mercredi 14 mai 2014

Rencontre berlinoise

Dimanche 11 mai 2014 au Dom français, culte bilingue.

« Le Seigneur est mon berger »  Psaume 23
« Je suis le bon berger » (Jean 10, 1-11). Parmi les formules, les affirmations évangéliques simples et claires, celle-là en est une bien connue, bien célèbre, elle a été le thème constant de l’iconographie chrétienne : tableaux, vitraux, livres etc... Parmi tous les modèles d’identification, c’est celui du Berger qui a prévalu, face à d’autres qui ont écarté : par ex. celui du charpentier, du pêcheur, du guérisseur, du rabbin, du maître de sagesse et bien d’autres encore.

Ce choix est d’abord celui de l’évangéliste Jean qui en quelque sorte tente de répondre aux trois autres, Matthieu, Marc, Luc, qui ne cessent de poser la question de l’identité et de l’être même de Jésus. Qui dit-on que je suis ?
Qui dites-vous que je suis ? Si les 3 premiers évangiles poussent les interlocuteurs du Christ à confesser leur foi en lui, le 4° évangile, Jean affirme et atteste la singularité du Maître qu’il s’agit de suivre et de reconnaître comme Celui qui est : la lumière, le chemin, la vérité, la vie, la porte, la résurrection, la vraie vigne et aujourd’hui le vrai Berger. Oui il s’agit bien d’une affirmation solennelle qui va mêler le divin à l’humain qui va faire le lien avec la compréhension du Dieu de la première alliance comme celui qui est et qui sera.
A nos questions, à toutes nos questions, à toute notre foi, à toutes les manifestations de notre foi, à nos hésitations et tous  nos engagements, il y a une réponse, il y a un socle, une fondation : quelqu’un dit : je suis… pour toi. Pour nos communautés francophones fragiles et pourtant résistantes, il est dit : Je suis…pour toi ! Dans un monde qu’on voudrait nous faire apparaître comme virtuel, dans ce monde on l’on veut nous faire rêver en consommant toujours plus, dans ce monde ou les certitudes passent comme des modes, dans le spectacle du monde, quelqu’un dit : pour toi, je suis… là pour toi, comme une boussole, comme un chemin sur lequel tu peux t’aventurer, comme une porte que tu peux franchir, comme une vérité donnée à recevoir, comme une vie à partager, comme une vigne dont on attend des fruits. L’être de Dieu s’exprime par un je suis.. qui nous précède comme si au commencement il y avait quelqu’un d’autre que nous mêmes. Un je suis qui appelle, qui entraîne, qui met et remet en route, un je suis là comme une parole dans le silence ou dans le bruit.
Je vous propose ce matin dans ce premier temps d’entendre et de recevoir  l’affirmation du : Je suis aussi pour toi Celui qui entend et qui te rencontre sans condition ; ce qui me fait être dit Dieu c’est cela que je te transmets. Tu peux être à ton tour car moi, je suis. Dans la banque de données de l’existence humaine, voici qu’il y a une réserve d’être, une source d’être ; lorsque nous croyons que tout s’épuise, voici encore de la ressource, de l’être à vivre, du don à donner et recevoir, de la présence à rencontrer, de la parole à échanger et à prier. Dieu c’est une réserve d’être qui se manifeste dans sa parole ; le Christ en disant rarement mais fortement : Je suis se révèle comme une possibilité toujours là, d’être celui qui est disponible
pour donner vigueur et sens à notre existence, pour transmettre de l’être dans nos vies qui en manque bien souvent. Cette présence s’affiche et s’affirme dans une réalité bien précise : Je suis le bon, le vrai le seul Berger. Seule profession commune en ce temps et banale à la fois accolée à la présence divine. Dieu dans la Bible n’est pas un horloger, il n’est pas une force, une vapeur, un code inconnu, un être supérieur, il est celui qui parle de l’être qui met à disposition de l’être sous la forme sous les apparences d’un Berger. Jésus lui-même est confessé comme le Dieu d’Israël sous la forme du Berger. Même si nos civilisations ont marginalisé cette fonction – elle parle encore, sous nos latitudes à nos mentalités rurales. L’humain et le divin se mêlent sans cesse. C’est David en Israël qui est l’image du Berger, que l’on va chercher de derrière son troupeau, pour être reconnu comme roi, comme chef et c’est lui qui installera Dieu comme véritable Berger d’Israël. A la fonction guerrière – comment ne pas s’en souvenir ici au cœur de l’Europe à Berlin - souvent exercée pourtant va se substituer prioritairement la fonction caritative, la fonction soignante et l’attention bienveillante portée à ceux qui sont gardés soignés accompagnés vers si possible de verts pâturages ; l’image et le symbole seront forts en un temps ou la rudesse, la ruse et le trafic des bergers s’exerçait et où ils n’avaient pas toujours bonne réputation. Ce  sont eux les bergers qui entendront et verront dans la nuit l’annonce d’une bonne nouvelle pour tout le peuple, lors de la naissance de Jésus selon l’évangile de Luc. Comme si les bergers allaient reconnaître dans le petit enfant naissant, l’un des leurs.
Les prophètes en Israël fustigeront les mauvais bergers, les conducteurs du peuple qui renonçent à leur fonction d’accompagnement au profit de leurs propres intérêts : L’Europe d’aujourd’hui connait bien cela et les peuples eux-mêmes sont de plus en plus critiques à l’égard de leurs petits bergers !
Le bon berger est celui qui renonce à lui-même dans l’intérêt des autres et dont il a la garde provisoire. Sa fonction est d’être là, de faire face, de parler pour dire sa présence et d’éloigner le mal ou le loup toujours présent. Sa fonction c’est bien de permettre l’éclosion et la durée de la vie c’est bien de transmettre l’être qu’il a à ceux qui en manquent. Le premier berger de la Bible c’est Abel tué par son frère Caïn le cultivateur. Le nomadisme du Berger est insupportable au sédentaire. Non seulement le Berger, le bon et le vrai manifeste son attention bienveillante à son troupeau, mais il bouge et se déplace vers tous les lieux de vie propices à ses brebis. La fonction de Berger c’est aussi la tension voire l’opposition entre le déplacement et la stabilité. Cette tension court tout au long de l’Ecriture ; mais c’est toujours le nomadisme qui gagne.
L’Etre, la vie, c’est le déplacement ; notre vie dans la foi, notre foi orientée vers le bon Berger, c’est une foi en marche accompagnée de Celui qui marche en avant ou en arrière, avec nous. Notre foi notre espérance et l’exhortation à la bienveillance envers les autres se manifestent dans le déplacement : dans tous les sens, vers là où se tient la nourriture…. Il n’y aurait pas d’Eglise, pas de communautés croyantes si les premiers témoins ne s’étaient pas déplacés munis de la certitude que quelqu’un d’essentiel se déplaçait aussi avec eux. La stabilité de la foi est une incohérence ou alors il faut dire et croire que la stabilité même se déplace sans cesse ; non pour le plaisir de se déplacer mais par nécessité pour que la vie et l’être, pour que l’annonce de la parole s’effectuent se manifestent.
Dire aujourd’hui comme hier, le Seigneur est mon Berger ou bien regarder et confesser le Christ en train de dire, je suis le bon Berger, c’est entrer dans un vaste déplacement : non seulement regarder autour de nous pour transmettre une espérance vitale, mais nous déplacer dans notre foi même : ce que nous avons l’habitude de dire et faire reçoit la force de s’exprimer et de se manifester autrement encore. Nous ne sommes pas arrêter dans notre manière de vivre cette foi et cette espérance ; nos traditions ne seront vivantes et utiles aux autres que si nous faisons mouvement vers eux ; en écoutant et recevant des autres leurs attentes, leurs questions leurs situations, leurs souhaits leurs désir ; en les accompagnant à partir de leurs réalités sans les contraindre ni les pousser impérativement vers où nous voudrions qu’ils aillent. Faire partager notre foi et notre espérance c’est accompagner les autres vers des lieux encore inconnus pour nous. Comme le firent les huguenots de jadis, qui ont parcouru les routes de l’Europe en quête de repos, de création, d’imagination au service de leur Dieu et des peuples accueillants.

