jeudi 22 janvier 2015

Blasphème ? un point de vue

Olivier Abel

Le monde musulman semble en feu, et nous sommes effrayés par la disproportion des réactions, le sentiment d’amalgame, le profond différend culturel que ce nouvel épisode dévoile. Les propos qui suivent visent non à dénouer le problème, mais à en distinguer quelques uns des brins. Qu’est-ce donc qu’un blasphème, qu’une offense ? Après tout un écrit, un film, ou un dessin ne font pas de violence, ne font pas de mal, au sens physique du terme. Il faut sans cesse rétablir les proportions et la réciprocité. Et pourtant il faut entendre la plainte qui s’exprime dans ces troubles.

Le paradoxe tient au fait que ce qui est un tragique blasphème pour les uns est une comédie ridicule pour les autres. C’est la leçon de critique historique que donne le Dictionnaire de Pierre Bayle, dans une période où l’intolérance religieuse régnait en France et plus largement en Europe : il n’y a blasphème que s’il est commis « selon la doctrine même du blasphémateur ». Bayle ironise : « Encore que le Temple de Delphes fût consacré à un faux Dieu, c’était néanmoins une impiété et un sacrilège que de le piller lorsqu’on croyait qu’Apollon était un vrai Dieu ». Le philosophe Wittgenstein écrivait plus récemment quelque chose de très semblable : « Que quelque chose soit ou non une faute – c’est une faute dans un système particulier. Exactement comme tel coup est une faute dans un jeu particulier et non pas dans un autre ». C’est pourquoi le blasphème est toujours le fait de l’ « autre ».

Le blasphème met donc en jeu deux différences qu’il exacerbe. D’une part la différence entre le langage ou la forme de vie de l’émetteur, et ceux du récepteur. Il faut être deux et le blasphème suppose la rencontre entre la provocation de l’émetteur et le sentiment d’offense du récepteur — les deux en sont donc responsables, en proportion variable, et il ne faut d’ailleurs pas confondre la responsabilité pénale et la responsabilité politique. Mais d’autre part le blasphème exacerbe la différence entre ceux pour qui les mots, les images, sont graves ou importants, et ceux pour qui rien n’est grave ni important. Il faudrait que les uns apprennent à ne pas accorder tant d’importance à de telles satires, et que les autres apprennent à mesurer l’importance de ce qu’ils font et disent, parfois. Et dans le cas qui nous occupe s’y ajoute le différend entre une culture « iconique », profondément basée sur la représentation, la ressemblance, l’image, et une culture « aniconique », basée profondément sur l’interdit de la représentation, l’incommensurable, l’incomparable.

Il est arrivé que des intellectuels ou des artistes musulmans demandent à des pays « occidentaux » de les protéger et de garantir leur liberté d’expression. C’est une liberté vitale, non seulement pour les individus, mais pour les sociétés : une société qui interdit ce qui brise sa propre complaisance à elle-même, son auto-flatterie, est une société malade. En ce sens on devrait dire que pour les démocraties la liberté d’expression n’est pas négociable : mais justement dès lors, cela devient notre sacré, notre religion, et qu’est ce qui viendra briser notre complaisance de libéraux, notre auto-flatterie de société libre et ouverte ?

Mais de l’autre côté il ne faut pas confondre les libertés que l’on peut prendre à l’égard de sa propre culture, pour en transgresser l’ordre, en bouleverser les présuppositions, avec les outrages et insultes à l’égard d’autres traditions, d’autres cultures que la sienne — ces injures participent de ce choc, non tant des civilisations que des « incultures », qui nous menace aujourd’hui de son manichéisme haineux et ignorant. Pour ceux qui pratiquent ainsi l’injure, tout semble dérisoire et comique, et finalement vulgaire. Le vulgaire, c’est l’insensibilité au tragique. Et cette vulgarité est dangereuse parce qu’humiliante, et que l’humiliation est une violence à retardement, qui prépare les violences de demain. Le danger vient toujours de ceux qui se sentent trop faibles, discrédités dans leur propre parole, dans ce qu’ils respectent. Face à l’humiliation il ne s’agit pas seulement de respecter l’autre, mais de respecter ce qu’il respecte, d’en tenir compte.

