lundi 2 juin 2014

Vers un christianisme transconfessionnel !

Pasteur L. Schlumberger au Synode National 2014 de l’EPUdF à Avignon  : Un nouveau paradigme

J’ai la conviction que d’ici deux générations, nous aurons très fortement progressé vers un christianisme post-dénominationnel, voire transconfessionnel. Le pays qui, probablement, comptera bientôt le plus grand nombre de chrétiens, et où le protestantisme est d’ailleurs la première confession chrétienne, est la Chine. En Chine, lorsque vous demandez à un chrétien protestant s’il est pentecôtiste, luthérien, méthodiste, réformé ou autre, vous n’obtenez en général pas de réponse, car la question est peu pertinente et souvent incomprise. Bien sûr, selon les sujets, les lieux ou les personnes, on perçoit des héritages, des influences, voire des dominantes pentecôtistes, luthériennes, méthodistes, réformées ou autres. Mais dans un pays où le développement des Eglises est récent, la question de la dénomination, voire de l’identité confessionnelle, n’a pas grand sens.

Dans les assemblées oecuméniques, les passerelles transconfessionnelles entre les personnes sont évidemment nombreuses et, en raison de l’habitude du dialogue et de la prière commune, les affinités ne coïncident pas forcément avec les identités confessionnelles. Cette plasticité confessionnelle est également perceptible dans l’Institut oecuménique de théologie au Maroc, où notre Eglise est engagée, en raison du contexte interreligieux.

Je ne dis pas que, dans vingt ans, les étiquettes confessionnelles auront disparu ; je suis même à peu près sûr du contraire. Mais leur importance aura fortement régressé ; elles apparaîtront comme des héritages intéressant les spécialistes, mais pas le peuple de l’Eglise ; elles ne recouvriront plus la composition effective des Eglises : par exemple, une Eglise s’affichant presbytérienne aura en son sein beaucoup de membres, voire une majorité, qui se comprendront d’abord tout autrement que par rapport au critère confessionnel presbytérien. Les étiquettes confessionnelles demeureront probablement à l’état de survivances, mais l’étiquette ne correspondra souvent plus au contenu de la bouteille si je puis dire.

Bien sûr, ce ne sera bien sûr pas le fait de toutes les Eglises. Bien sûr, il y aura aussi, car il y a déjà, des raidissements identitaires. Mais outre le fait que l’on peut analyser ces réactions comme des confirmations de cette évolution, la tendance est là. C’est un nouveau paradigme, qui est en train d’apparaître.
 
Une évolution qui va s’accentuer et s’accélérer
 
Cette évolution est un fruit du mouvement oecuménique. Depuis plus d’un siècle, et plus particulièrement depuis la conférence d’Edimbourg, l’oecuménisme, c’est la relativisation des identités confessionnelles par la priorité accordée au témoignage commun. Depuis un siècle, cette logique profonde travaille nos Eglises et les fait avancer.

Cette évolution va s’accentuer et s’accélérer, en raison de la globalisation, de l’individualisation et de la sécularisation. De la globalisation, car les traditions ecclésiales sont de plus en plus perméables les unes aux autres. De l’individualisation, car dans ce paysage global et mouvant, l’itinéraire de chacun est de moins en moins guidé par les identités héritées et de plus en plus singulier. De la sécularisation, car la sécularisation renforce la pertinence et la nécessité du témoignage.
 
Les personnes qui rejoignent notre Eglise sont elles-mêmes en quelque sorte post-dénominationnelles !
Nous vivons déjà cette évolution là où nous sommes. Les personnes qui rejoignent notre Eglise – et c’est une proportion de l’ordre de 20%, en croissance – sont elles-mêmes en quelque sorte post-dénominationnelles : sauf rares exceptions, elles ne viennent pas adhérer à la confession réformée ou luthérienne ; elles sont motivées par bien d’autres aspirations, à commencer par l’aspiration à une communauté vivante, où elles soient accueillies, reconnues, nommées, nourries.

Dans cette évolution, le protestantisme français est sans doute plutôt en avance. Cela tient à la porosité entre ses courants, qui a toujours existé, qui se vit au sein même de notre Eglise et qui se manifeste aussi par l’existence d’une Fédération protestante au périmètre large, ce qui est assez unique. Cela tient aux recompositions en cours, avec les Eglises dites « issues de l’immigration », l’essor évangélique et la création du CNEF, la dynamique d’union luthéro-réformée. Cela tient à la facilité des relations oecuméniques dans notre pays, remarquable si on la compare à beaucoup d’autres contextes. Et, pour ce qui nous concerne tout récemment, la constitution de l’Eglise protestante unie de France est un pas dans ce sens de la relativisation des identités confessionnelles en vue d’un meilleur témoignage rendu à l’Evangile.

