vendredi 29 mars 2013

Crucifixion avec Rembrandt

 
Lorsqu'ils furent arrivés au lieu appelé Crâne, ils le crucifièrent là, ainsi que les deux malfaiteurs, l'un à droite, l'autre à gauche.
Jésus dit : Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. Ils se partagèrent ses vêtements, en tirant au sort.
Le peuple se tenait là, et regardait. Les magistrats se moquaient de Jésus, disant : Il a sauvé les autres; qu'il se sauve lui-même, s'il est le Christ, l'élu de Dieu !
Les soldats aussi se moquaient de lui; s'approchant et lui présentant du vinaigre,
ils disaient : Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même !
Il y avait au-dessus de lui cette inscription : Celui-ci est le roi des Juifs.
L'un des malfaiteurs crucifiés l'injuriait, disant : N'es-tu pas le Christ ? Sauve-toi toi-même, et sauve-nous !
Mais l'autre le reprenait, et disait : Ne crains-tu pas Dieu, toi qui subis la même condamnation ?
Pour nous, c'est justice, car nous recevons ce qu'ont mérité nos crimes; mais celui-ci n'a rien fait de mal.
Et il dit à Jésus : Souviens-toi de moi, quand tu viendras dans ton règne.
Jésus lui répondit : Je te le dis en vérité, aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis.
Il était déjà environ la sixième heure, et il y eut des ténèbres sur toute la terre, jusqu'à la neuvième heure.
Le soleil s'obscurcit, et le voile du temple se déchira par le milieu.
Jésus s'écria d'une voix forte : Père, je remets mon esprit entre tes mains. Et, en disant ces paroles, il expira.
 
 
Dieu notre Père,

Donne-nous de lire la passion de Jésus, comme un engagement à accompagner et soulager la souffrance autour de nous et en nous.

Dieu notre Père,

Aide-nous à ne pas être fasciner, attirer par la souffrance et la mort, ni à nous y habituer ; aide-nous à les parcourir en regardant à Toi comme puissance de Vie.

Dieu notre Père,

Entraine-nous à la suite de Jésus, à garder en mémoire les paroles anciennes, les chants et les psaumes de ton peuple pour qu’ils orientent et interprètent nos vies.

Loué sois-tu pour ta présence, hier, aujourd’hui et demain.   

 
 
 
 
 

 
 
 

 
 

 

 

 
 
 
 
 

 

jeudi 28 mars 2013

Passionnante Passion...


Lecture de l’évangile selon Jean ch 18 et 19 :

"Lorsqu'il eut dit ces choses, Jésus alla avec ses disciples de l'autre côté du torrent du Cédron, où se trouvait un jardin, dans lequel il entra, lui et ses disciples.

Judas, qui le livrait, connaissait ce lieu, parce que Jésus et ses disciples s'y étaient souvent réunis.

Judas donc, ayant pris la cohorte, et des huissiers qu'envoyèrent les principaux sacrificateurs et les pharisiens, vint là avec des lanternes, des flambeaux et des armes.

Jésus, sachant tout ce qui devait lui arriver, s'avança, et leur dit : Qui cherchez-vous ?

Ils lui répondirent : Jésus de Nazareth. Jésus leur dit : C'est moi. Et Judas, qui le livrait, était avec eux.

Lorsque Jésus leur eut dit : C'est moi, ils reculèrent et tombèrent par terre.

Il leur demanda de nouveau : Qui cherchez-vous ? Et ils dirent : Jésus de Nazareth ….
 
Jean 18, 1-27 : Arrestation de Jésus
 
 
Comme toujours avec l’évangéliste Jean, l’anecdotique, le fait divers, par exemple celui de l’arrestation de Jésus, prend des allures grandioses : il est le seul du tout le NT à parler de la vallée du Cédron et du Jardin jamais nommé Gethshémané. Jésus franchit son Rubicon ; il contrôle la situation ; il va résolument au devant de la trahison et du reniement. Pour Jean, Jésus est le maître du Jardin comme un nouvel Adam : Paul avait développé ce thème ici seulement suggéré.  C’est dans le Jardin que tout commence à aller mal et que la tentation celle du mal est présente. Le lieu des rencontres habituelles avec ses disciples, le lieu de l’enseignement de la prière devient le lieu de la livraison de Jésus, le lieu de sa capture. Judas ici est la figure du facilitateur rien de plus, rien de moins.
 
Jésus est bien encore avec les siens comme dans un lieu privé ; mais rien n’est secret rien n’est caché ; jusqu’au bout et avant la comparution publique et officielle Jésus est jugé par les siens ; Qui cherchez-vous ?  C’est moi : Voici ma carte d’identité non pas le fils de Dieu non pas le roi d’Israël, non pas le Seigneur ou le Sauveur, mais Jésus de Nazareth comme dans un grand retour à la réalité humaine de Jésus ; l’homme Jésus est déjà au milieu des siens avant d’être présenté à la foule. Une bagarre a lieu comme souvent, l’auteur Pierre toujours agité, ne comprend pas ce qui se passe ou peut être le comprend-il trop bien et cela sera trop pour lui.
 
Après l’arrestation, qui est arrêté dans son élan ? dans sa passion pour le Christ qu’il a bien reconnu jadis ? C’est Pierre. L’arrestation de Jésus provoque l’arrêt de Pierre qui ne peut plus suivre Jésus. Si même la violence est condamnée : range ton glaive ! Alors Pierre ne peut plus accompagner son maître sur le chemin de l’acceptation de la souffrance et de la croix. Pierre peut tout croire, sauf la croix. Et c’est alors il comparait devant le tribunal dérisoire, fragile et peu menaçant,  celui de la servante, ou du serviteur. Par trois fois : il dira non, je ne le connais pas.
 
Suivre Jésus n’est pas de tout repos ; ce n’est pas un acquis une fois pour toutes. Il y a des moments où le Maître est surprenant où il nous entraîne vers des chemins totalement étranges et insolites : vers un jardin comme pour une nouveau départ une sorte de re-création de la foi  et des mentalités ; il nous met face à des tentations celle du pouvoir ou de la violence ; celle de l’amitié ou de la proximité déçues.
 
Les élans de foi et d’enthousiasme se heurtent parfois à la réalité dure et infranchissable. Nous nous sommes facilement habitués à l’arrestation de Jésus ; la scène est connue racontée peinte filmée.
 
Ce qui se passe au cœur des personnages est moins évident et nous touche encore. La déception est un passage obligé de la vie chrétienne au sens où le Christ nous entraîne loin de ce que nous espérions parfois. Il renverse les images et les idées toute faites.
 
Ces textes nous invitent à l’étonnement et non à l’évidence ; cet étonnement est celui de nous-mêmes, lorsque nous nous identifions à Judas parfois à Pierre plus souvent ; tous les deux vivent une passion déçue ; l’un y succombera, l’autre rebondira. L’arrestation de Jésus est troublante ; elle donne un coup d’arrêt au déroulement des choses. La foi donne parfois un coup d’arrêt au déroulement d’une vie et d’une histoire. Elle réoriente vers d’autres lieux d’autres horizons moins connus, agréables souvent, désagréables parfois.
 
Quant à Jésus il reste calme et semble maîtriser la situation ; c’est l’élément stable : il n’a qu’un seul message : tout est clair ; son enseignement est loin des mystères : ce fut toujours en public devant tous : rien n’est secret, tout est connu. La foi chrétienne va s’opposer aux mystères, aux rites pour initiés ; tout est connu tout reste à comprendre à interpréter mais chacun peut le faire et le vivre au grand jour et non dans le secret de la secte. 
 
Chacun a sa manière est en train ici de rendre compte de l’espérance ou de la désespérance qui est en lui ; Judas disparaît, Pierre est saisi et il a vraiment froid dans le dos, dans son corps et son esprit ; les religieux questionnent et raisonnent ; le coq chante ; il va falloir aller encore plus loin.
 
 
Jean 19, 16b – 19,42

De l’élévation de la croix à la descente au tombeau ; Au Golgotha il y avait un jardin dans lequel se trouvait un tombeau. Deux disciples inattendus accomplissent les rites en usage. Seul Jean parle d’un jardin dans lequel se tient une croix comme un arbre qui va donné malgré tout de la vie en passant au travers de la mort.
 
L’élévation n’est pas ici en gloire ou dans le ciel ; elle se fait sur la croix. Le trône de gloire de Jésus sera une croix. Jésus est d’abord muet ; il entend sans doute le débat entre des juifs et Pilate relatif à l’écriture.
 
La nouvelle et l’ancienne. La nouvelle écriture, celle de Pilate, le fameux –INRI- le titulus. C’est la païen Pilate, c’est l’autorité civile qui a le dernier et le premier mot celui de la reconnaissance de Jésus.
 
Le motif est traduit pour que tout l’empire gréco-romain soit concerné. L’écrit devient une preuve ; l’ancienne écriture est aussi convoquée, les psaumes en particulier deviennent un support de compréhension de méditation et de préméditation de ce qui est en train de se passer.
 
Les chrétiens n’ont que des écritures pour confronter leur expérience, leur espérance à la longue histoire de la foi et de la compréhension de la passion à travers l’histoire. Devant ce qui se passe, il faudra relire sans cesse sa vie et les écritures ancienne et nouvelle.
 
 
Même la vie familiale et communautaire sont en friche, bousculées par l’événement  et doivent être recomposées : la mère reçoit un fils, un disciple bien aimé, un frère reçoit une mère ; la présence des femmes et l’attention qui leur est portée est grande et la vie relationnelle la vraie vie doit continuée mais autrement sans doute.
 
 Ce n’est qu’après cette attention radicale à l’autre que l’achèvement ou l’accomplissement peut se faire et se dire : Tout est achevé, comme tout est accompli : en un seul mot en un seul verbe, dernier mot de Jésus. Le troisième jour n’est pas espéré ici. La mort de Jésus n’est pas un faire semblant ni une feinte.
 
D’ailleurs les détails de mort et de ce qui est entrain de se passer, fait encore et toujours débat : faut-il briser ou pas faut-il accélérer la mort ? La lance et le côté, l’eau et le sang. Que faire du corps et à qui et pour qui ? La mort et les suites dans le silence, sont sources de conversations et de décisions à prendre. La mort ici encore est source de paroles.
 
Tout va être compris comme une réalisation de ce qui jadis était lu. Toujours les Ecritures qui aident à comprendre un peu ; et à dire que tout ce gâchis final a un sens. Mais tout va être en débat et l’on sent bien que la menace sur le groupe est bien réelle ; d’ailleurs elles, les femmes ne sont même plus là.
 
Restent seulement les disciples de l’ombre et de la nuit, ceux qui ne font pas partie du premier cercle ; mais ils sont là pour ne pas laisser le corps en l’état. Ils sont les humains de service au bout de tant de violences et d’inhumanités. Ils sont de nouvelles Antigone qui s’occupent du corps de leur proche, de leur maître, de leur frère.
 
La foi chrétienne prend naissance aussi là ; certes le matin de Pâques sera bouleversant ; mais Jésus sur la croix aussi ; ce n’est pas la croix qui compte mais Jésus sur la croix, les acteurs de cet événement, des juifs un peu perdus, personnages religieux et politiques qui tentent de sauver ce qui peut l’être dans leur fonctionnement ; des femmes fidèles, des disciples qui ne peuvent plus suivre et  des disciples qui sont encore là, à la fin.
 
