« Nul n’est prophète en
son pays ! » Luc 4, 24
Les
dictons et les proverbes fruits et réflexions ou observations pragmatiques et
populaires à la fois disent parfois à l’instar d’un croquis, disent mieux et
autrement qu’un long discours
Les
30 chapitres du livre de Proverbes disent entre autres, cette sagesse populaire
et ce bon sens dans lequel et par lequel nous devons essayer d’entendre une
parole de Dieu :
« L’homme
qui flatte son prochain tend un filet sous ses pas » ( 29,5) ;
« mieux vaut réprimande ouverte qu’amitié dissimulée » (27,5)
« Point de bœuf crèche vide mais taureau vigoureux, abondant revenu »
(14,4). « On ne méprise pas le voleur qui vole pour se remplir le gosier
quand il a faim » (6,30).
Ou
encore « le charme vaut mieux qu’argent et or » 22, 1 – « qui
sème l’injustice moissonnera la calamité » 22, 8 – « Ventre plein
piétine les rayons de miel et à ventre affamé tout est doux même le
fiel ! » - « Biens mal acquis ne profitent jamais mais la
générosité délivre de la mort » 10, 2. Mais : « Aide-toi et le
ciel t’aidera » vient plutôt de La Fontaine que de la Bible
Les dictons et proverbes à cause de leur origine
disent vrai mais en même temps ils ne disent pas tout de la réalité. Ils en
disent une partie importante et n’ont jamais la prétention de tout dire, de
tout décrire et de tout rassembler. Ils attirent notre attention sur un aspect
important du réel ; ils illustrent une conversation ou un débat ; ils
sont comme une ponctuation dans une parole en dialogue.
Que pouvons- nous faire de ce : « nul
n’est prophète en son pays » ! Qui signifie simplement que les gens
connus par les leurs, par l’entourage n’arrivent plus à être surpris par ce qui
est dit ou annoncé. Comme si une connaissance, une relation trop proche tuait
détruisait l’étonnement et la faculté de la surprise accessible et recevable.
La personne de Jésus n’est pas recevable pour les siens même s’ils
reconnaissaient qu’une parole de grâce sortait de sa bouche qui les laissait
perplexes et dubitatifs : N’est-ce pas le fils de Joseph ? Peut-il
sortir quelque chose de bon du fils du charpentier comme l’écrit Matthieu.
Peut-il se faire qu’un charpentier dira Marc, commente l’Ecriture et se mette à
dire un accomplissement possible à travers sa personne même. Non, cela n’est
décidemment pas possible !
Trop de connaissances des autres, tue la rencontre
parfois avec les autres d’une part et d’autre part le renversement des réalités
qui est ici opéré rend difficile une relation plausible, audible, possible.
Les hiérarchies des valeurs sont chahutées et dans
la bouche de Jésus l’évangéliste Marc, prend un malin plaisir à la provocation.
C’est bien Jésus qui « dictonne » et provoque ses auditeurs comme si
sa parole, même vraie ne pouvait être pertinente pour celles et ceux qui l’ont
vu grandir et s’établir dans la vie aux côtés de son père. « Nul n’est
prophète en son pays » car on se connaît trop bien et l’étonnement
véritable celui qui est créateur de questionnement est quasiment impossible.
Peut-il venir quelque chose de bon d’un fils de charpentier et de même peut-il
sortir quelque chose de bon d’une bourgade comme Bethléem.
La foi va naître lorsque deux
images vont se superposer : celle du fils de Joseph et
du charpentier et celle du Messie attendu qui réalise les projets de
Dieu : car la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres, la libération aux
captifs, le retour à la vue aux aveugles une année de grâce annoncée au cœur
des tribulations du monde.
La foi va ne naître non pas
d’une considération tranquille ; non pas de l’adéquation entre une attente
et sa réalisation, non pas dans le droit fils de ce qui est connu et attendu
depuis toujours. Non la foi va prendre naissance et prendre corps :
dans la rupture, dans l’association des contraires, dans l’ambivalence des mots
et des réalités, dans l’opposition apparente et bien réelle entre le fils de
Joseph et le fils de Dieu. C’est dans le choc et l’opposition, c’est bien dans
une tension entre des groupes et des personnes que va se tenir un chemin pour
une bonne nouvelle difficile à croire et pourtant en train de naître.
La foi en Jésus Christ comme la foi de Jésus c’est
bien une relation de confiance entre des personnes, des individus des sujets
avant d’être une reconnaissance des statuts sociaux.