Vérité et communion

Cette évolution vers un christianisme post-dénominationnel ou transconfessionnel, va-t-elle induire un affadissement théologique ? Faut-il renoncer à des options affûtées et accepter tout et n’importe quoi, dans un grand melting pot indifférencié ? Certainement pas ! Bien sûr, le risque peut exister. Mais analyser les évolutions du monde et des Eglises, être attentif à ces faits que sont l’interreligieux et l’interculturel, honorer et recomposer nos héritages, percevoir les quêtes spirituelles de nos contemporains et les travailler, bref élargir l’horizon tout en s’efforçant d’y tracer un chemin de fidélité, ou pour le dire autrement « Lire le monde et penser Dieu » comme le dit le dépliant de l’IPT, cela exige plutôt de monter en qualité théologique en quelque sorte, pour entendre, comprendre et proposer.

En revanche, cette évolution vers un christianisme transconfessionnel va certainement nous bousculer quant à la question de nos critères de vérité. Car où situer le critère de vérité évangélique ?

Depuis des siècles, ce critère de vérité est situé plutôt du côté de la doctrine et de sa juste formulation. On distingue les confessions chrétiennes à coups de dogmes, de concepts, d’affirmations doctrinales. Mais après tout, au nom de quoi la doctrine devrait-elle être le nec plus ultra de l’identité chrétienne ? Depuis quelques temps, ce critère se déplace du côté de l’éthique. On voit des Eglises se déchirer et des communions mondiales se fissurer au nom de la vérité sur des questions éthiques liées à la justice ou au genre. Mais après tout, au nom de quoi les Eglises et les chrétiens devraient-il avoir tous les mêmes options dans ce domaine ? Marcher sur le même chemin exige-t-il de marcher au même rythme, avec les mêmes étapes ?

Et s’il fallait situer prioritairement le critère de vérité évangélique du côté de la capacité de communion ? Dans le Nouveau Testament, la communion – koinônia en grec – est une solidarité pleine et polymorphe. Une solidarité pleine, car il s’agit d’abord de la solidarité de Dieu avec les humains, et du coup de la solidarité entre les humains à laquelle Dieu invite. Une solidarité polymorphe car elle est spirituelle – par l’Esprit et dans la foi –, autant que matérielle – par les repas partagés ou l’entraide financière. La communion est un lien qui nous précède, qui nous est donné, et tout autant un lien qu’il faut faire vivre et rendre manifeste. La communion est une sorte d’accord profond, au sens musical de ce terme.

Dans le Nouveau Testament, nous voyons des apôtres et des Eglises soumis parfois à de très rudes tensions, de caractère doctrinal et éthique. Ce qui est en jeu, ce sont des questions aussi explosives que la stratégie missionnaire, les relations avec les Juifs, le rapport à la loi, la compréhension de la justice, les règles internes aux communautés, l’identité sociale ou sexuelle et l’identité en Christ, la conception des ministères, l’insertion dans la société… – des questions à côté desquelles nos sujets de débats paraissent parfois assez seconds ! Mais ces tensions n’empêchent pas l’accord. Elles sont vécues, recadrées, englobées dans une perspective de communion, de koinônia, comme si une large diversité de points de vue théologiques, ecclésiologiques, éthiques, étaient recevables pourvu qu’ils soient englobés dans un lien de communion plus intense, plus large et fondateur.

Dans le christianisme post-dénominationnel ou transconfessionnel, vers lequel nous avançons, la capacité de communion devient décisive. Elle est une vertu majeure à cultiver au sein de notre propre « communion luthérienne et réformée ». Elle est en outre en elle-même un témoignage rendu à l’Evangile, dans un monde en proie à la fois à l’uniformisation et aux conflits nationaux, ethniques et religieux.

Dans notre contexte, je suis persuadé que la pertinence du message évangélique, dont nous sommes les bénéficiaires et les témoins, résonne d’abord en termes de confiance. Une confiance reçue de Dieu, première, libératrice ; une confiance offerte à notre engagement pour que nous la rendions contagieuse.

Le dialogue, donc le débat ou la confrontation des interprétations pour discerner Jésus-Christ aujourd’hui, l’unique parole de Dieu, est l’un des lieux majeurs où, en Eglise, cette confiance est confortée ou menacée.
 
C’est pourquoi nous devons prêter la plus grande attention au lien de communion, au sein de notre Eglise, comme au sein de toute l’Eglise de Jésus-Christ. Dans un christianisme qui évolue profondément, où l’on est de moins en moins Eglise tout seul – et nous en parlerons demain soir –, le lien de communion revient au premier plan. Cette communion a sa source en Dieu et elle nous est confiée.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire