« Le Seigneur est mon
berger » Psaume 23
« Je suis le bon berger : le bon berger se dessaisit de sa
vie pour ses brebis » Jean
10, 11
« Je suis le bon berger ». Parmi les
formules, les affirmations évangéliques simples et claires, celle-là en est une
bien connue, bien célèbre, elle a été le thème constant de l’iconographie
chrétienne : tableaux, vitraux,
livres etc... Parmi tous les modèles d’identification, c’est celui du Berger
qui a prévalu, face à d’autres qui ont écarté : par ex. celui du
charpentier, du pêcheur, du guérisseur, du rabbin, du maître de sagesse et bien
d’autres encore.
Ce choix est d’abord celui de l’évangéliste Jean qui
en quelque sorte tente de répondre aux trois autres, Matthieu, Marc, Luc, qui
ne cessent de poser la question de l’identité et de l’être même de Jésus. Qui
dit-on que je suis ?
Qui
dites-vous que je suis ? Si les 3 premiers évangiles poussent les
interlocuteurs du Christ à confesser leur foi en lui, le 4° évangile, Jean
affirme et atteste la singularité du Maître qu’il s’agit de suivre et de reconnaître
comme Celui qui est : la lumière, le chemin, la vérité, la vie, la porte,
la résurrection, la vraie vigne et aujourd’hui le vrai Berger. Oui il s’agit
bien d’une affirmation solennelle qui va mêler le divin à l’humain qui va faire
le lien avec la compréhension du Dieu de la première alliance comme celui qui
est et qui sera.
A nos questions, à toutes
nos questions, à toute notre foi, à toutes les manifestations de notre foi, à
nos hésitations et tous nos engagements,
il y a une réponse, il y a un socle, une fondation : quelqu’un dit : je
suis… pour toi. Dans un monde qu’on voudrait nous faire apparaître comme
virtuel, dans ce monde on l’on veut nous faire rêver en consommant toujours
plus, dans ce monde ou les certitudes passent comme des modes, dans le
spectacle du monde, quelqu’un dit : pour toi, je suis… là pour toi,
comme une boussole, comme un chemin sur lequel tu peux t’aventurer, comme une
porte que tu peux franchir, comme une vérité donnée à recevoir, comme une vie à
partager, comme une vigne dont on attend des fruits. L’être de Dieu s’exprime
par un je suis.. qui nous précède comme si au commencement il y avait
quelqu’un d’autre que nous mêmes. Un je suis qui appelle, qui entraîne,
qui met et remet en route, un je suis là comme une parole dans le silence ou
dans le bruit.
Je vous propose ce matin dans ce premier temps d’entendre et de
recevoir l’affirmation du : Je suis
aussi pour toi Celui qui entend et qui te rencontre sans condition ; ce
qui me fait être dit Dieu c’est cela que je te transmets. Tu peux être à ton
tour car moi, je suis. Dans la banque de données de l’existence humaine, voici
qu’il y a une réserve d’être, une source d’être ; lorsque nous croyons que
tout s’épuise, voici encore de la ressource, de l’être à vivre, du don à donner
et recevoir, de la présence à rencontrer, de la parole à échanger et à prier. Dieu
c’est une réserve d’être qui se manifeste dans sa parole ; le Christ
en disant rarement mais fortement : Je suis se révèle comme une
possibilité toujours là, d’être celui qui est disponible pour donner vigueur et
sens à notre existence, pour transmettre de l’être dans nos vies qui en manque
bien souvent.