 
Et surtout un personnage troublant énigmatique, qui comme Adam ou comme Isaac, se demande ce qu’il fait là et qui accepte, d’entrer ouvertement et librement dans sa Passion comme le dira ensuite la première liturgie ; la Passion sera toujours redoutable et essentielle dans la vie des humains, des chrétiens et sans doute dans la vie de Dieu aussi.    
 
 
 

vendredi 22 mars 2013

Rameaux... dans l'Ariège


Dimanche des Rameaux : le 24 mars

 Lectures : Nombres 22, 21-35: Balaam.
Genèse 49, 10-11 - Zacharie 9, 9-10 et Matthieu 21, 1-11.

 « v.3 et si quelqu’un vous dit quelque chose, vous répondrez : Le Seigneur en a besoin. »

 La fête des rameaux, l’entrée presque triomphale de Jésus dans la capitale est, comme toute manifestation glorieuse, dangereuse et ambiguë. C’est l’unique manifestation triomphale de Jésus décrite dans les évangiles. L’Eglise chrétienne a souvent associé ce jour d’acclamation à la gloire de Pâques. Est-ce bien raisonnable ? L’agitation des rameaux peut-elle se traduire par la bénédiction de branche de buis ? Je ne le crois pas.

 Lorsque le roi entre dans sa ville c’est en général après une grande victoire ; lorsqu’une capitale ou une ville est prise, c’est bien le signe de victoire d’un côté, et de reddition ou d’abandon de l’autre. D’un côté la force qui gagne et nous avons vu les chars qui remplacent avantageusement aujourd’hui le cheval monture noble et guerrière et de l’autre côté souvent, des ânes chargés et tirant de piètres carrioles, courant dans tous les sens, comme pour mettre à l’abri leurs charges et leurs maîtres.

 Lorsque le roi entre dans sa capitale celle-ci est en émoi en pleine agitation où se mêlent espérances et  interrogations. On agite le drapeau blanc ou celui du vainqueur en signe de bienvenue et de soumission et l’on crie : Sauve-nous ! « Quand Jésus entra dans Jérusalem, toute la ville fut en émoi : Qui est-ce disait-on ?

 Tout ce que Jésus avait fait et dit en Galilée, se trouve ce jour là rassemblé dans la joie, la reconnaissance et l’espérance éphémère d’un salut non plus seulement personnel mais aussi communautaire ou national. Ainsi va l’humanité et les groupes humains de la forte espérance à la déception. La foule est versatile, elle peut brûler ce qu’elle a adoré ; elle peut adorer ce qu’elle a méprisé. Toute l’histoire des peuples est faite de ces renversements qui invitent à la prudence et à la retenue manifestée par Jésus, étrangement silencieux le jour des rameaux.

 Ce jour de victoire ambigüe, ce jour d’exaltation, est le commencement d’une semaine de tous les dangers et même du danger mortel, avec les mêmes acteurs.

La foule sera déçue par Jésus : au cri de sauve-nous ! de l’envahisseur et de l’occupant, il restera complètement insensible, jusqu’à entendre bientôt : Crucifie-le ! Aux marques de reconnaissances et d’intronisation royale il préfèrera le dénuement et partager son sort avec des condamnés ordinaires.

 L’épître aux Philippiens pourra dire : « c’est pourquoi Dieu l’a souverainement élevé et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom. Au bain de sang évité par Jésus dans son renoncement au pouvoir, va suivre sa mort solitaire sur une croix.

Dieu, en Christ est venu donner du sens, du sel, du souffle à la vie des hommes et des femmes et non du pouvoir. Dieu en Christ est venu donner une responsabilité de service des autres et non promettre et décerner la gloire tant attendue des personnes des nations ou des valeurs qui font vivre les hommes. Le chemin choisi par Dieu en Jésus Christ n’est pas notre chemin, il vient en quelque sorte croiser, traverser, parcourir, rattraper le plus souvent le nôtre. Le chemin de Dieu c’est comme une croisée des chemins entre le sien et les nôtres. On peut lire aussi la scène des rameaux, comme une croisée des chemins.

 La fête des rameaux c’est assez curieusement une histoire d’âne, d’ânesse, d’ânon qui vont croiser le chemin du Seigneur. Ce n’est pas la première fois que nous lisons qu’une insistance aussi forte, sur cette monture commune, ordinaire, qui a du caractère tant il est vrai que l’on ne fait pas boire dit-on un âne qui n’a pas soif !

 C’est la monture de Balaam le prophète étranger et étrange qui est guidé par son ânesse qui elle sait où il ne faut pas aller pour maudire Israël mais qui sait porter et supporter le prophète pour bénir, c’est un animal qui croit qui sait et qui parle. C’est cette ânesse qui voit que le Seigneur est venu croiser la route et stopper un cheminement un voyage dit le texte, entrepris à la légère. Peut-on réellement penser que l’évangéliste Matthieu ne connaissait pas Balaam et son ânesse ? Et qui ici le jour des rameaux, ne stoppe pas la route comme au temps de Balaam, comme pour dire : oui il faut y aller ; ce sera dur, n’écoute pas seulement cette foule, ne dévie pas de ton chemin, tu vois, je te porte jusqu’au bout. Ce qui rassure Jésus c’est son ânesse et son ânon plutôt que la foule.

 
L’âne ou  l’ânon c’est aussi le prophète Zacharie et l’entrée modeste du roi messie dont la marque originale sera de briser l’arc de guerre et de supprimer le char de combat dit le texte : il proclamera la paix pour les nations. Sa domination s’étendra d’une mer à l’autre et du fleuve jusqu’aux extrémités du pays. L’ânon tout jeune souvenir de Zacharie pourrait dire à son tour : Il demande qu’on prenne les armes, ne les écoute pas, avançons ensemble muni de ce message de paix même s’il n’est pas encore audible ou crédible. Ce qui accompagne vraiment Jésus c’est son ânesse et son ânon comme rappel solide de sa vocation plutôt que la tentation d’écouter la foule.

