Jean 3, 1-17 : Nicodème : le conquérant… le victorieux du peuple (étym.)
Chez Jean : peu
de personnages nommés hors disciples : Jean Baptiste, Lazare, Marthe et
Marie et Marie de Magdala. Et 3 fois Nicodème ! Un nom, une personnalité, un chef étonnant !
La figure de Nicodème est singulière, furtive et
dense à la fois. Elle caractérise l’Evangile de Jean qui seul connaît ce
personnage que l’on retrouvera en discussion avec les siens pour rappeler la
valeur du droit : condamnerait-on quelqu’un sans l’avoir entendu et sans
savoir ce qu’il a fait, dira t-il (7,50); il sera aussi celui qui
s’occupera du corps de Jésus (19,39). Il disparaîtra ensuite comme un disciple
et un témoin efficace et pourtant toujours dans l’ombre.
Nicodème quelqu’un de bien qui est d’abord intéressé
par la personne et le message de Jésus ; il est l’homme qui veut savoir et
comprendre, il est le personnage des questions. Comment un homme pourrait-il
naître s’il est vieux ? Comment cela peut-il se faire ?
Nous pouvons percevoir ensemble cette dimension
essentielle de la foi chrétienne qui est et demeure un immense étonnement, une
vaste question, comme une rencontre toujours inattendue avec le Christ lui
même. La foi comme une première et ultime question, la foi chrétienne comme un
réel étonnement. La foi comme question comme étonnement avant d’être une série
de réponses toutes faites, toute prêtes.
Nos communautés, nos traditions ecclésiales ont
souvent au cours de l’histoire fait face à cet étonnement et à ces questions,
elles ont même souvent donné des réponses, beaucoup de réponses ! Ainsi nos Eglises donnent parfois
l’impression d’avoir réponse à tout : sur le mariage, sur la fin de vie, etc... elles donnent parfois le sentiment
qu’elles ne sont plus étonnées par l’évangile lui même, qu’elles ont la charge
de transmettre. Nos réponses particulières sont encore face à l’Evangile de
Jésus-Christ, encore des questions et des étonnements à vivre.
Stimulés par l’Esprit saint, stimulés par les
autres, questionnés par les réalités du monde, notre capacité à témoigner à
annoncer, passe, je le crois, par l’étonnement de Nicodème. Comment
renaître ? Comment cela peut-il se faire ?
Cet étonnement
rencontre l’étonnement bienveillant du Christ lui-même : tu es maître en
Israël et tu ne sais pas ces choses, tu es Eglise de Jésus Christ et tu ne sait
pas encore ce qu’il faudrait vivre, savoir et croire ! Deviens et
redeviens cette Eglise si jeune encore
qu’elle est capable de s’étonner, non seulement de la grâce qui lui est
faite mais aussi de la grâce qui lui permet de proposer au monde un évangile
comme un grand étonnement. Le dialogue, la rencontre qui est la première et la
marque ultime de la foi c’est la rencontre de deux étonnements : celui de
l’homme et celui de Dieu lui-même.
Puissions–nous
redécouvrir la force et la pertinence de l’étonnement que doit procurer le
trésor qui est le nôtre et dont nous n’avons pas encore mesuré toute la
grandeur et toute la nouveauté. Au cœur de nos habitudes et de nos traditions
bien utiles notre capacité à nous interroger et à être étonner, risque de se
perdre et de ne plus être entendue ; les témoins de Jésus Christ sont
celles et ceux qui découvrent en permanence l’étonnement de la présence de
Dieu, la surprise et le renouveau qu’elle procure au cœur de nos habitudes, la
nécessité de naître encore et à nouveau à l’Evangile en répondant d’eux-mêmes
et de celui qui vient faire don de sa présence.
Naître de nouveau ce n’est donc pas l’autre face
spirituelle d’une face plus concrète plus réaliste ; Naître de nouveau ce
ne sera pas seulement l’invasion de Dieu dans la réalité des hommes et des
femmes qui entendent l’Evangile ; naître de nouveau ce sera la
confiance maintenue dans une question toujours légitime, toujours
vivante, ce sera la confiance dans un étonnement toujours nouveau loin de
l’artificiel du factice ou du répétitif. Comment cela peut-il se faire ?
Cette question celle de l’enfant qui découvre la réalité du monde est
l’expression première et ultime de la foi ; elle n’est pas la marque
d’une indécision mais d’une confiance que quelqu’un entend nos
questions, quelqu’un reçoit notre étonnement. La foi sera ici le choc des
étonnements et non la confrontation et l’opposition de réponses
dogmatiques ou éthiques.