Les prophètes en Israël fustigeront les mauvais
bergers, les conducteurs du peuple qui renonçent à leur fonction d’accompagnement
au profit de leurs propres intérêts. Le bon berger est celui qui renonce à
lui-même dans l’intérêt des autres et dont il a la garde provisoire. Sa
fonction est d’être là, de faire face, de parler pour dire sa présence et
d’éloigner le mal ou le loup toujours présent. Sa fonction c’est bien de
permettre l’éclosion et la durée de la vie c’est bien de transmettre l’être
qu’il a à ceux qui en manquent. Le premier berger de la Bible c’est Abel tué
par son frère Caïn le cultivateur. Le nomadisme du Berger est insupportable au
sédentaire. Non seulement le Berger, le bon et le vrai manifeste son attention
bienveillante à son troupeau, mais il bouge et se déplace vers tous les lieux
de vie propices à ses brebis. La fonction de Berger c’est aussi la tension voire
l’opposition entre le déplacement et la stabilité. Cette tension court tout au
long de l’Ecriture ; mais c’est toujours le nomadisme qui gagne.
L’Etre, la vie, c’est le déplacement ; notre
vie dans la foi, notre foi orientée vers le bon Berger, c’est une foi en marche
accompagnée de Celui qui marche en avant ou en arrière, avec nous. Notre foi
notre espérance et l’exhortation à la bienveillance envers les autres se
manifestent dans le déplacement : dans tous les sens, vers là où se tient
la nourriture…. Il n’y aurait pas d’Eglise, pas de communautés croyantes si les
premiers témoins ne s’étaient pas déplacés munis de la certitude que quelqu’un
d’essentiel se déplaçait aussi avec eux. La stabilité de la foi est une
incohérence ou alors il faut dire et croire que la stabilité même se déplace
sans cesse ; non pour le plaisir de se déplacer mais par nécessité pour
que la vie et l’être, pour que l’annonce de la parole s’effectuent, se
manifestent.
Dire aujourd’hui comme hier, le Seigneur est mon
Berger ou bien regarder et confesser le Christ en train de dire, je suis le bon
Berger, c’est entrer dans un vaste déplacement : non seulement regarder
autour de nous pour transmettre une espérance vitale, mais nous déplacer dans
notre foi même : ce que nous avons l’habitude de dire et faire reçoit la
force de s’exprimer et de se manifester autrement encore. Nous ne sommes pas
arrêter dans notre manière de vivre cette foi et cette espérance ; nos
traditions ne seront vivantes et utiles aux autres que si nous faisons mouvement
vers eux en écoutant et recevant des autres leurs attentes, leurs questions
leurs situations, leurs souhaits leurs désirs, en les accompagnant à partir de
leurs réalités sans les contraindre ni les pousser impérativement vers où nous
voudrions qu’ils aillent. Faire partager notre foi et notre espérance c’est
accompagner les autres vers des lieux encore inconnus pour nous.
Le bon Berger lui, s'est déplacé vers des lieux
inconnus, étrangers et étranges, il a mangé avec ceux qui n’avaient pas bonne réputation,
il a rencontré celles et ceux qui ne lui ressemblaient pas, il a renoncé bien
souvent à la doctrine de ses pères pour en dire une nouvelle, il a osé des
mots et des gestes que personne n’avait osé dire ou faire ; bref il ne
s’est pas prévalu de ce qu’il était, il a accepté de fondre le "Je suis" dans
l’ensemble de la réalité, il ne s’est pas prévalu de sa condition divine, il y
a renoncé pour donner de l’être et de la vie à d’autres, c’est pour cela dira
l’apôtre Paul que Dieu l’a souverainement élevé.
Etre l’Eglise du Bon Berger, c’est non seulement
entendre sa voie et suivre son exemple, c’est aussi reconnaître le nomadisme de
Dieu pour devenir des nomades dans la foi. C’est parfois renoncer à nous
identifier à un troupeau pour devenir à notre tour les bergers les uns des
autres, acceptant de livrer l’être qui nous constitue car dans cet abandon et
cette livraison nous découvrirons la présence et l’accompagnement du seul vrai
Berger qui ne retient pas qui ne garde pas, mais qui donne ce qu’il est Etre
l’Eglise du bon Berger c’est savoir l’existence d’une réserve d’être d’une
solidité qui assure et rasure nos existences bien légères…
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