samedi 9 avril 2022

Le jour des Rameaux

 Dimanche des Rameaux : Lectures : Nombres 22, 21-35 :  Balaam.

Genèse 49, 10-11 - Zacharie 9, 9-10 et Matthieu 21, 1-11 : Rameaux. 

« v.3 et si quelqu’un vous dit quelque chose, vous répondrez : Le Seigneur en a besoin. »

La fête des rameaux, l’entrée presque triomphale de Jésus dans la capitale est, comme toute manifestation glorieuse, dangereuse et ambiguë. C’est l’unique manifestation triomphale de Jésus décrite dans les évangiles. L’Eglise chrétienne a souvent associé ce jour d’acclamation à la gloire de Pâques. Est-ce bien raisonnable ? L’agitation des rameaux peut-elle se traduire par la bénédiction de branche de buis ? Je ne le crois pas.

Lorsque le roi entre dans sa ville c’est en général après une grande victoire ; lorsqu’une ville est prise, nous l’avons vu bien sûr cette semaine, c’est bien le signe de victoire d’un côté, et de reddition ou d’abandon ou de résistance de l’autre. D’un côté la force qui gagne et nous avons vu les chars qui remplacent avantageusement aujourd’hui le cheval monture noble et guerrière et de l’autre côté nous avons vu aussi curieusement des ânes chargés et tirant de piètres carrioles, courant dans tous les sens, comme pour mettre à l’abri leurs charges et leurs maîtres.

 Lorsque le roi entre dans sa capitale celle-ci est en émoi en pleine agitation où se mêlent espérances et interrogations. On agite le drapeau blanc ou celui du vainqueur en signe de bienvenue et de soumission et l’on crie : Sauve-nous ! « Quand Jésus entra dans Jérusalem, toute la ville fut en émoi : Qui est-ce disait-on ? 

Tout ce que Jésus avait fait et dit en Galilée, se trouve ce jour là rassemblé dans la joie, la reconnaissance et l’espérance éphémère d’un salut non plus seulement personnel mais aussi communautaire ou national. Ainsi va l’humanité et les groupes humains de la forte espérance à la déception. La foule est versatile, elle peut brûler ce qu’elle a adoré ; elle peut adorer ce qu’elle a méprisé. Toute l’histoire des peuples est faite de ces renversements qui invitent à la prudence et à la retenue manifestée par Jésus, étrangement silencieux le jour des rameaux.

Ce jour de victoire ambiguë, ce jour d’exaltation, est le commencement d’une semaine de tous les dangers et même du danger mortel, avec les mêmes acteurs.

La foule sera déçue par Jésus : au cri de sauve-nous ! de l’envahisseur et de l’occupant, il restera complètement insensible, jusqu’à entendre bientôt : Crucifie-le ! Aux marques de reconnaissances et d’intronisation royale il préfèrera le dénuement et partager son sort avec des condamnés ordinaires.

L’épître aux Philippiens pourra dire : « c’est pourquoi Dieu l’a souverainement élevé et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom. » Au bain de sang évité par Jésus dans son renoncement au pouvoir, va suivre sa mort solitaire sur une croix.

Dieu, en Christ est venu donner du sens, du sel, du souffle à la vie des hommes et des femmes et non du pouvoir. Dieu en Christ est venu donner une responsabilité de service des autres et non promettre et décerner la gloire tant attendue des personnes des nations ou des valeurs qui font vivre les hommes. Le chemin choisi par Dieu en Jésus Christ n’est pas notre chemin, il vient en quelque sorte croiser, traverser, parcourir, rattraper le plus souvent le nôtre. Le chemin de Dieu c’est comme une croisée des chemins entre le sien et les nôtres. On peut lire aussi la scène des rameaux, comme une croisée des chemins.

 La fête des rameaux c’est assez curieusement une histoire d’âne, d’ânesse, d’ânon qui vont croiser le chemin du Seigneur. Ce n’est pas la première fois que nous lisons qu’une insistance aussi forte, sur cette monture commune, ordinaire, qui a du caractère tant il est vrai que l’on ne fait pas boire dit-on un âne qui n’a pas soif !


C’est la monture de Balaam le prophète étranger et étrange qui est guidé par son ânesse qui elle sait où il ne faut pas aller pour maudire Israël mais qui sait porter et supporter le prophète pour bénir, c’est un animal qui croit qui sait et qui parle. C’est cette ânesse qui voit que le Seigneur est venu croiser la route et stopper un cheminement un voyage dit le texte, entrepris à la légère. Peut-on réellement penser que l’évangéliste Matthieu ne connaissait pas Balaam et son ânesse ? Et qui ici le jour des rameaux, ne stoppe pas la route comme au temps de Balaam, comme pour dire : oui il faut y aller ; ce sera dur, n’écoute pas seulement cette foule, ne dévie pas de ton chemin, tu vois, je te porte jusqu’au bout. Ce qui rassure Jésus c’est son ânesse et son ânon plutôt que la foule.

