Evangile selon Jean ch 12 :

    Le lendemain, la grande foule qui était venue pour la fête entendit dire que Jésus venait à Jérusalem ; les gens prirent des branches de palmiers et sortirent au–devant de lui, en criant : Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, le roi d’Israël. Jésus trouva un ânon et s’assit dessus, selon ce qui est écrit :

        N’aie pas peur, fille de Sion ; ton roi vient, assis sur le petit d’une ânesse.

          Ses disciples ne comprirent pas cela tout d’abord ; mais quand Jésus fut glorifié, alors ils se souvinrent que cela était écrit à son sujet, et qu’ils avaient fait cela pour lui.

La foule qui était avec lui quand il avait appelé Lazare du tombeau pour le réveiller d’entre les morts lui rendait témoignage.

C’est pourquoi la foule vint au–devant de lui : elle avait entendu dire qu’il avait produit ce signe.

 Les pharisiens se dirent donc les uns aux autres : Vous voyez que vous n’y pouvez rien : le monde s’en est allé à sa suite !

Il y avait quelques Grecs parmi les gens qui étaient montés pour adorer pendant la fête.

S’étant approchés de Philippe, qui était de Bethsaïda, en Galilée, ils lui demandaient : Seigneur, nous voudrions voir Jésus...

 

Psaume 92, 13 : « le juste pousse comme un palmier »


 Lectures : Psaume 92 puis  Deut. 34, 1- 6 (Jéricho la ville des Palmiers) et Jean 12, 12- 21

