jeudi 26 avril 2012

Le Bon Berger !

« Le Seigneur est mon berger »  Psaume 23

« Je suis le bon berger : le bon berger se dessaisit de sa vie pour ses brebis » Jean 10, 11

« Je suis le bon berger ». Parmi les formules, les affirmations évangéliques simples et claires, celle-là en est une bien connue, bien célèbre, elle a été le thème constant de l’iconographie chrétienne :  tableaux, vitraux, livres etc... Parmi tous les modèles d’identification, c’est celui du Berger qui a prévalu, face à d’autres qui ont écarté : par ex. celui du charpentier, du pêcheur, du guérisseur, du rabbin, du maître de sagesse et bien d’autres encore.

Ce choix est d’abord celui de l’évangéliste Jean qui en quelque sorte tente de répondre aux trois autres, Matthieu, Marc, Luc, qui ne cessent de poser la question de l’identité et de l’être même de Jésus. Qui dit-on que je suis ?

Qui dites-vous que je suis ? Si les 3 premiers évangiles poussent les interlocuteurs du Christ à confesser leur foi en lui, le 4° évangile, Jean affirme et atteste la singularité du Maître qu’il s’agit de suivre et de reconnaître comme Celui qui est : la lumière, le chemin, la vérité, la vie, la porte, la résurrection, la vraie vigne et aujourd’hui le vrai Berger. Oui il s’agit bien d’une affirmation solennelle qui va mêler le divin à l’humain qui va faire le lien avec la compréhension du Dieu de la première alliance comme celui qui est et qui sera.
A nos questions, à toutes nos questions, à toute notre foi, à toutes les manifestations de notre foi, à nos hésitations et tous  nos engagements, il y a une réponse, il y a un socle, une fondation : quelqu’un dit : je suis… pour toi. Dans un monde qu’on voudrait nous faire apparaître comme virtuel, dans ce monde on l’on veut nous faire rêver en consommant toujours plus, dans ce monde ou les certitudes passent comme des modes, dans le spectacle du monde, quelqu’un dit : pour toi, je suis… là pour toi, comme une boussole, comme un chemin sur lequel tu peux t’aventurer, comme une porte que tu peux franchir, comme une vérité donnée à recevoir, comme une vie à partager, comme une vigne dont on attend des fruits. L’être de Dieu s’exprime par un je suis.. qui nous précède comme si au commencement il y avait quelqu’un d’autre que nous mêmes. Un je suis qui appelle, qui entraîne, qui met et remet en route, un je suis là comme une parole dans le silence ou dans le bruit.

Je vous propose ce matin dans ce premier temps d’entendre et de recevoir  l’affirmation du : Je suis aussi pour toi Celui qui entend et qui te rencontre sans condition ; ce qui me fait être dit Dieu c’est cela que je te transmets. Tu peux être à ton tour car moi, je suis. Dans la banque de données de l’existence humaine, voici qu’il y a une réserve d’être, une source d’être ; lorsque nous croyons que tout s’épuise, voici encore de la ressource, de l’être à vivre, du don à donner et recevoir, de la présence à rencontrer, de la parole à échanger et à prier. Dieu c’est une réserve d’être qui se manifeste dans sa parole ; le Christ en disant rarement mais fortement : Je suis se révèle comme une possibilité toujours là, d’être celui qui est disponible pour donner vigueur et sens à notre existence, pour transmettre de l’être dans nos vies qui en manque bien souvent.

