vendredi 2 mai 2014

Après Pâques à Beyrouth

 
Lectures : Actes 4, 32-35 et 1 Jean 5, 1-6 et Jean 20, 19-31
 
Les premiers témoins du Christ ressuscité vont déployer une grande énergie pour nous dire qu’ils ne sont pas des illuminés, que ce qui s’est passé à Pâques et ce qui se passe sans cesse n’a rien à voir avec du spiritisme ou une spiritualité de pacotille qui accepterait que Dieu agisse hors du cadre de l’histoire des hommes. La tentation est grande  d’imaginer que Dieu agit prioritairement hors de l’histoire. La foi nouvelle en train de naître sera précisément de croire qu’il agit encore dans l’histoire des hommes et des femmes : l’au-delà est déjà là dans l’en deçà.
 
« Il faut le voir pour le croire » est une expression populaire et usuelle par laquelle un événement considérable dans sa réalisation vient combler notre manque d’imagination ou notre incapacité à anticiper et prévoir. Il faut le voir pour le croire ! Nous n’aurions jamais pensé, imaginé et prévu un jour sortir de l’attraction terrestre et visiter d’autres planètes ni prévu que nous devrions partir et laisser un pays une culture ni prévu de trouver un travail nouveau ni prévu d’être heureux comme nous le sommes ; nos vies sont tissées d’imprévus heureux et dangereux faciles et difficiles à la fois.
 Nous l’avons abondamment vu et donc nous l’avons cru et avons cru que cela désormais devenait possible c’est à dire crédible. Ce qui était impossible à notre esprit est devenu pensable car nos yeux en ont été témoins. En fait nous n’osons pas croire de grandes choses positives ou négatives, nous sommes le plus souvent dans la voie moyenne, médiane, nous voulons bien espérer encore mais surtout nous voulons voir des signes tangibles, concrets, visibles. D’accord les paroles c’est bien, les promesses à la rigueur,  mais surtout des actes bien visibles ; nous jugerons sur pièce ! Nous jugerons sur les actes ! C’est probablement la raison pour laquelle l’évangéliste Luc a écrit la suite de  son évangile que l’on appelle les Actes. Nous jugerons sur les actes ; sur ce qui est visible ; Des choses impensables et impossible se voient et se manifestent désormais : des dons des donations des legs inattendus s’opèrent et se réalisent pour que la vie de l’Eglise soit pérennisée !

Pourtant nous savons bien que nos sens nous trompent, que nous voyons ce que l’on veut  bien nous montrer et ce que nous voulons bien voir. L’évidence ou la vérité du visible est souvent un leurre. Le spectacle divertit et ne garantit rien du tout.
Heureux ceux qui sans avoir vu, ont cru !
 
A la fin de son évangile Jean a la bonté de penser enfin à nous, les croyants de seconde main, (ceux qui n’ont rien vu) vous et moi qui avons cru ou qui nous mettons en marche sur le chemin de la foi, sans assurance concrète et visible.
Enfin je suis injuste Jean pense à nous depuis le début mais il nous le dit ici qu’à la fin comme dans une relation maladroite.
 
Lui qui a montré l’aventure de Jésus aux prises avec l’histoire visible et invisible, avec ce qui se voit et ce qui se croit et s’interprète : le chemin, la vérité, la vie, la porte, les sarments, la Samaritaine, la lumière et les ténèbres, les noces et Lazare, l’aveugle et Nicodème, la Parole venue et rejetée ; lui qui refuse de parler de miracles trop spectaculaires mais de signes c’est lui qui vient nous faire signe enfin pour nous dire : continuez, continuez à faire confiance à ces récits ils parlent d’une bonne nouvelle et ils parlent de vous, continuez à vivre sous l’empire des signes qui font vivre et donnent un sens à votre vie, ne vous découragez pas vous avez là, l’essentiel de ce qu’il faut pour croire, de ce qu’il est possible de vivre ; n’allez pas chercher ailleurs.
 
Vous avez une mission celle de devenir témoins de l’action étonnante et souvent cachée de Dieu lui-même. Ce qui s’est passé avec les premiers témoins c’est aussi pour vous, un encouragement une stimulation et un défi pour votre vie.
C’est désormais dans leur for intérieur c’est le soir que le Seigneur vient. C’est lorsqu’il n’est plus là, lorsque tout semble fermé et clos qu’une présence qu’une parole est dite : vous n’êtes plus seuls, la paix est avec vous ; c’est bien dans la nuit de la crainte et sous les verrous que l’étau se desserre, que l’équilibre s’annonce.
 