 La fête des rameaux, l’entrée presque triomphale de Jésus dans la capitale est, comme toute manifestation glorieuse, dangereuse et ambiguë. C’est l’unique manifestation triomphale de Jésus décrite dans les évangiles. L’Eglise chrétienne a souvent associé ce jour d’acclamation à la gloire de Pâques. Est-ce bien raisonnable ? Quelle est l’ambition ou quel est le quiproquo des rameaux ? Jésus vient comme roi, mais quel roi ? Comme Seigneur et comme serviteur comme crucifié et comme ressuscité !
Le christianisme  a eu,  depuis toujours,  des liens des relations difficiles avec les pouvoirs : Soit loin du pouvoir avec le risque de la secte ou de la perte d’influence sur les réalités du monde et de l’histoire…Soit collusion ou partage du pouvoir avec un effet de domination et de radicalisation …Soit encore distance et lien en même temps : refus de sacraliser les pouvoirs humains et bienveillance et neutralité si ces pouvoirs accepte le religieux sans le contraindre.  On le sait bien, les protestants français sont heureux de la laïcité !
Ce jour là, tout ce que Jésus avait fait et dit en Galilée, se trouve  rassemblé dans la joie, la reconnaissance et l’espérance éphémère d’un salut non plus seulement personnel mais aussi communautaire ou national. Ainsi va l’humanité et les groupes humains : de la forte espérance à la déception. La foule est versatile, elle peut brûler ce qu’elle a adoré ; elle peut adorer ce qu’elle a méprisé. Toute l’histoire des peuples est faite de ces renversements qui invitent à la prudence et à la retenue manifestée par Jésus, étrangement silencieux le jour des rameaux.
Ce jour de victoire ambiguë, ce jour d’exaltation, est le commencement d’une semaine de tous les dangers et même du danger mortel, avec les mêmes acteurs.
La foule sera déçue par Jésus : au cri de sauve-nous ! de l’envahisseur et de l’occupant : Il restera complètement insensible, jusqu’à entendre bientôt : Crucifie-le ! Aux marques de reconnaissances et d’intronisation royale il préfèrera le dénuement et partager son sort avec des condamnés ordinaires.
Dieu, en Christ est venu donner du sens, du sel, du souffle à la vie des hommes et des femmes et non du pouvoir. Dieu en Christ est venu donner une responsabilité de service des autres et non promettre et décerner la gloire tant attendue des personnes des nations ou des valeurs qui font vivre les hommes. Le chemin choisi par Dieu en Jésus Christ n’est pas notre chemin, il vient en quelque sorte croiser, traverser, parcourir, rattraper le plus souvent le nôtre. Le chemin de Dieu c’est comme une croisée des chemins entre le sien et les nôtres. On peut lire aussi la scène des rameaux, comme une croisée des chemins.
La fête des rameaux c’est aussi une fête d’accueil, une manifestation de joie et d’enthousiasme manifestée et illustrée  par… des branchages ; les évangiles synoptiques diront à la suite de Marc que  certains agitaient des feuillages qu’ils coupaient dans la campagne.
L’Evangile de Jean fait encore dans la grande originalité et dans le surplus de sens qu’il entend faire entendre aux lecteurs de son évangile : Il est le seul  à nous dirent qu’ils prirent des branches de Palmiers. Les rameaux chez lui ne sont ni des rameaux d’oliviers, ni de vulgaires branchages, ni des branches de buis à bénir, mais des branches de Palmiers.  Après la version animalière avec l’âne des Rameaux, voici donc venir la version botanique, qui nous invite à donner du sens à cet épisode afin qu’il concerne notre vie et notre foi.
Le Palmier comme signe et manifestation de la foi comme attente et espérance ; le palmier comme la reconnaissance d’une foi qui plonge ses racines dans le passé du peuple et dans l’histoire de sa relation avec son Dieu. Ce que nous raconte l’Exode c’est l’arrivée du peuple en colère avant les cailles et la manne dans une oasis Elim où il y avait 12 sources et 70 palmiers (Ex.15, 27) c’est le paradis ou le salut ou la plénitude  : 12 et 70 c’est le salut particulier à la dimension de l’universel ; La première reine ou plutôt la première juge en Israël c’est Déborah où croyez-vous qu’elle rende sa justice et ses décisions, sous un Palmier (Juges 4, 5) Puis vint la prise si pittoresque et si problématique de Jéricho que l’on nous décrit comme la ville des Palmiers ; Moïse mourant contemple ce pays promis qu’il ne connaîtra pas et dans sa description que voit-il aussi ? La ville des Palmiers. La Palmeraie par excellence ce n’est pas Jérusalem mais Jéricho tout proche sur la route où se distingua un samaritain qui s’approcha d’un homme au bord de la route.  
« Ils prirent des branches de Palmiers et sortirent à sa rencontre » La fête des rameaux c’est la fête des palmiers agités comme celle de l’attente d’un roi juste : le psalmiste disait déjà que « le juste pousse comme un palmier ». Le roi qui vient n’est pas quelconque et ordinaire puisqu’il est salué par des palmiers agités qui montre et rappelle à Jésus qu’il vient à la suite de nombreux épisodes de l’histoire de son peuple et qu’il incarne à ce moment là une espérance qui ne peut se dire que sous la forme du palmier, non du cèdre, non de l’olivier, non de la vigne. 
Les Rameaux, voyez-vous,  c’est la célébration du voir et non de l’entendre. La foule est venue voir ; elle est venue au spectacle ; elle est curieuse ; tout le monde est curieux de voir ce personnage. La foule des curieux de Lazare ils sont là pour ça ; même les Grecs sont là comme témoin d’une universalité du personnage de Jésus et eux aussi dit Jean veulent voir s’adressant à Philippe : nous voudrions voir Jésus. Les curieux qui montrent à Jésus le fond de leur espérance. En surface ils sont là pour un magicien en profondeur ils disent une demande explicite : Sauve-nous ! Hosanna  et une agitation implicite : les palmiers. Ils viennent voir comme au spectacle et Jésus a sous les yeux des palmiers agités il marche au milieu de deux rangées de palmiers. La foule vient voir Jésus le faiseur de signes étonnants, les disciples ne voient pas grand chose, mais ils se souviendront, quant à Jésus il voit des palmiers qui le reconnaissent qui s’agissent qui disent une nouvelle espérance.
Le palmier c’est l’assurance de la chute des murs ; la ville des palmiers c’est Jéricho, ce sont  les murs effondrés ; c’est la conquête la victoire sans se battre ; le palmier c’est la justice de Déborah c’est la relation juste retrouvée c’est la fin de ce qui sépare les humains entre des catégories qui n’auront plus de sens ; Le palmier est là pour dire une attente implicite et une reconnaissance de ce Dieu fait en Christ de ce que Dieu fait dans le personnage de Jésus lorsque la mort est vaincu que la pierre est ôtée ou que Jésus dit : Enlevez cette pierre !
Le palmier c’est tout le contraire des murs du temple c’est le contraire de la ville fortifiée et de la sacralisation des pierres, c’est tout le contraire de la lourdeur mortelle des pierres, celles des tombeaux et celles qui pèsent en nous. Le palmier c’est précisément le contraire de la pierre. Jésus voit la communauté nouvelle qui ne le sait pas encore ; il voit cette communauté vivante transparente agile qui vit au grand air, que rien ni personne ne peut enfermer dans un tombeau dans un souvenir dans une pierre. Jésus sera condamné dans la semaine à cause de son attitude et de ses propos à l’égard du temple qu’il se propose d’abattre et de faire revivre dans sa personne même. Le jour des rameaux il a la vision de cette communauté rassemblée provisoirement  et idéale qui sans le savoir ressemble plus à une palmeraie qu’à un sanctuaire fermé -  plus à l’ouverture et l’élancement d’un palmier qu’à l’enfermement dans des rites ou dans du sacré à bon marché.
Le rêve ou la vision du Christ le jour des Rameaux c’est une communauté de foi et de vie comme une palmeraie, notre foi et notre vie comme un palmier, qui produit donne du baume au cœur des autres qui donne de la nourriture, qui donne du mouvement et qui atteste que l’aridité la sécheresse est terminée et qu’il est possible désormais  de repartir. La foi comme une oasis ou la rencontre des autres n’a pas besoin de murs ou précisément ce qui est cru et confessé c’est que lui le roi des rameaux est venu abolir ce qui séparait les humains entre eux ; lui le roi des rameaux est venu réconciliait ce qui en nous et entre nous ne l’était pas encore. Pour Jésus le Christ, pour les disciples comme pour nous les rameaux, les palmiers agités est un moment qui fait (dattes) date ! Il sera ce moment nourrissant pour les disciples ils ne l’oublieront pas même si ce jour là ils n’en comprirent pas le sens.  Puisse le Christ de Dieu nous voir encore comme des palmiers reconnaissants.  Puissions-nous entretenir notre foi comme un palmier qui dira la gloire de Dieu et la reconnaissance du Fils.