Cette présence s’affiche et s’affirme dans une réalité bien précise : Je suis le bon, le vrai le seul Berger. Seule profession commune en ce temps et banale à la fois accolée à la présence divine. Dieu dans la Bible n’est pas un horloger, il n’est pas une force, une vapeur, un code inconnu, un être supérieur, il est celui qui parle de l’être qui met à disposition de l’être sous la forme sous les apparences d’un Berger. Jésus lui-même est confessé comme le Dieu d’Israël sous la forme du Berger. Même si nos civilisations ont marginalisé cette fonction – elle parle encore, sous nos latitudes à nos mentalités rurales. L’humain et le divin se mêlent sans cesse. C’est David en Israël qui est l’image du Berger, que l’on va chercher de derrière son troupeau, pour être reconnu comme roi, comme chef et c’est lui qui installera Dieu comme véritable Berger d’Israël. A la fonction guerrière souvent exercée pourtant va se substituer prioritairement la fonction caritative, la fonction soignante et l’attention bienveillante portée à ceux qui sont gardés soignés accompagnés vers si possible de verts pâturages ; l’image et le symbole seront forts en un temps ou la rudesse, la ruse et le trafic des bergers s’exerçait et où ils n’avaient pas toujours bonne réputation. Ce  sont eux les bergers qui entendront et verront dans la nuit l’annonce d’une bonne nouvelle pour tout le peuple, lors de la naissance de Jésus selon l’évangile de Luc. Comme si les bergers allaient reconnaître dans le petit enfant naissant, l’un des leurs.
Les prophètes en Israël fustigeront les mauvais bergers, les conducteurs du peuple qui renonçent à leur fonction d’accompagnement au profit de leurs propres intérêts. Le bon berger est celui qui renonce à lui-même dans l’intérêt des autres et dont il a la garde provisoire. Sa fonction est d’être là, de faire face, de parler pour dire sa présence et d’éloigner le mal ou le loup toujours présent. Sa fonction c’est bien de permettre l’éclosion et la durée de la vie c’est bien de transmettre l’être qu’il a à ceux qui en manquent. Le premier berger de la Bible c’est Abel tué par son frère Caïn le cultivateur. Le nomadisme du Berger est insupportable au sédentaire. Non seulement le Berger, le bon et le vrai manifeste son attention bienveillante à son troupeau, mais il bouge et se déplace vers tous les lieux de vie propices à ses brebis. La fonction de Berger c’est aussi la tension voire l’opposition entre le déplacement et la stabilité. Cette tension court tout au long de l’Ecriture ; mais c’est toujours le nomadisme qui gagne.

L’Etre, la vie, c’est le déplacement ; notre vie dans la foi, notre foi orientée vers le bon Berger, c’est une foi en marche accompagnée de Celui qui marche en avant ou en arrière, avec nous. Notre foi notre espérance et l’exhortation à la bienveillance envers les autres se manifestent dans le déplacement : dans tous les sens, vers là où se tient la nourriture…. Il n’y aurait pas d’Eglise, pas de communautés croyantes si les premiers témoins ne s’étaient pas déplacés munis de la certitude que quelqu’un d’essentiel se déplaçait aussi avec eux. La stabilité de la foi est une incohérence ou alors il faut dire et croire que la stabilité même se déplace sans cesse ; non pour le plaisir de se déplacer mais par nécessité pour que la vie et l’être, pour que l’annonce de la parole s’effectuent, se manifestent.

Dire aujourd’hui comme hier, le Seigneur est mon Berger ou bien regarder et confesser le Christ en train de dire, je suis le bon Berger, c’est entrer dans un vaste déplacement : non seulement regarder autour de nous pour transmettre une espérance vitale, mais nous déplacer dans notre foi même : ce que nous avons l’habitude de dire et faire reçoit la force de s’exprimer et de se manifester autrement encore. Nous ne sommes pas arrêter dans notre manière de vivre cette foi et cette espérance ; nos traditions ne seront vivantes et utiles aux autres que si nous faisons mouvement vers eux en écoutant et recevant des autres leurs attentes, leurs questions leurs situations, leurs souhaits leurs désirs, en les accompagnant à partir de leurs réalités sans les contraindre ni les pousser impérativement vers où nous voudrions qu’ils aillent. Faire partager notre foi et notre espérance c’est accompagner les autres vers des lieux encore inconnus pour nous.

Le bon Berger lui, s'est déplacé vers des lieux inconnus, étrangers et étranges, il a mangé avec ceux qui n’avaient pas bonne réputation, il a rencontré celles et ceux qui ne lui ressemblaient pas, il a renoncé bien souvent à la doctrine de ses pères pour en dire une nouvelle, il a osé des mots et des gestes que personne n’avait osé dire ou faire ; bref il ne s’est pas prévalu de ce qu’il était, il a accepté de fondre le "Je suis" dans l’ensemble de la réalité, il ne s’est pas prévalu de sa condition divine, il y a renoncé pour donner de l’être et de la vie à d’autres, c’est pour cela dira l’apôtre Paul que Dieu l’a souverainement élevé.       

Etre l’Eglise du Bon Berger, c’est non seulement entendre sa voie et suivre son exemple, c’est aussi reconnaître le nomadisme de Dieu pour devenir des nomades dans la foi. C’est parfois renoncer à nous identifier à un troupeau pour devenir à notre tour les bergers les uns des autres, acceptant de livrer l’être qui nous constitue car dans cet abandon et cette livraison nous découvrirons la présence et l’accompagnement du seul vrai Berger qui ne retient pas qui ne garde pas, mais qui donne ce qu’il est Etre l’Eglise du bon Berger c’est savoir l’existence d’une réserve d’être d’une solidité qui assure et rasure nos existences bien légères…





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