Le bon Berger lui c’est déplacer vers des lieux inconnus, étrangers et étranges, il a mangé avec ceux qui n’avaient pas bonne réputation, il a rencontré celles et ceux qui ne lui ressemblaient pas, il a renoncé bien souvent à la doctrine de ses pères pour en dire une nouvelle, il a oser des mots et des gestes que personne n’avait osé dire ou faire ; bref il ne s’est pas prévalu de ce qu’il était, il a accepté de fondre le Je suis dans l’ensemble de la réalité, il ne s’est pas prévalu de sa condition divine, il y a renoncé pour donner de l’être et de la vie à d’autres, c’est pour cela dira l’apôtre Paul que Dieu l’a souverainement élevé.       
Etre l’Eglise du Bon Berger, c’est non seulement entendre sa voie et suivre son exemple, c’est aussi reconnaître le nomadisme de Dieu pour devenir des nomades dans la foi. C’est parfois renoncer à nous identifier à un troupeau pour devenir à notre tour les bergers les uns des autres, acceptant de livrer l’être qui nous constitue car dans cet abandon et cette livraison nous découvrirons la présence et l’accompagnement du seul vrai Berger qui ne retient pas qui ne garde pas, mais qui donne ce qu’il est. Etre l’Eglise du bon Berger c’est savoir l’existence d’une réserve d’être d’une solidité qui assure et rassure nos existences bien légères.