 Lorsque Jésus dit à ses disciples : allez au village et vous trouverez une ânesse et un ânon détachez-les ; et si on vous demande quelque chose,  dites : le Seigneur en a besoin ! Comme en eurent besoin Balaam et le messie pacifique de Zacharie.

La monture n’est pas brillante, mais elle est solide et elle incarne dans la tradition biblique une proximité avec les voies de Seigneur : elle est liée à la marche et à la démanche du Seigneur sur le chemin des hommes ; elle est solide, commune, familière et proche de la volonté de Dieu même dans ce qu’elle a de plus surprenant pour les hommes : outil de bénédiction plutôt que de malédiction, outil de lucidité plutôt que de vanité, instrument de service et de paix plutôt que de gloire et de conquête.

Détachez-la, emmenez-les-moi, le Seigneur en a besoin. Comment ne pas entendre ces paroles de Jésus, les seules paroles qu’il prononça ce jour-là ;  Jésus a besoin d’ânes plutôt que d’une foule en liesse ; comment ne pas y entendre et les revoir comme une bonne nouvelle adressée à son Eglise, à ses membres, à nous-mêmes, ce matin.
 
 L’Evangile des rameaux y est contenu tout entier : Nous sommes les ânes du Seigneur ou du moins nous sommes appelés à le devenir. Ce n’est ni une insulte ni une injure, mais une invitation qui vient croiser nos routes et nos habitudes.

L’Eglise comme ânesse, avec ses ânes et ses ânons, selon Balaam et Zacharie qui sont appelés à se détacher à être détaché par l’Esprit saint lui-même et par les Ecritures, oui nous détacher de tout ce qui nous empêche encore d’accomplir notre service et notre mission et pour devenir  les accompagnateurs opiniâtres du Seigneur :

-         Celles et ceux qui vont le porter (fonction phorique : théophore ; comme un phare qui porte la lumière) avec obstination jusqu’en ville, coûte que coûte, - celles et ceux qui ne seront pas impressionnés par les rumeurs et les réputations, les caprices de la foule

-         Celles et ceux qui seront en toutes circonstances les annonciateurs de bénédictions plutôt que de malédictions et qui porteront la parole du maître comme celle d’un serviteur.

-         Celles et ceux qui donneront du sens, du sel, du souffle. Vraiment ce texte et cette fête sont une affaire d’ânesse et d’ânon : ils sont au centre de cette aventure et Jésus ne parle que d’eux.

Ce n’est pas une mince espérance de savoir et de croire que le Seigneur a besoin de nous pour le porter, l’accompagner, ne pas dévier de la route, s’arrêter parfois pour mieux avancer encore, ne pas se laisser distraire et être là au moment opportun, croiser la route du Seigneur, se laisser atteindre par lui, faire au moins un bout de route ensemble. Dans la parabole du bon samaritain celui-ci mis sur sa monture, sur son âne le blessé croisé sur le chemin. Nous avons l’habitude de dire plus facile que le Seigneur nous porte et nous supporte ; et cela est vrai. Mais ce matin les ânes des rameaux, les ânes du Seigneur nous invitent et nous appellent à leur ressembler.

Sur le chemin de Jérusalem, l’ânesse et l’ânon voient s’agiter des palmes des rameaux qui leur rappellent le désert et ses haltes dans les oasis du temps de la grande traversée avec Moïse, ils se souviennent de l’exode, de la sortie du pays des servitudes vers un autre lieu ; ils entendent la foule qui réclame encore et encore ; Ils marchent pour la première fois sur des étoffes, des habits ; ils entendent tout cela ils voient, ils sentent tout cela, mais ils sont loin de penser et de croire encore qu’ils sont en train de vivre à nouveau un nouvel exode ; cette entrée dans la ville sera suivie bientôt d’une sortie, d’un nouveau passage, d’une nouvelle Pâques.  Mais ceci sera une autre histoire…

samedi 16 mars 2013

Dimanche 17 mars, au temple de Villeneuve sur Lot

Jean 8

1 Et Jésus gagna le mont des Oliviers.

2  Dès le point du jour, il revint au temple et, comme tout le peuple venait à lui, il s’assit et se mit à enseigner.

3  Les scribes et les Pharisiens amenèrent alors une femme qu’on avait surprise en adultère et ils la placèrent au milieu du groupe.

4  « Maître, lui dirent–ils, cette femme a été prise en flagrant délit d’adultère.

5  Dans la Loi, Moïse nous a prescrit de lapider ces femmes–là. Et toi, qu’en dis–tu ? »

6  Ils parlaient ainsi dans l’intention de lui tendre un piège, pour avoir de quoi l’accuser. Mais Jésus, se baissant, se mit à tracer du doigt des traits sur le sol.

7  Comme ils continuaient à lui poser des questions, Jésus se redressa et leur dit : « Que celui d’entre vous qui n’a jamais péché lui jette la première pierre. »

8  Et s’inclinant à nouveau, il se remit à tracer des traits sur le sol.

9  Après avoir entendu ces paroles, ils se retirèrent l’un après l’autre, à commencer par les plus âgés, et Jésus resta seul. Comme la femme était toujours là, au milieu du cercle,

10  Jésus se redressa et lui dit : « Femme, où sont–ils donc ? Personne ne t’a condamnée ? »

11  Elle répondit : « Personne, Seigneur », et Jésus lui dit : « Moi non plus, je ne te condamne pas : va, et désormais ne pèche plus. »

8, 31-32 :« Jésus donc dit aux Juifs qui avaient cru en lui : « Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples, vous connaîtrez la vérité et la vérité fera de vous des hommes libres. »

 Autres lectures  : Esaïe 43, 16-21 et Philippiens 3, 8-14.