lundi 19 mars 2012

Réaction du pasteur Cl. Baty président de la Fédération Protestante de France (AFP du 19/03/12)

Tuer des enfants est sans doute l’acte barbare par excellence. Quand s’ajoute, ce qui semble probable, un choix lié à la religion, notre horreur augmente. J’exprime mes vives condoléances aux familles endeuillées. Ces meurtres après ceux de Montauban, cherchent à diviser et à opposer dans la violence. Je souhaite qu’à la violence aveugle ne soit pas opposée la vengeance aveugle, mais la volonté de résister à l’engrenage violent pour rechercher la paix, malgré tout.

SOLDARITE avec l'AMITIE JUDEO CHRETIENNE DE FRANCE

L’Amitié Judéo-Chrétienne de France bouleversée.

L’Amitié Judéo-Chrétienne de France est plus que jamais aux côtés de la communauté juive, plus particulièrement de celle de Toulouse, de ces familles frappées par une effroyable barbarie.
La monstruosité de ces meurtres rappelle d’indicibles souvenirs. Quelle que soit la conclusion de l’enquête il s’agit à l’évidence de racisme, de l’antisémitisme le plus effrayant et le plus lâche, s’agissant d’assassiner de sang-froid des innocents, dont des enfants en bas âge.
Pasteur Florence Taubmann
Présidente de l'AJCF Secrétaire Général Directeur

Le 19 mars 1012

dimanche 11 mars 2012

Entretien avec Michel Serres : Petite Poucette, nouvelle mutante !

Vous annoncez qu’un «nouvel humain» est né. Qui est-il ?

Je le baptise Petite Poucette, pour sa capacité à envoyer des SMS avec son pouce. C’est l’écolier, l’étudiante d’aujourd’hui, qui vivent un tsunami tant le monde change autour d’eux. Nous connaissons actuellement une période d’immense basculement, comparable à la fin de l’Empire romain ou de la Renaissance.

Nos sociétés occidentales ont déjà vécu deux grandes révolutions : le passage de l’oral à l’écrit, puis de l’écrit à l’imprimé. La troisième est le passage de l’imprimé aux nouvelles technologies, tout aussi majeure. Chacune de ces révolutions s’est accompagnée de mutations politiques et sociales : lors du passage de l’oral à l’écrit s’est inventée la pédagogie, par exemple. Ce sont des périodes de crise aussi, comme celle que nous vivons aujourd’hui. La finance, la politique, l’école, l’Eglise… Citez-moi un domaine qui ne soit pas en crise ! Il n’y en a pas. Et tout repose sur la tête de Petite Poucette, car les institutions, complètement dépassées, ne suivent plus. Elle doit s’adapter à toute allure, beaucoup plus vite que ses parents et ses grands-parents. C’est une métamorphose !