vendredi 2 mai 2014

Après Pâques à Beyrouth

 
Lectures : Actes 4, 32-35 et 1 Jean 5, 1-6 et Jean 20, 19-31
 
Les premiers témoins du Christ ressuscité vont déployer une grande énergie pour nous dire qu’ils ne sont pas des illuminés, que ce qui s’est passé à Pâques et ce qui se passe sans cesse n’a rien à voir avec du spiritisme ou une spiritualité de pacotille qui accepterait que Dieu agisse hors du cadre de l’histoire des hommes. La tentation est grande  d’imaginer que Dieu agit prioritairement hors de l’histoire. La foi nouvelle en train de naître sera précisément de croire qu’il agit encore dans l’histoire des hommes et des femmes : l’au-delà est déjà là dans l’en deçà.
 
« Il faut le voir pour le croire » est une expression populaire et usuelle par laquelle un événement considérable dans sa réalisation vient combler notre manque d’imagination ou notre incapacité à anticiper et prévoir. Il faut le voir pour le croire ! Nous n’aurions jamais pensé, imaginé et prévu un jour sortir de l’attraction terrestre et visiter d’autres planètes ni prévu que nous devrions partir et laisser un pays une culture ni prévu de trouver un travail nouveau ni prévu d’être heureux comme nous le sommes ; nos vies sont tissées d’imprévus heureux et dangereux faciles et difficiles à la fois.
 Nous l’avons abondamment vu et donc nous l’avons cru et avons cru que cela désormais devenait possible c’est à dire crédible. Ce qui était impossible à notre esprit est devenu pensable car nos yeux en ont été témoins. En fait nous n’osons pas croire de grandes choses positives ou négatives, nous sommes le plus souvent dans la voie moyenne, médiane, nous voulons bien espérer encore mais surtout nous voulons voir des signes tangibles, concrets, visibles. D’accord les paroles c’est bien, les promesses à la rigueur,  mais surtout des actes bien visibles ; nous jugerons sur pièce ! Nous jugerons sur les actes ! C’est probablement la raison pour laquelle l’évangéliste Luc a écrit la suite de  son évangile que l’on appelle les Actes. Nous jugerons sur les actes ; sur ce qui est visible ; Des choses impensables et impossible se voient et se manifestent désormais : des dons des donations des legs inattendus s’opèrent et se réalisent pour que la vie de l’Eglise soit pérennisée !

Pourtant nous savons bien que nos sens nous trompent, que nous voyons ce que l’on veut  bien nous montrer et ce que nous voulons bien voir. L’évidence ou la vérité du visible est souvent un leurre. Le spectacle divertit et ne garantit rien du tout.
Heureux ceux qui sans avoir vu, ont cru !
 
A la fin de son évangile Jean a la bonté de penser enfin à nous, les croyants de seconde main, (ceux qui n’ont rien vu) vous et moi qui avons cru ou qui nous mettons en marche sur le chemin de la foi, sans assurance concrète et visible.
Enfin je suis injuste Jean pense à nous depuis le début mais il nous le dit ici qu’à la fin comme dans une relation maladroite.
 
Lui qui a montré l’aventure de Jésus aux prises avec l’histoire visible et invisible, avec ce qui se voit et ce qui se croit et s’interprète : le chemin, la vérité, la vie, la porte, les sarments, la Samaritaine, la lumière et les ténèbres, les noces et Lazare, l’aveugle et Nicodème, la Parole venue et rejetée ; lui qui refuse de parler de miracles trop spectaculaires mais de signes c’est lui qui vient nous faire signe enfin pour nous dire : continuez, continuez à faire confiance à ces récits ils parlent d’une bonne nouvelle et ils parlent de vous, continuez à vivre sous l’empire des signes qui font vivre et donnent un sens à votre vie, ne vous découragez pas vous avez là, l’essentiel de ce qu’il faut pour croire, de ce qu’il est possible de vivre ; n’allez pas chercher ailleurs.
 
Vous avez une mission celle de devenir témoins de l’action étonnante et souvent cachée de Dieu lui-même. Ce qui s’est passé avec les premiers témoins c’est aussi pour vous, un encouragement une stimulation et un défi pour votre vie.
C’est désormais dans leur for intérieur c’est le soir que le Seigneur vient. C’est lorsqu’il n’est plus là, lorsque tout semble fermé et clos qu’une présence qu’une parole est dite : vous n’êtes plus seuls, la paix est avec vous ; c’est bien dans la nuit de la crainte et sous les verrous que l’étau se desserre, que l’équilibre s’annonce.
 
