dimanche 29 septembre 2013

Riche / Pauvre : le choc du regard !


Evangile selon Luc ch 16

19 « Il y avait un homme riche qui s’habillait de pourpre et de linge fin et qui faisait chaque jour de brillants festins.

20  Un pauvre du nom de Lazare gisait couvert d’ulcères au porche de sa demeure.

21  Il aurait bien voulu se rassasier de ce qui tombait de la table du riche ; mais c’étaient plutôt les chiens qui venaient lécher ses ulcères.

22  « Or le pauvre mourut et fut emporté par les anges au côté d’Abraham ; le riche mourut aussi et fut enterré.

23  Au séjour des morts, comme il était à la torture, il leva les yeux et vit de loin Abraham avec Lazare à ses côtés.

24  Alors il s’écria : Abraham, mon père, aie pitié de moi et envoie Lazare tremper le bout de son doigt dans l’eau pour me rafraîchir la langue, car je souffre le supplice dans ces flammes.

25  Abraham lui dit : Mon enfant, souviens–toi que tu as reçu ton bonheur durant ta vie, comme Lazare le malheur ; et maintenant il trouve ici la consolation, et toi la souffrance.

26  De plus, entre vous et nous, il a été disposé un grand abîme pour que ceux qui voudraient passer d’ici vers vous ne le puissent pas et que, de là non plus, on ne traverse pas vers nous.

27   »Le riche dit : Je te prie alors, père, d’envoyer Lazare dans la maison de mon père,

28  car j’ai cinq frères. Qu’il les avertisse pour qu’ils ne viennent pas, eux aussi, dans ce lieu de torture.

29  Abraham lui dit : Ils ont Moïse et les prophètes, qu’ils les écoutent.

30  L’autre reprit : Non, Abraham, mon père, mais si quelqu’un vient à eux de chez les morts, ils se convertiront.

31  Abraham lui dit : S’ils n’écoutent pas Moïse, ni les prophètes, même si quelqu’un ressuscite des morts, ils ne seront pas convaincus.


Un homme riche et le pauvre Lazare c’est un peu comme  « vu la télévision » : La pratique du portrait croisé ! On voit la description d’un personnage et aussitôt celle d’un autre qui vient compléter ou se mélanger ou faire contraste. L’objectif est de faire dépendre la description de l’un avec celle de l’autre et montrer que les deux réalités, les deux visages les deux vies sont inséparables ou bien se comprennent l’une part l’autre, l’une grâce à l’autre. Ce sont des portraits en miroir !

« Il y avait une homme » comme il était une fois…Nous ne sommes pas dans la description historique mais dans la parabole ou mieux dans un récit exemplaire ! Pour l’exemple : pour faire comprendre aux lecteurs que nous sommes, qu’il y a sûrement pour nous quelque chose à faire à comprendre à croire ! L’auteur veut sans doute que nous nous identifiions aux sujets, aux acteurs  de cette histoire et que nous entrions dans le scénario qui nous est décrit.

Le récit est extrêmement commun  et banal ; on en trouve des exemplaires en Egypte comme en Grèce ou dans la littérature juive. La « manière conventionnelle de décrire un pauvre ou un riche coexistait alors avec une description moralisante de la destinée des bons et des méchants. Le renversement des sorts faisait partie du jeu pour la réflexion » d’après Bovon.

Le rapprochement entre cet homme riche et Lazare n’est pas ici la description d’une fatalité. Au fond des pauvres il en aura toujours ; seul l’au-delà  permet d’espérer. Il faut bien faire avec cette réalité. Et comme pour l’adoucir ou mieux la faire supporter on affirme qu’un jour cela  ira mieux : les réalités s’inverseront, les riches seront pauvres et les pauvres seront riches. Il faut bien avouer que cela en Occident à été vécu et exprimé comme cela dans une sorte de doctrine implicite critiqué radicalement au point de faire de la religion ainsi comprise comme l’opium du peuple.

Le rapprochement croisé du riche et du pauvre n’est pas là non plus pour nous dire qu’au fond seule la mort égalise et met sur le même plan tous les humains. Ce serait une compréhension fataliste celle d’un fatum d’un destin que rien ni personne ne peut changer ; « il faut faire avec c’est la vie c’est comme  ça et cela a toujours était ainsi ! » La résignation serait alors la seule possibilité de continuer à vivre sans espérance. Le texte insiste en effet en disant « le pauvre mourut…le riche aussi mourut et fut enterré. » v.22.

On a pensé aussi que ce rapprochement était une tentative de répondre à une situation bien connu des églises chrétiennes du premier siècle : Comment se fait-il que Jésus mort et ressuscité n’attire pas plus les foules ? Et surtout pourquoi le peuple d’Israël  a-t-il à quelques exceptions il est vrai, refusé d’y croire ? « Même si quelqu’un ressuscite des morts, ils ne seront pas convaincus ! » L’incrédulité n’est pas vaincu par la résurrection mais par autre chose, de plus concret de plus tangible !

Alors de quoi s’agit-il ? Quel est l’intérêt de ce récit pour ses lecteurs et en particulier ceux de l’évangile de Luc seul à le raconter ainsi ?

Ce qui a depuis toujours frappé les lecteurs et les auditeurs se sont les descriptions des personnages comme celles de leurs situations. Ce qui caractérise le riche de cette histoire ce sont son habillement et les brillants festins qu’ils donnent ; on n’est pas loin de la description critique des prophètes et en particulier Amos.