Cette mutation, quand a-t-elle commencé ?

Pour moi, le grand tournant se situe dans les années 1965-1975, avec la coupure paysanne, quand la nature, notre mère, est devenue notre fille. En 1900, 70% de la population française travaillait la terre, ils ne sont plus que 1% aujourd’hui. L’espace vital a changé, et avec lui «l’être au monde», que les philosophes allemands comme Heidegger pensaient immuable. La campagne, lieu de dur travail, est devenue un lieu de vacances. Petite Poucette ne connaît que la nature arcadienne, c’est pour elle un terrain de loisirs et de tourisme dont elle doit se préoccuper. L’avenir de la planète, de l’environnement, du réchauffement climatique… tout est bousculé, menacé.

Prenons l’exemple du langage, toujours révélateur de la culture : il n’y a pas si longtemps, un candidat au concours de l’Ecole normale était interrogé sur un texte du XIXe siècle qui parlait de moissons et de labourage. Le malheureux ignorait tout le vocabulaire ! Nous ne pouvions pas le sanctionner, c’était un Petit Poucet qui ne connaissait que la ville. Mais ce n’est pas pour ça qu’il était moins bon que ceux des générations précédentes. Nous avons dû nous questionner sur ce qu’étaient le savoir et la transmission.

C’est la grande question, pour les parents et les enseignants : que transmettre entre générations ?

Déjà, Petit Poucet et Petite Poucette ne parlent plus ma langue. La leur est plus riche, je le constate à l’Académie française où, depuis Richelieu, on publie à peu près tous les quarante ans le dictionnaire de la langue française. Au siècle précédent, la différence entre deux éditions s’établissait à 4 000 ou 5 000 mots. Entre la plus récente et la prochaine, elle sera d’environ 30 000 mots. A ce rythme, nos successeurs seront très vite aussi loin de nous que nous le sommes du vieux français !

Cela vaut pour tous les domaines. A la génération précédente, un professeur de sciences à la Sorbonne transmettait presque 70% de ce qu’il avait appris sur les mêmes bancs vingt ou trente ans plus tôt. Elèves et enseignants vivaient dans le même monde. Aujourd’hui, 80% de ce qu’a appris ce professeur est obsolète. Et même pour les 20% qui restent, le professeur n’est plus indispensable, car on peut tout savoir sans sortir de chez soi ! Pour ma part, je trouve cela miraculeux. Quand j’ai un vers latin dans la tête, je tape quelques mots et tout arrive : le poème, l’Enéide, le livre IV… Imaginez le temps qu’il faudrait pour retrouver tout cela dans les livres ! Je ne mets plus les pieds en bibliothèque. L’université vit une crise terrible, car le savoir, accessible partout et immédiatement, n’a plus le même statut. Et donc les relations entre élèves et enseignants ont changé. Mais personnellement, cela ne m’inquiète pas. Car j’ai compris avec le temps, en quarante ans d’enseignement, qu’on ne transmet pas quelque chose, mais soi. C’est le seul conseil que je suis en mesure de donner à mes successeurs et même aux parents : soyez vous-mêmes ! Mais ce n’est pas facile d’être soi-même.

Vous dites que les institutions sont désuètes ?

Souvenez-vous de Domenech qui a échoué lamentablement à entraîner l’équipe de France pour le Mondial de foot. Il ne faut pas lui en vouloir. Il n’y a plus un prof, plus un chef de parti, plus un pape qui sache faire une équipe ! Domenech est en avance sur son temps ! Il faudrait de profondes réformes dans toutes les institutions, mais le problème, c’est que ceux qui les diligentent traînent encore dans la transition, formés par des modèles depuis longtemps évanouis.