 
Oh ce n’est pas une découverte éblouissante et fulgurante puisqu’il faudra 8 jours plus tard que cela se répète comme s’il fallait du temps pour que cette présence et cette parole soit reçue et encore contestée. Ce que les chrétiens ont à annoncer est pourtant là contenu et communiqué. Il faudra qu’il vienne chaque semaine, chaque semaine nouvelle comme au seuil d’une création sans cesse renouvelée. 
 
Il n’y a plus désormais de lieux, d’espaces et de temps sacrés, il n’y a plus de terre sainte qui mériterait que l’on se batte pour elle, il n’y a plus d’organisation ecclésiale qui puisse à elle seule contenir le message.
Le déplacement des lieux et des temps s’opèrent dans un élargissement qui va prendre corps qui va prendre forme. Il n’y a plus rien à répéter mais tout est à inventer. Il n’y a plus de vie monotone et plate, il n’y a plus de modèle à reproduire mais comme toujours le premier jour de la semaine comme au matin du monde tout reste à faire et à devenir. Au commencement était la Parole avait dit Jean voici que cette parole devient une parole d’envoi : J’ai été envoyé, la preuve c’est que je vous envoie à mon tour, pour que vous annonciez le tout est toujours possible vous avez désormais d’annoncer que cela est désormais possible. Il y a un au-delà à l’absence.
C’est cela le message du Shalom de la paix qui est dite et redite comme un refrain dans la bouche du ressuscité. Il ne dit pas seulement bon-jour que ce jour soit beau et bon pour vous. Il dit : La paix soit avec vous, sur vous ! Soyez réconciliés, retrouvés votre identité votre entièreté, malgré la crise, la séparation le changement opéré dans une situation nouvelle vous êtes en état de d’être envoyés ! Vous êtes bon pour le service.
Jusque là tout va bien et l’Evangile de Jean annonce de façon harmonieuse c’est aussi ce que signifie le Shalom – du départ de Jésus et du nouveau mode de sa présence. Mais Jean est aussi un pédagogue un catéchète. Ils pensent à celles et ceux qui ne sont pas sous le coup de l’émotion sous le coup de la présence du Christ ; ils pensent à ceux qui viennent peu souvent au culte et il va déployer pour les croyants occasionnels souvent les plus compliqués et les plus exigeants – il va déployer pour eux un chemin nouveau : ce sera Thomas que l’on appelle Didyme le jumeau. Il y avait eu Jean et Pierre et leur course vers un tombeau vide ; il y avait eu Marie de Magdala et le jardinier – il y a maintenant le présent et l’absent, celui qui a toujours quelque chose à faire ailleurs ; celui qui est composé d’une partie qui croit et qui fait partie des disciples et une autre partie jumelle qui n’est jamais là où il faut au moment où il faut.
Il est irréaliste et réaliste à la fois. Au moment de la mort de Lazare il dit aux autres disciples : Allons nous aussi et nous mourrons avec lui comme si c’était la fin des temps ; mais réaliste aussi il dit aussi  quelques temps après alors que Jésus disait qu’il s’en allait : qu’il ne connaissait pas le chemin et qu’il ne savait pas ce que Jésus voulait dire !
 
Lui aussi a besoin de réconciliation pour lui-même, lui aussi a besoin de se retrouver lui-même et retrouvait les autres ; lui aussi a besoin de retrouver son Maître sans tout vérifier s’en croire que ce qui existe doit se voir et se toucher. Comme si lui était vraiment le vérificateur l’artisan officiel de la preuve de l’existence de la Vérité, du Chemin de la Vie. 
C’est bien pour cela que Thomas est utile, ce qu’il voit ce n’est pas une preuve objective et scientifique c’est une trace de présence, une trace d’amour, une marque de relation avec une force et une réalité qui déborde de confiance te d’espérance. Thomas réalise que son Seigneur lui fait confiance que son Maître entre en relation avec lui dans son être même et que désormais il n’y a plus de peur celle du fantôme, celle des esprits, celle des signes à interpréter, désormais c’est le sens de son existence qui est en train de se vivre, pour qu’en croyant que cela soit possible, vous ayez la vie en son nom. Désormais Thomas pourra appeler Jésus le Christ comme sa raison de vivre et non plus comme une preuve de son existence. 

L’Evangile de Jean nous fait confiance. Il atteste pour nous et avec nous que le Christ vivant et le souvenir de vie est une vraie raison de vivre, une vraie espérance au cœur de nos vies, une vraie trace de la présence de Dieu parmi nous.