La rencontre avec la femme adultère pourrait être éclairée et même comprise par cette affirmation de l’évangéliste Jean :

«  Si vous demeurez dans ma parole, vous connaîtrez la vérité et la vérité fera de vous des hommes libres  v. 31-32 ; ils répliquèrent : nous sommes la descendance d’Abraham et jamais personne ne nous à réduits à la servitude : comment peux-tu prétendre que nous allons devenir des hommes libres ? »

 Vérité et Liberté : quelle relation ? Qu’est ce qui me rend libre ? Les religions révélées peuvent-elles rendre libres ? Celles qui croient que leur révélation est unique sont-elles des espaces et des propositions de liberté ?

 Au fond,  est-ce qu’ « une parole de liberté »  peut rendre libre et libre de quoi et de qui ?
 
Le message d’aujourd’hui est simple et clair : le christianisme, tel qu’on le lit dans les textes bibliques, est une proposition de liberté en vérité ; ou encore le christianisme à la suite de Jésus est une vérité qui rend libre.

Mais peut être direz-vous à l’instar des interlocuteurs de Jésus dans l’évangile de Jean : nous sommes et nous nous sentons libres, alors pourquoi faudrait-il le devenir ?  

Si on interroge en effet nos contemporains et qu’on leur demande d’associer un mot une idée une formule à celle de liberté, ils ne diront jamais le mot religion ni même Dieu ni  encore celui d’Eglise ; ces réalités ont en effet a reçu une connotation négative, plus proche de la soumission de  la dépendance voire même de l’aliénation ;  loin donc de la liberté de la libération ou de l’épanouissement de soi.

Aujourd’hui être libre pour nos voisins nos proches nos contemporains pour nous mêmes parfois c’est ne dépendre de personne, c’est être auto-suffisant, ne rien devoir à personne, être riche et bien portant et pouvoir se déplacer sans entrave.

 Aujourd’hui ce qui est vrai pour nos voisins nos proches nos contemporains et pour nous mêmes parfois, ce qui est vrai c’est ce que l’on ressent, ce que l’on peut éprouver et qui correspond à ce que l’on pense et croit. Ce qui est vrai ce n’est pas une vérité extérieure externe mais plutôt une réalité intérieure ; une vérité n’est pas dictée par une instance, une institution, un parti, un état. Ou alors il faut que cette instance externe cherche en nous ce qu’elle veut nous faire croire comme vrai ; cela s’appelle aussi de la propagande.

 En définitive nous vivons ce que l’on appelle parfois l’ère du sujet ; celle de l’individu et parfois mieux de la personne qui doit décider de tout et vérifier en elle même ce qui juste et bon pour elle c’est à dire alors aussi pour les autres.

 Tout ou presque peut être ainsi justifié. Il m’arrive de penser parfois que ce qui est bon pour moi devrait être bon pour les autres. Je suis devenu le centre non seulement de ma vie mais aussi de celle des autres.

Nous sommes passés d’un extrême à l’autre ; d’un extrémisme à l’autre ; d’une radicalité à une autre radicalité.

Auparavant c’était le groupe, le statut social, l’appartenance sociale et religieuse, c’était l’institution dans laquelle je me trouvais sans le décider, par tradition qui régenter la vie et les modes de vie sans que le sujet, la personne ne soit autorisée  avec quelques exceptions bien sûr, à changer une façon de penser, d’agir ou de croire. D’autres décidaient pour moi, ma famille, mon Eglise, mon rang dans la société.

Dans l’empire gréco-romain, les classes sociales bien avant Marx, existaient de façons radicales ; les citoyens dirigeaient, les hommes libres commerçaient, les esclaves travaillaient. En proposant à des juifs de devenir libres, Jésus ou l’auteur de l’Evangile s’autorise une incongruité : se pourrait-il que des juifs fassent partie de la sphère de l’esclavage ? Eux qui étaient reconnus comme hommes libres et parfois même comme citoyens ?

« Nous sommes de la descendance, de la famille d’Abraham ». Et revoilà la venue de groupe, de  la famille et du clan !  Voilà à nouveau l’introduction du cadre sans lequel il n’y a plus d’existence possible. Changer de cadre c’est changer de vie ce qui est presque impossible.

Le christianisme invente un nouveau cadre ; change le cadre existant et ce n’est pas une catastrophe, c’est seulement difficile à croire et à vivre : on peut être du clan d’Abraham et être esclave de ce cadre. Etre enraciné ne veut pas dire rejeter toute autre racine qui ne serait pas mienne ; être enraciné en Christ veut dire que désormais toute racine est relativisée ; toute situation, tout cadre n’est pas suffisant pour vivre et être en relation avec les autres. 

Mon enracinement dans ma famille, dans mon Eglise, dans mon métier, dans mon pays, dans mes convictions politiques, ne sont pas une garantie de véracité, de vérité. Ce ne sont pas des vérités ultimes et dernières mais seulement provisoires et avant-dernières et la vérité vraie, la vérité ultime avec un grand V se s’épuisera jamais dans ces réalités.

Je suis capable devant et dans tout ce qui me détermine, de dire « Je » ; de dire oui lorsque tout me pousse à dire non ; de dire non lorsque tout me contraint et s’attend à ce que je dise oui.

C’est ici que le texte bizarre à propos de la femme adultère revêt une grande importance ; cette femme est ballottée entre le regard et le jugement du groupe, des autres et le poids personnel d’une conscience coupable et mal à l’aise. L’auteur du texte et probablement Jésus lui-même font la distinction entre l’acte l’action et la personne elle-même ; il y a un écart entre je que je fais et ce que je suis. Je ne suis pas ce seulement ce que je réalise. Cette femme vaut davantage que l’acte qui veut la définir.