Un exemple : on a construit la Grande Bibliothèque au moment où l’on inventait Internet ! Ces grandes tours sur la Seine me font penser à l’observatoire qu’avaient fait construire les maharajahs à côté de Delhi, alors que Galilée, exactement à la même époque, mettait au point la lunette astronomique. Aujourd’hui, il n’y a que des singes dans l’observatoire indien. Un jour, il n’y aura plus que des singes à la Grande Bibliothèque. Quant à la politique, c’est un grand chantier : il n’y a plus de partis, sinon des machines à faire élire des présidents, et même plus d’idéaux. Au XIXe siècle, on a inventé 1 000 systèmes politiques, des marxistes aux utopistes. Et puis plus rien, c’est bizarre non ? Il est vrai que ces systèmes ont engendré 150 millions de morts, entre le communisme, la Shoah et la bombe atomique, chose que Petite Poucette ne connaîtra pas, et tant mieux pour elle. Je pense profondément que le monde d’aujourd’hui, pour nous, Occidentaux, est meilleur. Mais la politique, on le voit, n’offre plus aucune réponse, elle est fermée pour cause d’inventaire. Ceci dit, moi non plus, je n’ai pas de réponses. Si je les avais, je serais un grand philosophe.

La seule façon d’aborder les conséquences de tous ces changements, c’est de suspendre son jugement. Les idéalistes voient un progrès, les grognons, une catastrophe. Pour moi, ce n’est ni bien ni mal, ni un progrès ni une catastrophe, c’est la réalité et il faut faire avec. Mais nous, adultes, sommes responsables de l’être nouveau dont je parle, et si je devais le faire, le portrait que je tracerais des adultes ne serait pas flatteur. Petite Poucette, il faut lui accorder beaucoup de bienveillance, car elle entre dans l’ère de l’individu, seul au monde. Pour moi, la solitude est la photographie du monde moderne, pourtant surpeuplé.

Les appartenances culturelles n’ont-elles pas pris de l’importance ?

Pendant des siècles, nous avons vécu d’appartenances, et c’est ce qui a provoqué bien des catastrophes. Nous étions gascons ou picards, catholiques ou juifs, riches ou pauvres, hommes ou femmes. Nous appartenions à une paroisse, une patrie, un sexe… En France, tous ces collectifs ont explosé, même si on voit apparaître des appartenances de quartier, des communautés autour du sport. Mais cela ne constitue pas les gens. Je suis fan de rugby et j’adore mon club d’Agen, mais cela reste du folklore, l’occasion de boire de bons coups avec de vrais amis… Quant aux intégrismes, religieux ou nationalistes, je les apparente aux dinosaures. Ma Petite Poucette a des amis musulmans, sud-américains, chinois, elle les fréquente en classe et sur Facebook, chez elle, partout dans le vaste monde. Pendant combien de temps lui fera-t-on encore chanter «qu’un sang impur abreuve nos sillons» ?

Que répondez-vous à ceux qui s’inquiètent de voir évoluer les jeunes dans l’univers virtuel des nouvelles technologies ?

Sur ce plan, Petite Poucette n’a rien à inventer, le virtuel est vieux comme le monde ! Ulysse et Don Quichotte étaient virtuels. Madame Bovary faisait l’amour virtuellement, et beaucoup mieux peut-être que la majorité de ses contemporains. Les nouvelles technologies ont accéléré le virtuel mais ne l’ont en aucun cas créé. La vraie nouveauté, c’est l’accès universel aux personnes avec Facebook, aux lieux avec le GPS et Google Earth, aux savoirs avec Wikipédia. Rendez-vous compte que la planète, l’humanité, la culture sont à la portée de chacun, quel progrès immense ! Nous habitons un nouvel espace… La Nouvelle-Zélande est ici, dans mon iPhone ! J’en suis encore tout ébloui !

Ce que l’on sait avec certitude, c’est que les nouvelles technologies n’activent pas les mêmes régions du cerveau que les livres. Il évolue, de la même façon qu’il avait révélé des capacités nouvelles lorsqu’on est passé de l’oral à l’écrit. Que foutaient nos neurones avant l’invention de l’écriture ? Les facultés cognitives et imaginatives ne sont pas stables chez l’homme, et c’est très intéressant. C’est en tout cas ma réponse aux vieux grognons qui accusent Petite Poucette de ne plus avoir de mémoire, ni d’esprit de synthèse. Ils jugent avec les facultés cognitives qui sont les leurs, sans admettre que le cerveau évolue physiquement.

L’espace, le travail, le savoir, la culture ont changé. Et le corps ?

