Evangile selon Marc ch : 9
2 Six jours après, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean et les emmène seuls à l’écart sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux,
3 et ses vêtements devinrent éblouissants, si blancs qu’aucun foulon sur terre ne saurait blanchir ainsi.
4 Elie leur apparut avec Moïse ; ils s’entretenaient avec Jésus.
5 Intervenant, Pierre dit à Jésus : « Rabbi, il est bon que nous soyons ici ; dressons trois tentes : une pour toi, une pour Moïse, une pour Elie. »
6 Il ne savait que dire car ils étaient saisis de crainte.
7 Une nuée vint les recouvrir et il y eut une voix venant de la nuée : « Celui–ci est mon Fils bien–aimé. Ecoutez–le ! »
8 Aussitôt, regardant autour d’eux, ils ne virent plus personne d’autre que Jésus, seul avec eux.
9 Comme ils descendaient de la montagne, il leur recommanda de ne raconter à personne ce qu’ils avaient vu, jusqu’à ce que le Fils de l’homme ressuscite d’entre les morts.
10 Ils observèrent cet ordre, tout en se demandant entre eux ce qu’il entendait par « ressusciter d’entre les morts ».
Lire aussi livre de la Genèse ch. 9, 1-29 et Romains 8, 31-39
Les évangiles synoptiques nous racontent tous, un texte de transfiguration. Après le baptême de Jésus où est signifié sa qualification et sa reconnaissance de Fils ; avant la résurrection où sera signifiée sa présence en tous lieux et en tout temps : voici, au centre des évangiles, le texte de la métamorphose, celui du changement de la transformation tournée vers une exhortation : Ecoutez-le !
Chaque évangéliste raconte bien sûr avec sa spécificité et son intérêt particulier ; Matthieu souligne l’effroi des disciples médusés par une telle apparition et l’apaisement de Jésus : soyez sans crainte ; Luc place cet épisode dans le cadre qui lui est familier celui de la prière de Jésus. Matthieu et Luc parlent non seulement du vêtement mais aussi du visage de Jésus qui est transfiguré-métamorphosé et qui brille comme le soleil dira même Matthieu ; ce détail visuel deviendra le support de la foi vivante dans la contemplation du visage du Christ dans la tradition orthodoxe de l’icône.
En cliquant le terme « métamorphoses » sur un moteur de recherche informatique célèbre, deux lignes de compréhension apparaissent :
La première est classique et savante : le champion des transformations ou des métamorphoses c’est le poète latin Ovide qui raconte longuement au début de l’ère chrétienne les métamorphoses ou transformations des dieux et des héros afin de rendre compte de l’état de la création du monde et des forces qui le régissent ; pour s’amuser et dominer les puissants se métamorphosent ou sont transformés pour arriver à leur fin. Le tout culmine dans la métamorphose suprême racontée par Ovide, du divin Jules-César en une étoile céleste.
La deuxième ligne concerne un nouveau métier : si vous chercher du travail passez par les services d’un re-looking ; laissez-vous transformer car votre allure, votre coiffure, vos vêtements ne sont pas conformes aux désirs aux besoins aux standards d’un employeur qui veut plaire à sa clientèle. Soyez métamorphosés selon les images et les goûts du jour pour être au top ! au mieux de votre forme et de votre allure.
La transfiguration de Jésus racontée par les évangélistes n’est pas une comédie plaisante ; elle n’est pas une trouvaille d’un dieu en mal d’existence ; elle n’est pas un truc, une illusion, un faire-semblant, un faire-valoir pour mieux plaire.
A quoi sert donc cet étrange récit et comment peut-il nous aider à vivre notre vie et notre foi ?
Ce récit, me semble-t-il, éclaire plusieurs niveaux, plusieurs chemins, plusieurs manières de croire et de comprendre ce qui se passe lorsque Dieu intervient. La transfiguration ressemble bien à un cheminement, une catéchèse et un parcours qui nous invitent, et nous attendent.
1- Alors que le baptême et la tentation étaient des moments personnels vécus par Jésus et ensuite racontés ; la transfiguration est une expérience religieuse ou spirituelle vécue à plusieurs. Mais ou les uns et les autres vivent des choses et entendent des réalités différentes et diverses. Dans un cas Marc les disciples présents ne savent pas que dire car ils avaient peur ; mais en même temps, Pierre dérape complètement et veut s’installer là avec tout le monde ; ils s’entendent dire qu’il ne faut rien dire à personne et sont perplexes lorsqu’on leur parle de résurrection des morts.
La foi chrétienne nous propose une vie communautaire non seulement pour nous aider les uns les autres mais aussi pour nous interroger ensemble et partager des questions ou des évidences vite dites.
2- On pourrait dire que les disciples présents Pierre Jacques et Jean sont à leur tour transformés métamorphosés devant le changement qui s’opère sous leurs yeux. La foi, Dieu en action suscite non pas la révélation publique mais la préparation la catéchèse l ‘apprentissage de quelques-uns sur qui, reposera le témoignage futur.
