lundi 26 août 2013

Noé, fidélité et intelligence

Genèse 8 :

  Or au bout de quarante jours, Noé ouvrit la fenêtre de l’arche qu’il avait faite.

7  Il lâcha le corbeau qui s’envola, allant et revenant, jusqu’à ce que les eaux découvrent la terre ferme.

8  Puis il lâcha la colombe pour voir si les eaux avaient baissé sur la surface du sol.

9  Mais la colombe ne trouva pas où poser la patte ; elle revint à lui vers l’arche car les eaux couvraient toute la surface de la terre. Il tendit la main et la prit pour la faire rentrer dans l’arche.

10  Il attendit encore sept autres jours et lâcha à nouveau la colombe hors de l’arche.

11  Sur le soir elle revint à lui, et voilà qu’elle avait au bec un frais rameau d’olivier ! Noé sut ainsi que les eaux avaient baissé sur la terre.

12  Il attendit encore sept autres jours et lâcha la colombe qui ne revint plus vers lui.


Noé : Une première et éternelle alliance : Voici l’eau qui fait mourir et qui fait vivre, voici la terre lieu indispensable et vital, celle qui est nourricière et que vient rencontrer l’eau qui dérange qui nettoie et qui sera marque et signe éternels de la vie.

1-    Noé, une vieille très ancienne tradition, lue dans l’épopée de Gilgamesh avec Utanapichtim en quête d’immortalité ; la question c’est alors comment durer, comment ne pas mourir alors que tout les éléments sont contraires, hostiles, comment être comme des dieux, des divinités toujours là et dont on ne raconte jamais la mort ; mais seulement le remplacement de l’une par l’autre. L’être humain est-il remplaçable par un autre ?  Une quête encore contemporaine, si l’on regarde des magazines et certaines émissions sur l’allongement de la durée de vie, les pilules de jouvence, les marchands d’éternité sont encore bien là ! Ce vieux texte ne dit pas que l’objectif à atteindre serait une illusoire éternité ou immortalité ou une précaire réincarnation mais l’assurance que l’avenir, est toujours promis. Quoiqu’il arrive Noé aura une suite son âge mythique ne fait rien à l’affaire, ses enfants, les autres plus vastes encore  (comme les femmes de ses enfants sorties de nulle part)  seront son avenir muni d’une promesse qui ne s’éteindra pas.
2-   Cette histoire universelle de Déluge comme menace sur la vie réelle des humains est comprise et interprétée comme un regret de Dieu, comme une colère qui revient sur ce qui a été fait et qui disait que tout fut trouvé bon ; car Dieu vit que cela été bon et même très bon. Comme si Dieu était une personne au grand pouvoir celui de construire et de casser ! un Dieu sujet à des émotions et à des crises ; un Dieu caractériel et enfantin. Cette histoire vient nous dire comme dans un premier moment, une première étape que ce Dieu là ne peut être figée enfermée dans un dogme dans une idée dans une théologie, ni même dans un groupe humain ni même dans la conscience de l’humain. Un Dieu étonnant qui est présent certes quand tout va mal. Et ça nous connaissons, nos contemporains connaissent bien lorsqu’ils donnent acte à Dieu de tout ce qui va mal dans le monde et sur la terre. Comment croire en sa réalité et sa présence en voyant tout ce que l’on voit ? Les guerres, la mort des innocents, les famines, les tremblements de terre et les tsunamis de toutes sortes.  Désormais le regard est porté vers un ailleurs. Le mal ce n’est plus du côté de Dieu, mais si mal il y a, les humains seront responsables. On sait aujourd’hui que bien des catastrophes naturelles sont non le fruit du hasard ni de la volonté de Dieu ou d’un dieu mais de la vie des hommes qui vont sans doute trop loin dans leur gestion du monde et de l’univers, trop loin et trop peu soucieux de la vie de la terre. Ce vieux texte est optimiste du côté de Dieu et pessimiste du coté des humains plutôt enclins au mal dès le départ non à cause d’un autre mais à cause de lui, dès le départ de sa vie porté au mal, dès sa jeunesse !