Elle doit faire avec Jésus l’expérience de l’entrée dans une Parole de Liberté.

«  Si vous demeurez dans ma parole, vous connaîtrez la vérité qui fera de vous des hommes et des femmes libres » Au fond c’est bien cela qui doit valoir et qui doit être une attestation un témoignage pour les autres pour moi-même comme pour Dieu.

L’Evangile ne dit pas : si vous adhérer à ma personne, si vous votez pour moi,  si vous m’êtes fidèles etc.…il dit : si vous demeurez dans ma parole : si vous venez habiter non pas les mots que j’ai prononcés ; mais la Parole : la parole que je me suis autorisée de dire et de proclamer contre toutes les paroles magiques ou autoritaires et religieuses qui sont prononcés par beaucoup.  Jésus ne dit pas à cette femme : viens et suis-moi ! Elle est libre de le faire ou de ne pas le faire ; il ne lui dit pas ; ta foi t’a sauvée ! Car une foi prisonnière du regard et de l’opinion des autres n’est pas une foi libre. Il lui dit simplement et librement : va t-en   ! Tu es libre de partir désormais c’est pourquoi tu peux dans cette liberté même devenir responsable. Tu peux répondre de tes actes et non plus être identifiée à eux seuls.

Une parole qui vient dire qu’il existe encore d’autres enfants d’Abraham libres et responsables  et d’autres modes d’appartenance. L’Ecriture inconnue de Jésus sur le sol pourrait être l’écriture d’une loi nouvelle et neuve. Une parole qui vient ouvrir l’espérance à celles et ceux qui sont encerclés enfermés en eux-mêmes, comme dans un carcan. Le christianisme qui va accueillir les païens et infidèles coupables et non responsables pour qu’ils deviennent des humains qui vont redécouvrir l’humanité qui est en eux et qui feront confiance  en une Parole de vie et de vérité. 

Une parole qui ouvre la bouche et non la ferme ! Une parole qui dit : Ouvre-toi ; non seulement à Dieu lui-même directement, mais aussi aux autres ;  ouvre-toi enfin à toi-même !

A cet égard le christianisme sera une proposition radicalement nouvelle et étrange pour beaucoup. Au fond cela deviendra une religion non religieuse ; une sorte de religion qui parlera de la sortie de la religion.

A ce niveau, la vérité comme la liberté ne se confondra jamais avec une pratique rituelle et servile ; elle ne se confondra pas avec une appartenance qui ne se discuterait pas.

A ce niveau, celui de la rencontre de Jésus avec une femme prisonnière est le type même de la liberté de la foi entrain de se mettre en route.

La Vérité existe et même si je le la ressens pas, je peux la croire. La Liberté existe pour moi car précisément je ne suis pas indépendant ; mais bien dépendant d’une parole de vérité prononcée par quelqu’un d’autre.

Les chrétiens ne formeront jamais un groupe ou tout le monde devrait croire de la même manière et ils ne formeront jamais un groupe où chacun pense ce qu’il veut. Où chacun se justifie par ses actes en se cachant dans une bonne conscience qui sépare qui isole qui enferme.

La communauté chrétienne  deviendra ce rassemblement provisoire où chacun entendra à sa manière,  une parole de vérité qui le ou la rendra encore plus libre et plus vrai.

 La vérité chrétienne, la parole de vérité ne se confondra jamais avec les vérités que nous nous fabriquons et que l’on nous fabrique sans cesse. Un au-delà des vérités du monde est proposé ; l’objectif à atteindre et promis c’est bien celui d’une liberté vraie et d’une vérité libre.

 

lundi 11 mars 2013

Repas : Cène et Liturgie


Préface
Un jour au milieu de nous

il y eut un homme,

un homme de chair et de sang,

un homme perdu dans la masse des pauvres.

Ton Esprit s’est posé sur lui.

Il se disait le Fils de l’Homme;

Il t’appelait son Père,

on l’appelait Jésus.

Nous apprenons de lui

qu’il a un Nom : “Dieu avec nous”

Dieu dans le monde, Dieu Sauveur.

Parce qu’il a été cette voix dans un corps,

douce et fraternelle à nos oreilles,

parce qu’il a été un ami,

nous montrant ta fidélité envers les petits et les pécheurs,

nous pouvons te bénir et proclamer [ chanter ]:

Saint, Saint, Saint est le Seigneur notre Dieu,

La terre entière est remplie de sa gloire;

Hosanna au plus haut des cieux.

Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur.

Hosanna au plus haut des cieux.

Institution

Le soir venu, Jésus se mit à table avec les douze. Pendant le repas, il prit du pain et, après avoir rendu grâces, il le rompit et le leur donna en disant :

"Prenez, mangez, ceci est mon corps."

Ayant aussi pris la coupe et rendu grâces, il la leur donna en disant :

"Buvez-en tous, car ceci est mon sang, le sang de l’alliance qui est répandu pour la multitude, pour le pardon des péchés.

Je vous le dis, désormais, je ne boirai plus de ce fruit de la vigne jusqu’au jour où je le boirai, nouveau, avec vous, dans le Royaume de mon Père."

Prière :

Père, au moment de nous approcher de cette table, nous faisons mémoire des paroles et des gestes de Jésus-Christ, de sa mort, de sa résurrection, et nous attendons son retour.

Nous recevons de toi ce pain de vie destiné à la nourriture du monde.

Nous recevons de toi la coupe d’alliance que tu offres pour la joie du monde.

Tu nous rassembles et nous invites.

Par ton Esprit, renouvelle notre foi afin que ce pain et ce vin soient les signes de la présence de ton Fils parmi nous.

Fais toutes choses nouvelles dans nos cœurs et dans le monde.