C’est aussi l’éclat de sa demeure car il possède dit finement le texte « un porche » où se tient Lazare décrit avec non des habits mais plutôt sa peau ulcérée. Ce n’est pas le méchant opposé au gentil. Ce n’est pas le coupable opposé à sa victime. L’un n’est pas puni par la mort qui survient. L’autre n’est pas en quête et désireux de la mort qui survient ici aussi normalement. Nous ne savons rien des pensées et des actions de ces personnages. Ils sont tous les deux décrits, non de l’intérieur dans une pure extériorité. L’une brillante l’autre souffrante et douloureuse ; l’une nourrie l’autre famélique. Ils sont décrits et présentés du point de vue extérieur : du côté de ce qui se voit. Mais ce qui fait problème semble dire l’auteur du texte c’est curieusement qu’ils ne se voient pas ! L’auteur du texte ou Dieu les voit, il nous les montre en train de ne pas se voir dans un premier temps.

L’homme riche, c'est-à-dire nous-mêmes, nos Eglises, nos sociétés : ne voient plus rien sinon ce que l’on veut bien nous montrer. Le risque majeur serait de faire comme si on ne voyait plus ni la réalité du monde ni les autres à nos portes, sous nos porches, dans nos rues, dans les zones légales lorsqu’elles existent. Le riche de la parabole voit le pauvre avec Abraham lorsqu’il est trop tard. Il  pouvait dire jadis qu’il ne voyait pas car il ne savait pas. Vient un moment celui de la lucidité essentielle. Vient ce moment tardif, on l’on voit pour soi même mais aussi pour les autres ; le voici en train de penser en train d’intercéder non plus pour lui-même mais pour ses frères. Le riche tardivement devient solidaire car maintenant il voit clair et juste.

La leçon du texte : une piste possible en tous les cas serait celle de l’urgence d’agir maintenant avant qu’il soit trop tard. Encore faut-il voir pour agir. L’évangile de Jésus Christ c’est de se souvenir de la foi pour rien qui caractérisait Abraham véritable porte parole de l’humanité c’est de se souvenir de l’exhortation des prophètes qui parfois dans la véhémence ont associé le retour aux valeurs divines avec le retour aux valeurs de droit et de la justice. C’est aussi se souvenir de Moïse porteur et annonciateur d’une loi qui tient compte de chacun et de tous ; de ceux de la tribu et des autres qui sont aussi créatures et image du Dieu de la révélation et du don des paroles comme des commandements qui font vivre et non mourir.

Il se pourrait que la reconnaissance de nos Eglises et du message de l’évangile soit compris aujourd’hui dans le monde comme liés à la réalité du monde occidental riche et qui ne veut pas voir la réalité du monde que nous connaissons bien. Le christianisme est associé aujourd’hui au premier monde, celui de l’avoir et du pouvoir. Pourtant des efforts ont été faits et réalisés ; on est passé au dessous du milliard d’humains mal nourris ; Nos pays, nos Eglises, les associations en tout genre sont de plus en plus généreuses et ont une fonction réparatrice reconnue. Pourtant cela n’est pas suffisant nous sommes perçus comme ceux qui ont, devant ceux et celles qui n’ont pas.

Des chrétiens de toutes les églises  encore se retrouvent dans ce que l’on appelle le Défi Michée du nom du prophète biblique. Ce projet est simplement de prendre au mot de mettre en valeur la parole la promesse des principaux gouvernants du monde de réduire la misère dans ce monde de moitié en 2015 ! Est-ce encore raisonnable ?

 « Ils nous ont seulement recommandé de nous souvenir des pauvres, ce que j'ai eu bien soin de faire. »  dira Paul après sa visite à Jérusalem (Galates 2:10). Voici que ce qui nous semble une banalité voire une évidence devient le moteur de l’annonce de l’Evangile de Jésus Christ.

En tant que chrétiens, nous voulons déclarer que Dieu se préoccupe des plus démunis et nous, voulons rappeler à nos leaders que les actions de réduction de la pauvreté valent bien tous nos efforts. Nous devons nous souvenir des pauvres.

Il s’agit bien d’espérance et de miracle ; il y va non seulement de la crédibilité de nos Eglises mais aussi du contenu de notre foi qui pourrait être balayé et durablement inacceptable pour la plupart des humains.

Jésus raconte une parabole, Luc met en forme un récit exemplaire pour que des auditeurs se sentent concernés par son contenu. Il ne s’agit pas de  conceptions  post mortem ; mais il s’agit de vie et de mort autour de nous. Ne pas essayer encore une fois de traiter cette réalité c’est sans doute de pas voir ou ne pas vouloir voir même avec de bonnes raisons.

L’évangile n’est pas là pour nous rendre coupables et honteux, mais pour nous rendre vigiles, éveillés, attentifs au centre au cœur de notre foi. Voir, ce qui est vu, voir au loin est souvent associé à la foi qui n’est pas seulement un regard intérieur, introspectif mais aussi une nouvelle manière de voir de ce qui nous entoure. Voir la création c’est parfois penser au Créateur. Voir les créatures et les visages humains c’est aussi voir comme dans un miroir le Créateur qui nous accompagne et nous donne la force et l’énergie de l’espérance pour un avenir de promesses de vie,  pour chacune et chacun.

 

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