 
3-   En prolongeant cette idée au fond écologique nous pourrions dire que nous vivons tous dans la même maison, la même oikos et cette maison ressemble à une arche dit le texte. Deux textes de la Bible parle de cette arche (téba : comme une thébaïde !) Celui-ci bien-sûr, et le récit du sauvetage du petit Moïse dans son couffin flottant sur le fleuve, protégé ainsi des eaux. Dieu est le maître de la maison flottante ; il est l’artisan l’architecte l’auteur de ce qui protège et sauve. Il fait faire par des humains ce qui les protège et les sauve. Il fait en sorte que la vie flotte sur les eaux, que la vie et les vivants, émergent de ce qui pourrait les engloutir. Oui la foi, l’espérance d’un seul avec d’autres sauve tous les autres. Oui ce qui est à contre-temps ce qui n’est pas dans l’air du temps construire un bateau sur la terre ferme et loin de la mer ou du fleuve peut sembler un délire et une folie. Et pourtant c’est bien cela qui sauve. Lire la Bible et croire ce qu’elle annonce et ce qu’elle veut, ne va pas de soi ; être chrétiens aujourd’hui, être croyants reliés à d’autres par une institution humaine ne semble pas indispensable notre travail notre engagement ressemble d’un peu loin il est vrai à la construction d’une arche par laquelle Dieu seul vient sauver la vie et les vivants ; la communauté de l’Eglise n’est pas le royaume n’est pas le salut mais son annonce et son anticipation indispensable ; oui c’est une proposition de salut : pas seulement les hommes et les femmes mais les vivants tous les vivants celles et ceux capables de reproduire la vie de se reproduire et de vivre l’éternité du temps dans la suite des générations.
 


4- Le texte du Déluge annonce la bonté de Dieu, sa fidélité à toute épreuve résumée en quelque sorte par un « plus jamais çà ! » Désormais les humains seront responsables des dérèglements de la terre, moi plus jamais je ne frapperai les humains ! Dieu n’est plus le Dieu de la colère ou de la vengeance mais déjà le Dieu de l’amour qui dure malgré tout. Mais en même temps le vieux texte du Déluge et de Noé annonce l’intelligence de l’homme et la piété ou la foi qui se met en marche.
A l’obéissance, la soumission de Noé aux injonctions de Dieu et à ses ordres, voici qu’apparaît son intelligence. Comme pour nous dire : n’attends pas que Dieu te parle : agis, invente, fais valoir de ce que tu as reçu !
 
Noé invente le baromètre ou mieux encore, la mesure ; à la démesure de Dieu ou de la nature, voici l’invention de la mesure ; Noé discerne et détermine l’instrument de mesure. Pour savoir si ça monte ou si ça baisse, il essaie, il envoie, et il sait ; oui un savoir se met en route plus besoin d’attendre les décisions divines on peut désormais piloter et se piloter dans la vie dans l’existence. Oui l’humanité peut grâce à son savoir ses connaissances ses expériences faire face à tout ce qui peut arriver.
Ce texte est un encouragement à la faculté d’entreprendre et de se conduire dans la vie lorsque nous est donné la responsabilité des autres humains. C’est un texte d’espérance et de reconnaissance. L’espérance intelligente et créative d’abord : « Noé tendit la main et voici qu’elle avait au bec un frais rameau d’olivier et Noé sut ainsi que les eaux avaient baissé sur la terre. » (8, 10-11)  La piété, la foi ensuite comme acte de reconnaissance tournée vers le créateur qui nous fait co-créateur avec lui : « Noé éleva un  autel pour le Seigneur et il offrit des holocaustes sur l’autel » (8, 20)
5-   L’association de cette intelligence de Noé et de sa reconnaissance : c’est cela qui change tout. Sa vie sûrement sa responsabilité est désormais sous le regard des autres et de Dieu lui. Cela change Dieu aussi : il ne punira plus de façon générale et absolue ; Dieu n’est plus celui qui fait pleuvoir sur les bons et sécher et rôtir les moins bons ; il fera briller son soleil sur les justes et les injustes dira aussi le NT. La création aussi est renouvelée, recommencée, reprise et pour toujours ; d’autres étapes viendront la compléter et lui donner un sens mais tout est là poser, pour que ça marche.
Comme pour nous dire que l’intelligence seulement, les facultés humaines seules ne sont pas suffisantes pour un monde une maison bien équipée. La piété seule, la religion seule et dominante n’est pas souhaitable  car elle maintien la créature de Dieu dans une soumission infantile et peu créatrice. L’association de l’intelligence de l’humain et sa faculté à dire merci à Dieu à lui être reconnaissant va résolument tout changer : les humains - Dieu et le monde.