Comme Jésus l’a enseigné à ses disciples, nous te disons :

Notre Père qui es aux cieux,

que ton nom soit sanctifié,

que ton règne vienne,

que ta volonté soit faite

sur la terre comme au ciel.

Donne-nous aujourd’hui

notre pain de ce jour.

Pardonne-nous nos offenses

comme nous pardonnons aussi

à ceux qui nous ont offensés,

et ne nous soumets pas à la tentation,

mais délivre-nous du mal,

car c’est à toi qu’appartiennent

le règne, la puissance et la gloire,

pour les siècles des siècles.

Amen.

Invitation à la Cène :

Chacun d'entre nous a pu l'entendre,

Dieu l'a dit:

Jusqu'à l'achèvement des êtres et des choses,

Jusqu'à l'accomplissement,

Avec vous je me tiendrai.

Il est une charpente dans la dispersion de nos jours.

Chacun d’entre nous a pu l'entendre,

Dieu l'a dit:

A n'importe quelle heure, ma porte est ouverte,

Il suffit d'entrer et de vous asseoir près de moi

Il est une nourriture dans la fatigue de nos jours.

Chacun d’entre nous a pu l'entendre,

Dieu l'a dit:

Si vous êtes ensemble à cause de moi,

je suis au milieu de vous.

Il est une présence dans l'isolement de nos jours.

Que Dieu nous accorde de célébrer sa présence dans la joie.

Nous sommes tous invités à cette table par Jésus-Christ.

Il appelle chacun de nous à le rejoindre.

Fraction :

·         Le pain de la vie est le corps de Jésus, le Crucifié.

·         Le vin de la fête est le sang du Christ, le Ressuscité.

 
Communion et Prière :

Père,

nous te remercions pour ce repas .

Tu nous as rendus proches de toi.

Elargis l'espace de notre vie.

Donne-nous de cueillir, d’accueillir, de recueillir

les êtres et les événements

qui surviennent sur nos chemins.

Nous ne pouvons pas faire cela sans toi.

Accorde-nous, Seigneur,  ta force et ton amour.

 

 

dimanche 3 mars 2013

Ne nous soumets pas à la tentation !

Aujourd’hui la tentation ne fait peur à personne. Dans nos sociétés elle est devenue une force de vente, un moyen, une technique objective qui s’enseigne et se déploie sur des panneaux et nos écrans pour nous pousser à acquérir consommer échanger sans crainte ni retenue elle concerne les riches et les pauvres, bref elle est le moteur dynamique du marché ; elle répond aux besoins et en crée de nouveaux, elle fonde stimule la concurrence. Le vieux texte de la Genèse pourrait être utilisé sans peine : une publicité qui décrit et met en valeur un produit bon à manger, séduisant à regarder et précieux pour agir avec clairvoyance est un produit qui va être vendu et acheté.

40 jours avant Pâques, l’Eglise chrétienne a traditionnellement éprouvé le besoin de corriger ou de gérer la tentation comme attraction en qualifiant ce temps particulier de Carême et en le plaçant sous le signe de son contraire celui du renoncement ou de l’effort à la modération de  nos appétits dévorants de publicité et de consommation. Ceci est l’expression d’un bon sentiment qui ne peut nuire à personne. Il peut être compris comme l’expression d’une certaine sagesse face à bien des excès pour les uns et des manques non choisis pour bien d’autres. Mais les textes bibliques que nous avons n’ont probablement pas été écrits pour nous inviter à vivre un temps de Carême !

Je serais tenté de dire –on n’échappe pas à la tentation, même de dire- je serai donc tenté dire que l’épreuve de la tentation est un cheminement de la vie chrétienne qui nous permet de nous libérer de ce qui entrave notre liberté et notre foi. Et cela d’au moins trois manières.

1-Nous libérer d’un poids, d’une lourdeur, d’un destin. Le fameux texte de la Genèse a été compris comme la manifestation de ce qu’on a appelé le péché originel. Au fond si nous sommes ce que nous sommes, en fait nous n’y pouvons pas grand chose, Dieu l’aurait voulu ainsi et nos augustes mythiques ancêtres devant Dieu auraient commis l’irréparable, surtout elle, d’ailleurs ! Et nous pauvres créatures copies conformes, nous ne pouvons que continuer à convoiter et à succomber à la tentation, à toutes les tentations possibles. Une faute indélébile a été commise. Cette vision des choses me paraît débile.

La liberté d’Adam et Eve est à l’épreuve d’une loi qui structure la vie et les relations entre les vivants. Leurs descendants ne sont pas marqués par un destin néfaste mais ils ont à faire eux aussi avec une loi qui structure, celle de la parole d’un tiers et d’un autre ici Dieu qui dit à sa manière : tout est possible mais tout n’est pas bon pour toi et les autres. Si tu écoutes et entends ma voix qui clarifie et distingue tu n’auras plus honte et tu ne te cacheras plus à toi-même ce qui tu es ; tu ne te cacheras plus devant les autres. La tentation est ici de croire qu’il est possible de vivre sans entendre une voix qui clarifie et distingue.

Les traditions bibliques si diverses, sont toutes d’accord et disent toutes la même chose sur ce point - vivre devant Dieu et avec les autres, ou vivre devant les autres et avec Dieu c’est distinguer et non mêler - c’est reconnaître des individus, des personnes et non des masses, c’est établir des alliances et des codes et non vivre comme si tout était possible. Le Dieu d’Adam et Eve donne la possibilité d’établir des relations de confiance. Au commencement était ni la faute ni le péché mais la parole de confiance qui distingue contre une parole qui mélange et qui trouble. Aujourd’hui comme hier la tentation est toujours grande et vivace de repousser la parole claire, décisive qui fait vivre pour préférer celle qui brouille et qui mêle et qui empêche de vivre bien ou mieux.