3- Dans l’ensemble de ce qu’ils voient et entendent : la voix la nuée, la blancheur éblouissante ce qui demeure et ce qui est le plus sûr et le plus clair si j’ose dire c’est le réel sur lequel il faudra s’appuyer : v.8 : aussitôt regardant autour d’eux, ils ne virent plus personne d’autre que Jésus seul avec eux. » Jésus seul avec eux ! Le Solus Christus des réformateurs. Oui nous ne voulons connaître que Jésus Seul, seul avec nous : c’est bien désormais ce qui reste, ce qui demeure, ce qui est solide lorsqu’on a tout cru, tout imaginé, tout rêvé, tout vécu : Jésus seul ; toutes les autres scories des religions, toutes les expériences collectives et personnelles s’effondrent devant ce seul résultat : Jésus seul.
La foi chrétienne est intéressante et nouvelle en ceci qu’elle va dépouiller, simplifié, se servir des images et des signes religieux, pour nous indiquer ce qui est nécessaire et ce qui superflu.
4- Le cadre est décisif. La montagne. On connaissait celle du sermon chez Matthieu, ou celle d’Abraham qui montera et descendra avec son fils, après que son Dieu soit métamorphosé en un Dieu qui ne demande plus de sacrifice humain ; mais aussi bien sûr, le Sinaï de Moïse ou l’Horeb d’Elie - les montagnards de l’ancien testament - qui se retrouvent ici avec les montagnards de l’évangile. Les évangiles diront aussi celle des Oliviers.
C’est sur la montagne que se passe l’essentiel où en tous cas les dieux se manifestent volontiers comme sur l’Olympe en Grèce. C’est bien le lieu de la présence et en même temps de la difficulté. Abraham sur le lieu du sacrifice inutile. Moïse c’est la Loi et le Veau d’or dans la montagne, c’est l’Horeb ou Dieu passe et où Elie massacre les faux prophètes, c’est Golgotha le lieu de la passion et de la révélation totale et radicale. C’est cette ambivalence de la montagne qui fait lien entre terre et ciel qui fascine et qu’il va falloir maintenant quitter.
C’est dans la plaine que Luc fixera le grand discours de Jésus situé sur la montagne ailleurs. C’est bien sur la montagne que l’on voulait faire son nid avec Dieu. « Dressons trois tentes !» balbutiera Pierre ; mais c’est en descendant de la montagne que Jésus leur dit ce qu’il fallait faire et ne pas faire. L’évangile de Jean plus tard dira Jésus est venu habiter chez les siens : il est venu littéralement planter sa tente non sur la montagne mais là où vivent la plupart des humains. Le lieu de la présence de Dieu est à son tour métamorphosé.
La foi chrétienne n’a pas de lieu élevé : ni sur cette montagne ni à Sion ni sur la Garizim ni sur une autre ; ni d’espace sacré. La foi chrétienne dit qu’il faut toujours sortir toujours descendre à la rencontre de Dieu et des hommes. La descente plus que la montée est le lieu d’une présence ; l’Evangile ne monte pas, il descend jusqu’à nous. Certes nous avons toujours envie de monter d’être au top mais Dieu vient nous rencontrer en tête-à-tête sur le chemin qui descend.
Certes il nous faut prendre des forces de l’énergie, certes nous souhaitons des interventions lumineuses, et elles arrivent ici ou là sur ce que nous croyons être bien souvent une montagne infranchissable, impossible et pourtant cette montagne ce qui nous bloque, ces problèmes qui nous empêchent contiennent un chemin qui descend et nous rejoint ou une parole qui nous interpelle et qui dit : viens et suis-moi, arrête de grimper : descendons ensemble !
La foi chrétienne est une transformation, une métamorphose de nos habitudes de penser, de croire et de vivre. Cette transformation est l’œuvre de Dieu en nous comme elle fut l’œuvre de Dieu dans la personne du Christ et de ses témoins passés présents et futurs sur toutes les montagnes de la vie.
Cette transformation est récapitulée elle est en quelque sorte recentrée sur une parole, une interpellation ancienne déjà bien connue et qui soudain, devient une parole neuve.
Dans le concert des propositions religieuses, dans le foisonnement des expériences de toutes sortes, dans les illuminations, les rêves et les délires, ce qui tiendra toujours la route et qui sera toujours un repère sur le chemin de la montée et de la descente, c’est bien l'ordre : Ecoutez-le ! Ecoutez-le, lui ! Regardez à lui et à lui seul et cela suffira pour votre vie et votre route cela vous permettra affronter tout le reste, sans être comme les disciples, trop assoupis, sans avoir peur et guéris de tout fanatisme : car lui et lui seul vous offre non pas un destin mais une palette de possibilités renouvelantes et créatives pour votre vie et votre foi.
Amen.
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