La terre, notre veille terre dépend aussi de nous, elle est promise à  la bienveillance de Dieu. Il ne s’agit pas de tout garder en l’état mais d’entrer dans un processus de création et de re-création ou de création continuée qui passe par nous notre intelligence et notre foi mélangée pour toujours cela sera un signe que nous pouvons contrôler et même parfois faire reculer cette méchanceté qui gît au fond du cœur des hommes. Dieu est lucide pour nous et avec nous, Il nous invite – et c’est cela sa patience - à garder et sauvegarder sa création, il nous rend capable d’agir intelligemment d’espérer avec confiance et de croire avec amour.
 
 

jeudi 1 août 2013

Un conservateur habile en rhétorique

Article paru dans "Le Monde" daté vendredi 2 août 2013

Le pape François n'est pas un révolutionnaire




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Olivier Bobineau
     Sociologue
 
Le pape François a donné sa première conférence de presse dans l'avion qui le menait de Rio de Janeiro à Rome dans la nuit de dimanche 28 à lundi 29 juillet. Depuis qu'il occupe le siège de Pierre, il propose une tout autre image de sa fonction que Benoît XVI. Son style est nouveau - langage non magistral, sens de la formule spontanée, simplification du protocole - et surtout il manifeste une plus grande proximité avec " le peuple, à commencer par les plus pauvres et les plus faibles ", sans oublier les jeunes à Rio, qui ont apprécié le changement de ton.
 
Tout le monde reconnaît que le successeur de Pierre est en train d'opérer un changement important dans l'Eglise catholique. D'ailleurs, l'affection populaire le prénomme déjà le " bon pape François " en référence à Jean XXIII qui fit souffler un vent de réforme avec Vatican II (1962-1965).
 
Notre point de vue prend le contre-pied de cette façon de penser. Aucun changement d'importance sur le plan structurel n'est à attendre. Le style nouveau et la mise en scène renvoient à une méthode d'argumentation théologique très ancienne, développée notamment par les jésuites : la casuistique.
 
Conçue comme une forme d'argumentation, la casuistique est un art rhétorique qui confronte le cas particulier et la jurisprudence, d'une part, à un ensemble de principes généraux, d'autre part. Les jésuites s'en emparent au XVIe siècle pour lutter contre la réforme protestante. L'ambition est de convertir en masse à " la vraie religion " en adaptant, autant que faire se peut, les principes originels... sans - trop - en trahir l'esprit.
 
Quatre piliers ou " 4 p " constituent la casuistique jésuite  : proximité, pragmatisme, principe et... performance. Le pape François, premier jésuite à occuper la fonction papale, sait les mettre à l'oeuvre dans notre société par le truchement des médias.
 
La proximité, tout d'abord. La casuistique enseigne qu'il faut être empathique et solidaire des cas particuliers, de ce qui semble petit, marginalisé pour remonter vers le plus général, vers le plus central par touches successives. François ne fait pas autre chose en simplifiant le protocole pontifical, en habitant dans une modeste demeure, en se rendant accessible au peuple.
Solidarité encore avec ce qui est abandonné, lorsqu'il jette une couronne de fleurs dans les eaux de Lampedusa pour commémorer les centaines de migrants naufragés. Solidarité avec les plus humbles et " coup de com " lorsqu'il ne va pas au concert de musique classique donné au Vatican en l'honneur de l'année de la foi, le 23 juin, en déclarant : " Je ne suis pas un prince de la Renaissance, qui écoute de la musique classique plutôt que de travailler. " Il demande non seulement aux jeunes mais aussi aux... journalistes de l'aider à aller dans le sens de " l'empathie " et de " collaborer pour le bien de la société ".
 