Sous François 1er, ceux qui étaient acquis aux idées de la Réforme tenaient les processions catholiques et leurs images comme de ridicules superstitions, ils étaient perçus comme blasphémateurs et c’est ainsi que les premiers massacres ont commencé : c’est pourquoi Calvin n’a cessé de les appeler à l’exil, pour faire cesser les provocations inutiles et les soustraire à ce processus périlleux. Mais aujourd’hui la mondialisation est passée par là, une mondialisation des techniques de communication (Youtube, etc), mais aussi une mondialisation des émotions : qui, naguère, aurait pris au sérieux un pasteur fou qui veut brûler des exemplaires du Coran ? Aujourd’hui on n’a plus le temps de filtrer, de différer, d’interpréter, de hiérarchiser. On est en « direct » : c’est le paradoxe fou d’une « médiatisation immédiate ». Le facteur principal du danger est qu’on ne peut plus mettre de distance et séparer ceux pour qui c’est juste au mauvaise blague, et ceux pour qui il s’agit d’une humiliation inexpiable. Ils cohabitent dans un monde qui s’est rétréci. Ceux qui s’estiment « libres » ne peuvent plus partir ailleurs pour constituer des « sociétés libres », de même qui ceux qui s’estiment agressés ne peuvent fermer leurs frontières et leurs écrans à ce qui se fait ailleurs dans le monde.

mercredi 7 janvier 2015

Attentat à Paris : Communiqué et solidarité

Au moment où un horrible attentat perpétré dans les locaux du journal Charlie Hebdo a fait au moins 12 victimes dont 10 journalistes et deux policiers, nous voulons exprimer ici notre plus vive émotion et surtout notre affection et notre solidarité pour les victimes, leurs familles, leurs proches, leurs amis.

Au nom du protestantisme français, nous exprimons notre révolte et nous condamnons cet acte odieux qui touche nos cœurs et nos consciences.

Jamais, nous ne laisserons des hommes être ainsi lâchement assassinés sans réagir,  ni rappeler combien la vie humaine est précieuse aux yeux de Dieu, et nous affirmons qu’aucune justification n’a de raison d’être à cet égard qui pourrait se prévaloir d’une religion quelle qu’elle soit.

Nous redisons que la République laïque et ses valeurs, notamment la liberté de conscience, la démocratie et la liberté de la presse demeurent pour nous au fondement de notre vivre ensemble.

François Clavairoly
Président de la Fédération protestante de France

jeudi 1 janvier 2015

Bon temps 2015 ! Pour toi, pour moi, pour nous…

1  Il y a un temps pour tout, un temps pour toute chose sous les cieux:
2  un temps pour naître, et un temps pour mourir ; un temps pour planter, et un temps pour arracher ce qui a été planté ;
3  un temps pour tuer, et un temps pour guérir ; un temps pour abattre, et un temps pour bâtir ;
4  un temps pour pleurer, et un temps pour rire ; un temps pour se lamenter, et un temps pour danser ;
5  un temps pour lancer des pierres, et un temps pour ramasser des pierres ; un temps pour embrasser, et un temps pour s’éloigner des embrassements ;
6  un temps pour chercher, et un temps pour perdre ; un temps pour garder, et un temps pour jeter ;
7  un temps pour déchirer, et un temps pour coudre ; un temps pour se taire, et un temps pour parler ;
8  un temps pour aimer, et un temps pour haïr ; un temps pour la guerre, et un temps pour la paix.
9  Quel avantage celui qui travaille retire-t-il de sa peine ?
10  J’ai vu à quelle occupation Dieu soumet les fils de l’homme.
11 Il fait toute chose bonne en son temps ; même il a mis dans leur cœur la pensée de l’éternité, bien que l’homme ne puisse pas saisir l’œuvre que Dieu fait, du commencement jusqu’à la fin.      
Livre de l’Ecclésiaste ch 3.

  Les chrétiens ont ils des raisons d’être sceptiques ou blasés, sont-ils des adeptes d’une morosité rampante qui s’exprime par les expressions souvent entendues : bof ! A quoi bon ! C’est toujours pareil ! Ils sont tous les mêmes ! C’est la vie ! C’est comme çà ! On ne peut rien y faire ! Il faut bien vivre avec ! Les vacances c’était bien mais il faut bien rentrer, reprendre le collier ou continuer vaille que vaille ! Bref, les chrétiens sont-ils comme tout le monde ou du moins une grande partie de nos proches ou de nos contemporains pour qui la vie routinière n’est ni un choix délibéré mais une contrainte aliénante ou du moins peu exaltante ? Et si l’on répond non, résolument non à ce scepticisme ou à ce projet de vie comme habitude alors peut-on dire que les chrétiens sont des activistes invétérés qui veulent tout changer, renverser le cours des choses des êtres et du monde au nom de leur foi ou de leur conceptions du monde au point d’en faire une lutte et un combat permanent et usant pour eux et pour les autres ?  C’est cette alternative : blasés d’une part et/ou agités d’autre part que je voudrais parcourir avec vous, guidé et stimulé par les textes que nous venons d’entendre et qui évoquent le temps qui passe et notre manière de vivre ce ou ces temps.

La foi en Jésus-Christ, l’Evangile comme bonne nouvelle apportent sans doute des repères et du sens dans notre manière de vivre dans le temps mais lesquels ?

Toutes les cultures vivent différemment dans le temps ce qui ne va pas sans provoquer des incompréhensions et même si le temps occidental ou universel prévaut, il est vrai qu’en Afrique  par ex. et en Asie ou en Amérique les hommes et les femmes ne vivent pas seulement le même temps des horloges et ceux qui voyagent le savent bien. Nous avons bien parfois le sentiment que nous devrions fabriquer du temps car nous n’avons plus le temps disons-nous et nous avons conscience que nous subissons le temps qui passe trop lentement ou trop vite au point d’en les deux cas de nous épuiser dans le temps. Il nous arrive de comprendre notre vie dans le temps comme une navigation périlleuse entre Charybde et Scylla entre les bornes et les écueils que sont l’allongement de notre durée de vie, le remplissage de cette durée, la réduction du temps de travail et le sens à donner à nos existences temporelles.

Bien sûr nous ne sommes pas plus malins que quiconque ; il nous arrive de vivre sous la forme d’une certaine passivité ; il nous faut faire face et vivre en disant comme d’autres c’est la vie il faut bien accepter ce qui vient, ce qui nous arrive ; bien sûr nous ne sommes pas plus forts ni au dessus des autres et il faut bien croire que nos organisations nos méthodes pour gérer le temps ne donnent pas toujours de bons résultats et que comme d’autres nous courrons après la poursuite du vent. Mais voici que le Christianisme et son terreau initial nous apporte une bonne nouvelle sous la forme d’une sagesse : « Il y a un moment pour tout et un temps pour chaque chose sous le ciel ». Il n’y a pas un destin comme une destination qui nous ferait parcourir un ordre immuable des temps à accomplir à marche forcée mais une sorte de confiance une sorte d’accueil comme un recueillement des temps à vivre ; non plus des lieux et des moments de remplissage et d’activités mais des temps de rencontres avec les autres comme avec Dieu. 
Le Christianisme n’est pas une doctrine, une idéologie, une conception du monde mais en quelque sorte il est un projet de vie à vivre dans le temps, il est parfois dans l’urgence parfois dans la langueur une manière de vivre nos temps il est une sagesse. J’insiste un peu sur cet aspect car il n’est pas rare aujourd’hui et cela a été encore mon cas cette semaine de rencontrer des personnes attirées et fascinées par des sagesses certes intéressantes venues d’ailleurs et d’Asie en particulier où un rythme de vie cyclique où la perspective d’un éternel retour semblent les reposer les éloigner des réalités ou du moins les dépayser à bon compte.

  Retrouver dans la réalité de l’existence et dans l’histoire comme dans nos histoires, la sagesse pour vivre le moment et le temps favorable sous le regard de Dieu me semble être d’une urgence nécessité. Sous le regard de Dieu qui voit dit le texte de l’Ecclésiaste l’occupation qu’il a donné aux fils d’Adam pour qu’ils s’y occupent en faisant toute chose belle en son temps. Tout n’est pas beau mais sans doute tout peut le devenir, en son temps.

Il y a 10 commandements fondamentaux, il y a 613 commandements positifs dans loi de Moïse mais il y a 7 intentions ou demandes dans le Notre Père et voici que le sage de l’AT propose 14 paires de contraires, une double perfection (2 fois 7) de vie à vivre qu’il est possible d’appréhender non comme une destinée mais comme un projet de vie ; 14 modes, 14 temps à conjuguer sous le regard de Dieu non pour prendre des distances trop grandes avec le réel mais pour les recevoir les accueillir et les recueillir de la part de Dieu lui même :

Enfanter/ mourir ; planter/arracher ; tuer /guérir ; saper/bâtir ; pleurer/rire ; se lamenter/danser ; jeter des pierres/amasser des pierres ; embrasser/éviter d’embrasser ; chercher/perdre ; garder/jeter ; déchirer/ coudre ; se taire/parler ; aimer/haïr ; guerre et paix.