 
Oh ce n’est pas une découverte éblouissante et fulgurante puisqu’il faudra 8 jours plus tard que cela se répète comme s’il fallait du temps pour que cette présence et cette parole soit reçue et encore contestée. Ce que les chrétiens ont à annoncer est pourtant là contenu et communiqué. Il faudra qu’il vienne chaque semaine, chaque semaine nouvelle comme au seuil d’une création sans cesse renouvelée. 
 
Il n’y a plus désormais de lieux, d’espaces et de temps sacrés, il n’y a plus de terre sainte qui mériterait que l’on se batte pour elle, il n’y a plus d’organisation ecclésiale qui puisse à elle seule contenir le message.
Le déplacement des lieux et des temps s’opèrent dans un élargissement qui va prendre corps qui va prendre forme. Il n’y a plus rien à répéter mais tout est à inventer. Il n’y a plus de vie monotone et plate, il n’y a plus de modèle à reproduire mais comme toujours le premier jour de la semaine comme au matin du monde tout reste à faire et à devenir. Au commencement était la Parole avait dit Jean voici que cette parole devient une parole d’envoi : J’ai été envoyé, la preuve c’est que je vous envoie à mon tour, pour que vous annonciez le tout est toujours possible vous avez désormais d’annoncer que cela est désormais possible. Il y a un au-delà à l’absence.
C’est cela le message du Shalom de la paix qui est dite et redite comme un refrain dans la bouche du ressuscité. Il ne dit pas seulement bon-jour que ce jour soit beau et bon pour vous. Il dit : La paix soit avec vous, sur vous ! Soyez réconciliés, retrouvés votre identité votre entièreté, malgré la crise, la séparation le changement opéré dans une situation nouvelle vous êtes en état de d’être envoyés ! Vous êtes bon pour le service.
Jusque là tout va bien et l’Evangile de Jean annonce de façon harmonieuse c’est aussi ce que signifie le Shalom – du départ de Jésus et du nouveau mode de sa présence. Mais Jean est aussi un pédagogue un catéchète. Ils pensent à celles et ceux qui ne sont pas sous le coup de l’émotion sous le coup de la présence du Christ ; ils pensent à ceux qui viennent peu souvent au culte et il va déployer pour les croyants occasionnels souvent les plus compliqués et les plus exigeants – il va déployer pour eux un chemin nouveau : ce sera Thomas que l’on appelle Didyme le jumeau. Il y avait eu Jean et Pierre et leur course vers un tombeau vide ; il y avait eu Marie de Magdala et le jardinier – il y a maintenant le présent et l’absent, celui qui a toujours quelque chose à faire ailleurs ; celui qui est composé d’une partie qui croit et qui fait partie des disciples et une autre partie jumelle qui n’est jamais là où il faut au moment où il faut.
Il est irréaliste et réaliste à la fois. Au moment de la mort de Lazare il dit aux autres disciples : Allons nous aussi et nous mourrons avec lui comme si c’était la fin des temps ; mais réaliste aussi il dit aussi  quelques temps après alors que Jésus disait qu’il s’en allait : qu’il ne connaissait pas le chemin et qu’il ne savait pas ce que Jésus voulait dire !
 
Lui aussi a besoin de réconciliation pour lui-même, lui aussi a besoin de se retrouver lui-même et retrouvait les autres ; lui aussi a besoin de retrouver son Maître sans tout vérifier s’en croire que ce qui existe doit se voir et se toucher. Comme si lui était vraiment le vérificateur l’artisan officiel de la preuve de l’existence de la Vérité, du Chemin de la Vie. 
C’est bien pour cela que Thomas est utile, ce qu’il voit ce n’est pas une preuve objective et scientifique c’est une trace de présence, une trace d’amour, une marque de relation avec une force et une réalité qui déborde de confiance te d’espérance. Thomas réalise que son Seigneur lui fait confiance que son Maître entre en relation avec lui dans son être même et que désormais il n’y a plus de peur celle du fantôme, celle des esprits, celle des signes à interpréter, désormais c’est le sens de son existence qui est en train de se vivre, pour qu’en croyant que cela soit possible, vous ayez la vie en son nom. Désormais Thomas pourra appeler Jésus le Christ comme sa raison de vivre et non plus comme une preuve de son existence. 

L’Evangile de Jean nous fait confiance. Il atteste pour nous et avec nous que le Christ vivant et le souvenir de vie est une vraie raison de vivre, une vraie espérance au cœur de nos vies, une vraie trace de la présence de Dieu parmi nous.
 

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