Petite Poucette n’aura pas faim, pas soif, pas froid, sans doute jamais mal, ni même peur de la guerre sous nos latitudes. Et elle vivra cent ans. Comment peut-elle ressembler à ses ancêtres ? Ma génération a été formée pour la souffrance. La morale judéo-chrétienne, qu’on qualifie à tort de doloriste, nous préparait tout simplement à supporter la douleur, qui était inévitable et quotidienne. C’était ainsi depuis Epicure et les Stoïciens.

Savez-vous que Louis XIV, un homme pas ordinaire, a hurlé de douleur tous les jours de sa vie ? Il souffrait d’une fistule anale, qui n’a été opérée qu’au bout de trente ans. Son chirurgien s’est entraîné sur plus de 100 paysans avant… Aujourd’hui, c’est un coup de bistouri et huit jours d’antibiotiques. Je suis le dernier client de mon dentiste qui refuse les anesthésies, il n’en revient pas ! Ne plus souffrir, c’est un changement extraordinaire. Et puis, on est beaucoup plus beau aujourd’hui. Quand j’étais petit, les paysans étaient tous édentés à 50 ans ! Et pourquoi croyez-vous que nos aïeux faisaient l’amour habillés, dans le noir ? La morale, le puritanisme ? Rigolade ! Ils étaient horribles, tout simplement. Les corps couverts de pustules, de cicatrices, de boutons, ça ne pouvait pas faire envie. La fraise, cette collerette que portaient les nobles, servait à cacher les glandes qui éclataient à cause de la petite vérole ! Petite Poucette est jolie, elle peut se mettre toute nue, et son copain aussi. Quand on la prend en photo, elle dit «cheese», alors que ses arrière-grands-mères murmuraient «petite pomme d’api» pour cacher leurs dents gâtées.

Ce sont des anecdotes révélatrices. Car c’était au nom de la pudeur, et donc de la religion et de la morale, qu’on se cachait. Tout cela n’a plus cours. Je crois aussi que le fait d’être «choisi» lorsqu’on naît, à cause de la contraception, de l’avortement, est capital dans ce nouvel état du corps. Nous naissions à l’aveuglette et dans la douleur, eux sont attendus et entourés de mille soins. Cela ne produit pas les mêmes adultes.

L’individu nouveau a une très longue vie devant lui, cela change aussi la façon d’appréhender l’existence

Une longue vie devant et aussi derrière lui. L’homme le plus cultivé du monde des générations précédentes, l’uomo di cultura, avait 10 000 ans de culture, plus un peu de préhistoire. Petite Poucette a derrière elle 15 milliards d’années, du big bang à l’homo sapiens, le Grand Récit n’est plus le même ! Et on est entrés dans l’ère de l’anthropocène et de l’hominescence, l’homme étant devenu l’acteur majeur du climat, des grands cycles de la nature. Savez-vous que la communauté humaine, aujourd’hui, produit autant de déchets que la Terre émet de sédiments par érosion naturelle. C’est vertigineux, non ? Je suis étonné que les philosophes d’aujourd’hui, surtout préoccupés par l’actualité et la politique, ne s’intéressent pas à ce bilan global. C’est pourtant le grand défi de l’Occident, s’adapter au monde qu’il a créé. Un beau sujet philosophique.


samedi 3 mars 2012

Les chemins de la métamorphose : Ecoutez-le !

Evangile selon Marc ch : 9

2  Six jours après, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean et les emmène seuls à l’écart sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux,

3  et ses vêtements devinrent éblouissants, si blancs qu’aucun foulon sur terre ne saurait blanchir ainsi.

4  Elie leur apparut avec Moïse ; ils s’entretenaient avec Jésus.

5  Intervenant, Pierre dit à Jésus : « Rabbi, il est bon que nous soyons ici ; dressons trois tentes : une pour toi, une pour Moïse, une pour Elie. »

6  Il ne savait que dire car ils étaient saisis de crainte.

7  Une nuée vint les recouvrir et il y eut une voix venant de la nuée : « Celui–ci est mon Fils bien–aimé. Ecoutez–le ! »

8  Aussitôt, regardant autour d’eux, ils ne virent plus personne d’autre que Jésus, seul avec eux.

9  Comme ils descendaient de la montagne, il leur recommanda de ne raconter à personne ce qu’ils avaient vu, jusqu’à ce que le Fils de l’homme ressuscite d’entre les morts.

10  Ils observèrent cet ordre, tout en se demandant entre eux ce qu’il entendait par « ressusciter d’entre les morts ».

Lire aussi livre de la Genèse ch. 9, 1-29 et Romains 8, 31-39

Les évangiles synoptiques nous racontent tous, un texte de transfiguration. Après le baptême de Jésus où est signifié sa qualification et sa reconnaissance de Fils ; avant la résurrection où sera signifiée sa présence en tous lieux et en tout temps : voici, au centre des évangiles, le texte de la métamorphose, celui du changement de la transformation tournée vers une exhortation : Ecoutez-le !
Chaque évangéliste raconte bien sûr avec sa spécificité et son intérêt particulier ; Matthieu souligne l’effroi des disciples médusés par une telle apparition et l’apaisement de Jésus : soyez sans crainte ; Luc place cet épisode dans le cadre qui lui est familier celui de la prière de Jésus. Matthieu et Luc parlent non seulement du vêtement mais aussi du visage de Jésus qui est transfiguré-métamorphosé et qui brille comme le soleil dira même Matthieu ; ce détail visuel deviendra le support de la foi vivante dans la contemplation du visage du Christ dans la tradition orthodoxe de l’icône.
En cliquant le terme « métamorphoses » sur un moteur de recherche informatique célèbre, deux lignes de compréhension apparaissent :
    La première est classique et savante : le champion des transformations ou des métamorphoses c’est le poète latin Ovide qui raconte longuement au début de l’ère chrétienne les métamorphoses ou transformations des dieux et des héros afin  de rendre compte de l’état de la création du monde et des forces qui le régissent ; pour s’amuser et dominer les puissants se métamorphosent ou sont transformés pour arriver à leur fin. Le tout culmine dans la métamorphose suprême racontée par Ovide, du divin Jules-César en une étoile céleste.
    La deuxième ligne concerne un nouveau métier : si vous chercher du travail passez par les services d’un re-looking ; laissez-vous transformer car votre allure, votre coiffure, vos vêtements ne sont pas conformes aux désirs aux besoins aux standards d’un employeur qui veut plaire à sa clientèle. Soyez métamorphosés selon les images et les goûts du jour pour être au top ! au mieux de votre forme et de votre allure.

La transfiguration de Jésus racontée par les évangélistes n’est pas une comédie plaisante ; elle n’est pas une trouvaille d’un dieu en mal d’existence ; elle n’est pas un truc, une illusion, un faire-semblant, un faire-valoir pour mieux plaire.
 A quoi sert donc cet étrange récit et comment peut-il nous aider à vivre notre vie et notre foi ?
Ce récit, me semble-t-il, éclaire plusieurs niveaux, plusieurs chemins, plusieurs manières de croire et de comprendre ce qui se passe lorsque Dieu intervient. La transfiguration ressemble bien à un cheminement, une catéchèse et un parcours qui nous invitent, et nous attendent.
 
1-  Alors que le baptême et la tentation étaient des moments personnels vécus par Jésus et ensuite racontés ; la transfiguration est une expérience religieuse ou spirituelle vécue à plusieurs.  Mais ou les uns et les autres vivent des choses et entendent des réalités différentes et diverses. Dans un cas Marc les disciples présents ne savent pas que dire car ils avaient peur ; mais en même temps, Pierre dérape complètement et veut s’installer là avec tout le monde ; ils s’entendent dire qu’il ne faut rien dire à personne et sont perplexes lorsqu’on leur parle de résurrection des morts.
La foi chrétienne nous propose une vie communautaire non seulement pour nous aider les uns les autres mais aussi pour nous interroger ensemble et partager des questions ou des évidences vite dites.
2- On pourrait dire que les disciples présents Pierre Jacques et Jean sont à leur tour transformés métamorphosés devant le changement qui s’opère sous leurs yeux. La foi, Dieu en action suscite non pas la révélation publique mais la préparation la catéchèse l ‘apprentissage de quelques-uns  sur qui, reposera le témoignage futur.
3- Dans l’ensemble de ce qu’ils voient et entendent : la voix la nuée, la blancheur éblouissante ce qui demeure et ce qui est le plus sûr et le plus clair si j’ose dire c’est le réel sur lequel il faudra s’appuyer : v.8 : aussitôt regardant autour d’eux, ils ne virent plus personne d’autre que Jésus seul avec eux. » Jésus seul avec eux ! Le Solus Christus des réformateurs. Oui nous ne voulons connaître que Jésus Seul, seul avec nous : c’est bien désormais ce qui reste, ce qui demeure, ce qui est solide lorsqu’on a tout cru, tout imaginé, tout rêvé, tout vécu : Jésus seul ; toutes les autres scories des religions, toutes les expériences collectives et personnelles s’effondrent devant ce seul résultat : Jésus seul.
La foi chrétienne est intéressante et nouvelle en ceci qu’elle va dépouiller, simplifié, se servir des images et des signes religieux, pour nous indiquer ce qui est nécessaire et ce qui superflu.
           4-  Le cadre est décisif. La montagne. On connaissait celle du sermon chez Matthieu, ou celle d’Abraham qui montera et descendra avec son fils, après que son Dieu soit métamorphosé en un Dieu qui ne demande plus de sacrifice humain ; mais aussi bien sûr, le Sinaï de Moïse ou l’Horeb d’Elie - les montagnards de l’ancien testament -  qui se retrouvent ici avec les montagnards de l’évangile. Les évangiles diront aussi celle des Oliviers.
 
C’est sur la montagne que se passe l’essentiel où en tous cas les dieux se manifestent volontiers comme sur l’Olympe en Grèce. C’est bien le lieu de la présence et en même temps de la difficulté. Abraham sur le lieu du sacrifice inutile. Moïse c’est la Loi et le Veau d’or dans la montagne, c’est l’Horeb ou Dieu passe et où Elie massacre les faux prophètes, c’est Golgotha le lieu de la passion et de la révélation totale et radicale. C’est cette ambivalence de la montagne qui fait lien entre terre et ciel qui fascine et qu’il va falloir maintenant quitter.
C’est dans la plaine que Luc fixera le grand discours de Jésus situé sur la montagne ailleurs. C’est bien sur la montagne que l’on voulait faire son nid avec Dieu. « Dressons trois tentes !» balbutiera Pierre ; mais c’est en descendant de la montagne que Jésus leur dit ce qu’il fallait faire et ne pas faire. L’évangile de Jean plus tard dira Jésus est venu habiter chez les siens : il est venu littéralement planter sa tente non sur la montagne mais là où vivent la plupart des humains. Le lieu de la présence de Dieu est à son tour métamorphosé.
La foi chrétienne n’a pas de lieu élevé : ni sur cette montagne ni à Sion ni sur la Garizim ni sur une autre ; ni d’espace sacré. La foi chrétienne dit qu’il faut toujours sortir toujours descendre à la rencontre de Dieu et des hommes. La descente plus que la montée est le lieu d’une présence ; l’Evangile ne monte pas, il descend jusqu’à nous. Certes nous avons toujours envie de monter d’être au top mais Dieu vient nous rencontrer en tête-à-tête sur le chemin qui descend.
Certes il nous faut prendre des forces de l’énergie, certes nous souhaitons des interventions lumineuses, et elles arrivent ici ou là sur ce que nous croyons être bien souvent une montagne infranchissable, impossible et pourtant  cette montagne ce qui nous bloque, ces problèmes qui nous empêchent contiennent un chemin qui descend et nous rejoint ou une parole qui nous interpelle et qui dit : viens et suis-moi,  arrête de grimper : descendons ensemble !
    La foi chrétienne est une transformation, une métamorphose de nos habitudes de penser, de croire et de vivre. Cette transformation est l’œuvre de Dieu en nous comme elle fut l’œuvre de Dieu dans la personne du Christ et de ses témoins passés présents et futurs sur toutes les montagnes de la vie.
Cette transformation est récapitulée elle est en quelque sorte recentrée sur une parole, une interpellation ancienne déjà bien connue et qui soudain, devient une parole neuve.
Dans le concert des propositions religieuses, dans le foisonnement des expériences de toutes sortes, dans les illuminations, les rêves et les délires, ce qui tiendra toujours la route et qui sera toujours un repère sur le chemin de la montée et de la descente, c’est bien l'ordre : Ecoutez-le ! Ecoutez-le, lui ! Regardez à lui et à lui seul et cela suffira pour votre vie et votre route cela vous permettra affronter tout le reste, sans être comme les disciples, trop assoupis, sans avoir peur et guéris de tout fanatisme : car lui et lui seul vous offre non pas un destin mais une palette de possibilités renouvelantes et créatives pour votre vie et votre foi.
Amen.