Autre pilier, le pragmatisme. S'orienter vers l'action concrète, agir au coeur du monde en mettant au premier plan la pratique plutôt que la théorie, le pape François ne fait pas autre chose quand il revendique sa simplicité et son souci permanent d'aller sur le terrain quitte à créer des bousculades, comme aux Journées mondiales de la jeunesse. Pragmatisme encore, quand on sait qu'avec plus de 7 millions d'abonnés sur Twitter, le " pape courage ", " homme de l'année " - selon l'édition italienne du Vanity Fair - supplante le dalaï-lama, chef spirituel jusque-là le plus populaire sur ce réseau social. Pragmatisme enfin quand il s'attaque à la réforme de la banque du Vatican, instaurant une " enquête de terrain " et déclarant non sans un certain sens de la formule : " Ne vous laissez pas tenter par l'argent. Saint Pierre n'avait pas de compte en banque. "
 
Troisième pilier, le rappel des principes originels. Mariage gay et avortement ? Lors de sa conférence de presse, le pape répond sèchement : " Vous connaissez la position de l'Eglise. " Place des femmes ? " L'Eglise est féminine ", soulignant la primauté de Marie sur l'institution. Le pape ne déroge à ce que les Pères de l'Eglise ont déjà écrit. Ordination des femmes ? Il répond : " Jean Paul II a fermé la porte. " Soit, mais dans la mesure où aucune parole évangélique n'interdit de donner une place prééminente aux femmes dans la communauté des fidèles, pourquoi n'ouvre-t-il pas cette porte ? Homosexualité ? Il considère, en se référant explicitement au Catéchisme de l'Eglise catholique (1992) rédigé par ses deux prédécesseurs, qu'" on ne doit pas marginaliser ces personnes qui doivent être intégrées dans la société ". Cependant, il omet de souligner que ce même ouvrage déclare que " les actes d'homosexualité se présentent comme des dépravations graves ", " intrinsèquement désordonnés ", " contraires à la loi naturelle ". Et si les homosexuels doivent " être accueillis avec respect, compassion et délicatesse ", " ils ne sauraient recevoir d'approbation en aucun cas " (§ 2 357, § 2 358).
 
A priori, le pape actuel ne ferait que s'inscrire dans la continuité de Jean Paul II et Benoît XVI, perpétuant les principes traditionnels de la morale chrétienne. A posteriori, deux indices pourraient signifier un certain retour au conservatisme moral pré-Vatican II.
 
Premier indice, François rappelle régulièrement l'importance du combat des croyants contre " le diable " lors de ses homélies. On retourne cinquante ans en arrière. Second indice : sa sortie contre le lobbying gay. Derrière cette attaque contre le pouvoir d'influence des gays, se trouve " le " modèle du lobbying pour la conscience catholique : la franc-maçonnerie. Or, François, au bout de quatre mois de pontificat, remet au goût du jour cette société secrète, alors que le droit canon de 1983 ne la mentionne pas, pas plus que le Catéchisme de l'Eglise catholique de 1992. Le successeur de Pierre aurait-il peine à masquer sa nostalgie d'un ordre moral disparu dans les sociétés européennes mais pas en Amérique du Sud ?
 
La question se pose d'autant plus que sa communication semble performante, conformément au dernier pilier de la casuistique. N'arrive-t-il pas à convertir, en bon casuiste, à sa vision de l'Eglise observateurs et fidèles, de plus en plus enthousiastes ? Pour notre part, nous attendrons la mise en oeuvre des réformes pour nous prononcer.
 
Olivier Bobineau Sociologue est l’auteur de « L’empire des papes. Une sociologie du pouvoir dans l’Eglise » CNRS Editions 300 p. 22
 
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