En fait ce ne sont pas de vrais contraires mais des postures et des cadres qui disent le temps comme des moments forts souvent favorables, des aiguillons qui empêchent de stagner ou de courir dans tous les sens ou de désespérer. Ces moments sont inséparables les uns des autres ils s’appellent l’un l’autre ils ne sont pas les uns sans les autres ils sont des temps sans séparation ni confusion c’est pour cela qu’ils donnent un sens à l’existence humaine.  Ils sont à prendre au sens concret au premier degré mais aussi dans un sens plus général plus métaphorique. Mourir n’est pas la destination fatale et finale puisqu’elle est associée à enfanter. Qui n’a jamais rien arracher ne sait pas ce que planter veut dire ; tuer serait pure folie et  n’aurait pas de sens sans guérir qui évite de tuer ; saper fait naître bâtir ; qui n’a jamais pleuré ne sait pas ce que rire veut dire et peut faire ; chercher vraiment c’est savoir qu’on peut perdre et avoir perdu et pas seulement trouver ; ceux qui ont l’habitude de tout garder vont trouver la force d’apprendre à jeter ; ceux qui doivent parler et ceci et mieux connu sinon mieux pratiquer, pourrait commencer par se taire ; ceux et celles qui aiment doivent sentir la fragilité et le soin nécessaire d’une relation. Ceux qui font la guerre doivent savoir qu’ils sont déjà condamnés à faire la paix !

Notre présent notre passé comme notre avenir sont pleins de ces actions de ces gestes  et de ces mouvements que Dieu lui même nous donne à vivre, à revisiter à recevoir à nouveau ; ainsi notre temps comme vaste mouvement, nos temps comme moments ne sont plus seulement successions, ils sont aussi de nouvelles résurrections dans nos vies.

Voilà le programme ; il est à prendre tout entier ou à laisser ; il est un apprentissage un chemin une compréhension de l’existence sous le regard de Dieu. Il peut être compris comme un effort pris sur nos habitudes ou comme une intrusion dans nos manières personnelles de ranger nos vies ou de nous arranger avec nous mêmes et avec les autres. Ce programme est un effort il est en même temps un don. Nos efforts sont des promesses et des dons à recueillir. Qui pourrait prétendre bien faire et bien vivre avec tout cela comme horizon ? Si cela était le cas on tomberait vite dans l’auto-justification dans une pseudo indépendance qui n’a pas de mise dans la foi. Les Evangiles leurs auteurs ont, vous l’avez sans doute remarqué, utilisé ces divers temps pour raconter l’histoire du Christ qui lui même s’en est servi pour raconter par exemple des paraboles.


  On pense souvent au Christ on le décrit comme prophète porteur de la  parole d’un Autre, on le décrit comme roi qui se perçoit comme serviteur ou comme prêtre qui aboli et conteste toutes les médiations humaines, on pense peu souvent à lui même comme sage et à sa bonne nouvelle comme sagesse c’est à dire comme possibilité de vivre concrètement une vie sous tendue par une espérance possible. Cette sagesse il l’incarne et il la fait vivre ; elle vaut bien d’autres sagesses ; elle se caractérise comme une folie aux yeux des hommes car elle n’est pas mystérieuse au sens où elle concernerait seulement quelques initiés ; elle est accessible à tous si nous acceptons de la recevoir comme venant de sa part. Elle ressemble  dit le livre des Proverbes à une enfant dès avant la création du monde jouant avec Dieu en sa présence en tout temps, jouant dans son univers terrestre et trouvant ses délices parmi les hommes ; qui accueille cet enfant sage et turbulent m’accueille dit le Seigneur.

Même si nous n’avons pas accompli de crimes ou de délits, ce que je crois volontiers, nos vies manquent de sagesse, nos vies appellent une sagesse qui oriente hors des sentiers rebattus, une sagesse qui n’isole pas mais pousse à la rencontre, une sagesse qui ne nous agite pas mais nous donne un projet, une parole de sagesse qui nous rende l’espérance dans la morosité et nous donne de goûter au bonheur en tout temps. Si la sagesse faut défaut à l’un de vous qu’il la demande au Dieu qui donne à tous avec simplicité et sans faire de reproche (Jacq.1,5).

Et puis dit le texte du Sage, et puis tout homme, toute femme qui mange et boit et goûte au bonheur en tout son travail cela, c’est un don de Dieu. C’est précisément ce que nous allons faire ensemble. La cène préparée comme un acte de sagesse qui récapitule la vie Jésus sous le signe des 14 moments propices que nous sommes appelés à recevoir pour mieux les vivre personnellement et ensemble.

BA