L’âne ou l’ânon c’est aussi le prophète Zacharie et l’entrée modeste du roi messie dont la marque originale sera de briser l’arc de guerre et de supprimer le char de combat dit le texte : il proclamera la paix pour les nations. Sa domination s’étendra d’une mer à l’autre et du fleuve jusqu’aux extrémités du pays. L’ânon tout jeune souvenir de Zacharie pourrait dire à son tour : Il demande qu’on prenne les armes, ne les écoute pas, avançons ensemble muni de ce message de paix même s’il n’est pas encore audible ou crédible. Ce qui accompagne vraiment Jésus c’est son ânesse et son ânon comme rappel solide de sa vocation plutôt que la tentation d’écouter la foule.

Lorsque Jésus dit à ses disciples : allez au village et vous trouverez une ânesse et un ânon détachez-les ; et si on vous demande quelque chose, dites : le Seigneur en a besoin ! Comme en eurent besoin Balaam et le messie pacifique de Zacharie.

La monture n’est pas brillante, mais elle est solide et elle incarne dans la tradition biblique une proximité avec les voies de Seigneur : elle est liée à la marche et à la démanche du Seigneur sur le chemin des hommes ; elle est solide, commune, familière et proche de la volonté de Dieu même dans ce qu’elle a de plus surprenant pour les hommes : outil de bénédiction plutôt que de malédiction, outil de lucidité plutôt que de vanité, instrument de service et de paix plutôt que de gloire et de conquête.

Détachez-la, emmenez-les-moi, le Seigneur en a besoin. Comment ne pas entendre ces paroles de Jésus, les seules paroles qu’il prononça ce jour-là ;  Jésus a besoin d’ânes plutôt que d’une foule en liesse ; comment ne pas y entendre et les revoir comme une bonne nouvelle adressée à son Eglise, à ses membres, à nous-mêmes, ce matin.

L’Evangile des rameaux y est contenu tout entier : Nous sommes les ânes du Seigneur ou du moins nous sommes appelés à le devenir. Ce n’est ni une insulte ni une injure, mais une invitation qui vient croiser nos routes et nos habitudes.

L’Eglise comme ânesse, avec ses ânes et ses ânons, selon Balaam et Zacharie qui sont appelés à se détacher à être détaché par l’Esprit saint lui-même et par les Ecritures, oui nous détacher de tout ce qui nous empêche encore d’accomplir notre service et notre mission et pour devenir les accompagnateurs opiniâtres du Seigneur :

-   Celles et ceux qui vont le porter (fonction phorique : théophore ; comme un phare qui porte la lumière) avec obstination jusqu’en ville, coûte que coûte, - celles et ceux qui ne seront pas impressionnés par les rumeurs et les réputations, les caprices de la foule

-    Celles et ceux qui seront en toutes circonstances les annonciateurs de bénédictions plutôt que de malédictions et qui porteront la parole du maître comme celle d’un serviteur.

-    Celles et ceux qui donneront du sens, du sel, du souffle. Vraiment ce texte et cette fête sont une affaire d’ânesse et d’ânon : ils sont au centre de cette aventure et Jésus ne parle que d’eux.

      Ce n’est pas une mince espérance de savoir et de croire que le Seigneur a besoin de nous pour le porter, l’accompagner, ne pas dévier de la route, s’arrêter parfois pour mieux avancer encore, ne pas se laisser distraire et être là au moment opportun, croiser la route du Seigneur, se laisser atteindre par lui, faire au moins un bout de route ensemble. Dans la parabole du bon samaritain celui-ci mis sur sa monture, sur son âne le blessé croisé sur le chemin. Nous avons l’habitude de dire plus facile que le Seigneur nous porte et nous supporte ; et cela est vrai. Mais ce matin les ânes des rameaux, les ânes du Seigneur nous invitent et nous appellent à leur ressembler.

Sur le chemin de Jérusalem, l’ânesse et l’ânon voient s’agiter des palmes des rameaux qui leur rappellent le désert et ses haltes dans les oasis du temps de la grande traversée avec Moïse, ils se souviennent de l’exode, de la sortie du pays des servitudes vers un autre lieu ; ils entendent la foule qui réclame encore et encore ; Ils marchent pour la première fois sur des étoffes, des habits ; ils entendent tout cela ils voient, ils sentent tout cela, mais ils sont loin de penser et de croire encore qu’ils sont en train de vivre à nouveau un nouvel exode ; cette entrée dans la ville sera suivie bientôt d’une sortie, d’un nouveau passage, d’une nouvelle Pâques.  Mais ceci sera une autre histoire…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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