C’est sans doute cela qui est en train de se faire
jour dans le rejet de Jésus par les siens. « Nul n’est prophète en son
pays » car le fils ou la fille du pays est connu par les autres par son
statut familial, social ; dans l’Antiquité et au début de l’ère chrétienne
le sujet, l’individu n’existe pas en réalité. Il est une partie il fait partie
d’un groupe plus vaste, social ou religieux ; on sait d’autre part que ce
système de confréries en quelque sorte, a été très protecteur et très utile et
qu’il a duré fort longtemps ; jusqu’à aujourd’hui d’une manière un peu
folklorique
Au 1ier siècle de l’ère chrétienne, il
est la structure même de l’Empire : les esclaves, les hommes libres, les
grecs et les barbares, mais aussi, les collecteurs d’impôts, les aveugles et
les sourds, les prostituées, les pharisiens, les gens de Béthanie, la parenté
de Jésus, les scribes et les foules et bien d’autres encore ; l’évangile
sera une bonne nouvelle qui va parcourir ces groupes et ses instances et en
même temps la foi sera comprise comme une rencontre et une relation confiante
entre quelqu’un Jésus et quelqu’un d’autre comme Zachée, Marie Madeleine Marthe
et Marie, Nicodème et Paul par ex. Non pas des cas, non pas des numéros, des
représentants officiels mais des hommes et des femmes enracinés dans la réalité
qui reçoivent une nomination, une reconnaissance qui sont appelés par leur nom
car désormais ils existent seul devant Dieu ; ils existent sans passer
obligatoirement par leur statut social toujours utiles et dans les évangiles
toujours valorisés.
La foi, se sont des personnes qui la vivent et en
vivent ; des personnes et non des entités ; des personnes spécifiques
en train de se libérer de leur statut en train de reconnaître dans l’homme
Jésus et son histoire une histoire de Dieu pour elles pour eux. Des
personnes reconnues et qui acceptent d’être autres reconnues autrement que par
leurs liens sociaux et personnels. Le cadre, le statut : l’artisan, le prof, le religieux, l’actif le retraité comme le chômeur, le bien portant comme le malade mais aussi sans doute le juif le protestant le catholique l’orthodoxe ou aujourd’hui « le musulman » ne disent pas bien qui nous sommes. C’est peut-être cela qui fait bondir les auditeurs de Jésus à Nazareth car ils sont comme nous d’ailleurs très attachés à leur groupe et très sûr que Jésus fait partie lui aussi d’un groupe bien précis.
La foi qui est en train de naître est celle qui sera en Christ : il faudra bien associer dans un choc et une tension difficile ce qui nous semble si liée et si évident : Jésus et Christ ; deux images deux réalités : la primauté de la personne, un homme Jésus et une fonction à laquelle rien ne semblait le prédisposer celle de Messie de Christ ; fonction qui porte les espérances d’un peuple.
Lorsque Jésus rencontre Zachée, Zachée rencontre
Jésus comme Christ celui qui n’aurait jamais dû venir chez lui. Marie, un jour
dit-on rencontre quelqu’un qu’elle prit pour un jardinier, une fonction qui se
mit l’appeler par son nom et qu’elle reconnut alors sans pouvoir le garder pour elle. Nul n’est prophète en son
pays » ! Car pour entendre la parole prophétique il
faut qu’elle fasse un détour par l’ailleurs par l’étrange par un circuit qui
n’est pas en voie directe afin qu’au-delà d’une fonction réelle ou supposée,
apparaisse quelqu’un comme une personne unique. Parfois il est plus facile de parler à des
étrangers qu’aux gens de la maison.
Parfois il est plus facile d’évangéliser au loin
plutôt qu’auprès. Il est plus facile parfois de parler de Dieu à d’autres
qu’aux personnes de sa propre famille. Parfois il est plus facile de parler à des étrangers qu’aux gens de la maison.
Ceci ne doit pas nous rendre pessimistes mais cela
nous fait entrevoir que la foi que la relation à Dieu nous dépouille de ce à
quoi nous tenons : notre cheminement, notre formation, nos propres
découvertes.
La foi ici nous dépouille comme pour atteindre une
forme si particulière que Paul appelle « Amour » et qui est identique
à Dieu et non pas à ce que nous essayons de faire et de vivre. La foi comme la
découverte du Dieu Amour qui pardonne tout, qui croit tout qui excuse tout qui
prend patience qui ne plastronne pas et qui ne disparaît jamais.
La foi, la relation à Dieu par Jésus le Christ ce
n’est plus ici la connaissance de notre environnement social ou familial mais
la reconnaissance que Dieu nous a connu et comme il le dit à Jérémie, a et aura
un projet de vie pour nous ; car dit-il au prophète : je suis et
serai avec toi. « Nul n’est prophète en son pays » tant que ne tombe
pas nos carapaces, nos étiquettes, nos préjugés et nos regards habituels sur
les uns et les autres ; tant que ne tombent pas nos habitudes envers Dieu
lui-même !
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