2. Nous libérer de l’épreuve ou de la tentation, comme accroissement de nous-mêmes. Il faut croître et s’agrandir. Pour de bonnes raisons les chrétiens ont conquis le monde et nous sommes émerveillés et affolés à la fois de lire l’histoire de la chrétienté comme un développement qui rien ni personne ne purent arrêter avec son lot de bonheurs et de grands malheurs aussi. La tentation s’exprime ici lorsque les fins justifient les moyens employés. Connaître ce qui est bien ou mal, espérer ne pas mourir cela vaut bien la transgression de ce qui paraît un interdit dérisoire : tous les fruits, mais pas celui-là. Comment résister à cet irrésistible ? Ce qui est dit n’a pas été cru ni entendu.

Accroissement des richesses, des territoires, des connaissances, de la foi elle-même ; tout cela ne semble pas négatif en vérité et pourtant tout cela devient objet de chute, de scandale, là où l’objectif poursuivit, n’est plus en relation avec la responsabilité et la liberté de l’homme puissant ou ordinaire.

Oui Jésus comme fils de Dieu aurait pu transformer les pierres en pains, il fera des choses au moins aussi extraordinaires mais il dira que le pain partagé est signe de son corps meurtri ; oui il pourrait sauter dans le vide mais sa chute sera de venir habiter parmi nous ; non il n’aurait pas pu se prosterner devant le diable ! Il a préféré laver les pieds de ses disciples. Voici que sa gloire n’est pas en état d’accroissement, où plus exactement son élévation sera celle de la croix. Son enrichissement sera son abaissement, sa vie et sa mort seront pour beaucoup une perspective de vie, sa parole sera une bonne nouvelle, sauver sa vie avec lui sera la perdre toujours avec lui.

Nous avons besoin de croître à tous les niveaux et en même temps nous garder de la tentation de croire que cette croissance est la preuve ou la source de notre fidélité.

3. Nous libérer de la croyance en une faute passée, nous libérer d’une croissance comme preuve et source de salut, nous libérer aussi d’une fausse réalisation de soi-même. La tentation aujourd’hui s’exprime parfois ainsi : soyez vous-mêmes ! Comme pour dire qu’en nous, nous avons ce qu’il faut pour être et vivre de façon autonome et donc en vérité ! Ce qui est remarquable dans les récits de tentation c’est bien la place et le rôle de l’autre qui est concerné. Je ne suis rien sans toi ; je suis démuni sans ta présence ; mon autonomie si chère et si revendiquée n’est qu’un leurre.

Eve implique Adam, le serpent ne peut agir seul, Dieu cherche Adam qui se cache désespérément, comme si Dieu lui-même et l‘homme et la femme ne pouvaient rester seuls. Dans le récit de Matth. Jésus et l’esprit sont reliés comme Jésus est relié à une Ecriture qui devient parole de vie et donc convaincante ; oui nous le savons bien la réalisation de nous-mêmes passe par les autres ;


La foi chrétienne nous annonce que Dieu lui est disponible et présent parmi nous parmi les autres pour nous accompagner, nous précéder, nous suivre. La tentation est ici de croire en nos propres forces ou même en nos propres faiblesses si facilement affirmées. Le salut, le bonheur, la foi n’est pas en nous ils se découvrent dans la parole externe celle des autres celle de Dieu qui nous appellent, qui nous exhortent, qui nous encouragent ou nous consolent ou nous envoient, bref qui nous justifient encore et toujours alors que nos ressources de foi et s’épuisent. M. Luther disait juste et pécheur en même temps ; pardonné est d’espérance sans cesse ayant besoin d’être pardonné par Lui. La réalisation de nous mêmes passe par la reconnaissance des autres et de Dieu.

Au fond, nos petites tentations que nous mettons en pratique ne sont pas très intéressantes, elles relèvent souvent de la morale ordinaire ou du code pénal. La seule  véritable tentation est celle qui concerne notre foi et notre espérance en Dieu lui même. Il nous arrive de ne pas vouloir que Dieu soit Dieu pour nous. Certes il nous arrive de vouloir être Dieu à notre niveau. Il nous arrive de croire en un Dieu que nous nous fabriquons et auquel nous nous habituons. La tentation religieuse ou spirituelle est sans doute la plus grande la plus subtile des tentations.

Le Dieu d’Adam et Eve est un Dieu qui surprend, il fera avec celle et celui qui ont transgressé : il ne les fera pas mourir mais vivre, la sortie du jardin sera non pas une condamnation mais le commencement d’une nouvelle et rude aventure ; le Dieu de la Genèse va accompagner et sera le vis à vis surpris et complice de cette nouvelle étape d’histoires et de vie.

Le Dieu de Jésus Christ renonçant à la toute puissance pourra rencontrer les hommes et les femmes pour qu’ils vivent leur vie et leur mort munis de sa présence et de sa vie : sans juger mais en stimulant, sans condamner, mais ouvrant un espace et un temps pour vivre et re-vivre.

Le Carême n’est pas une privation infligée ; c’est le temps de la réception d’une nouvelle compréhension de Dieu et des autres, c’est le temps d’un regard neuf, c’est le temps d’une foi renouvelée, c’est encore le temps des tentations en présence de Celui qui se tient à côté de nous et qui nous permet de les vivre :  ne crois pas que tu puisses transformer le pain et vin mais crois que tu peux en ma présence, le partager en souvenir de ma vie et de ma mort ; ne crois pas que tu puisses te suffire à toi-même, mais viens à ma rencontre pour avancer encore ; ne crois pas que je sois un Dieu conforme à tes souhaits, mais accepte de croire en la surprenante bonne nouvelle : tu es important pour moi ; Seigneur, ne me soumets pas à la tentation mais renouvelle ma foi et mon regard en ce temps de Carême.