Nicodème c’est le témoin de l’étonnement et de la question
c’est aussi le témoin de la nuit, le témoin dans la nuit.
L’évangile de Jean l’associe à la nuit, c’est l’homme qui vint rencontrer Jésus
de nuit, c’est le témoin de la nuit du tombeau. C’est le noctambule de
l’Evangile. On dit souvent qu’il aurait craint d’être vu en présence de
Jésus ; il est le premier personnage dans l’Ev. de Jean à rencontrer Jésus
personnellement comme dans l’intimité de façon privée. Cette dimension
personnelle et privée sera accentuée par son absence et son silence au sein des
disciples et dans tout acte public du ministère de Jésus.
Nous qui savons bien que l’Evangile a une dimension
publique, officielle, visible et connue, nous qui croyons que notre espérance
est pour le monde entier comme pour la société dans laquelle nous vivons, voici
que Nicodème nous dit aujourd’hui que cet évangile étonnant revêt un caractère
privé. Qu’il est d’abord et aussi une affaire personnelle et intime ;
Voici que cette bonne nouvelle concerne notre vie publique mais aussi
personnelle ; cet évangile, cette présence cette rencontre avec le Christ
s’effectue aussi dans notre nuit, dans les nuits de nos existences spécifiques. Directement la
rencontre est possible, muni de notre quête de nos étonnements voici le face à
face de quelqu’un, avec le Christ. La communauté, l’assemblée, l’action, le
témoignage seront le jour. Mais il n’y a pas de jour sans nuit. Même la nuit le
Seigneur veille ; tous les grands mystiques de l’histoire ont dit que
seule la nuit était le lieu de la rencontre. Absorbés par toutes sortes de
tâches, écrasés parfois par nos organisations matérielles et nos gestions
complexes, voici que Nicodème nous rappelle la place de la rencontre singulière
et personnelle avec le Seigneur du jour et de la nuit. Puissions nous retrouver
cette dimension qui ressemble à la prière personnelle comme ressourcement ou
personne ne peut agir à notre place et où nous retrouvons la capacité de nous
tenir devant Dieu.
Pour nous, Nicodème c’est le témoin de l’étonnement et
c’est le témoin dans la nuit. C’est aussi et enfin le témoin de l’écoute de
l’essentiel. Comment dirions-nous ensemble le centre de la révélation
chrétienne ? Nicodème est le témoin attentif de cette parole centrale au
seuil de l’Evangile de Jean. Par ses questions nocturnes, il permet à Jésus des
réponses radicales et inouïes.
"Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils son
unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie
éternelle".
Le motif la raison d’être la mission de nos communautés comme notre
espérance personnelle, se tient ici résumé et récapitulé. A celles et ceux qui
doutent et qui cherchent, à celles et ceux qui vont chercher ailleurs ce qui
est promis ici simplement à celles et ceux qui s’égarent dans les
pseudo-mystères et les paradis éphémères, à nous qui parfois ensommeillés ou
découragés ne voyons plus clairement ce qui nous unis et nous rassemble, l’évangile
retentit de façon claire et forte.
A nous qui portons un regard sceptique
parfois désabusé et souvent négatif sur ce monde déboussolé, Dieu vient
redire : qu’il l’a tant aimé ; qu’il est bien le seul lieu de notre mission
et de notre témoignage ; qu’il est bien, ce monde, celui que Dieu est venu
résolument aimer en Jésus-Christ dans sa rencontre étonnante avec celles et
ceux qui paraissaient les moins dignes de cette rencontre. Pas du monde, dira
Jean, mais dans ce monde afin qu’il croie ; dans ce monde notre manière de
vivre les uns avec les autres les uns par les autres ; dans ce monde où
doit retentir notre étonnement et nos questions sont promis à la présence qui
le rend autre et différent ; dans ce monde aimé par Dieu et non condamné
tel est le lieu de notre mission et du chantier que Dieu est venu visité.
Dans
ce monde où la demande religieuse s’exprime de bien des manières, voici qu’il
nous est demandé de l’évangéliser, non de la récupérer mais d’y annoncer sous
forme de questions, la seule espérance possible celle de la vie qui dure et qui
s’épanouit grâce à la présence du Vivant et du ressuscité.
Ce qui caractérise l’espérance chrétienne c’est bien
cette promesse qui ne ressemble pas à un jugement mais à un avenir possible.
Dieu est venu aimer ce monde. Nous ne pouvons pas l’abandonner, nous y
soustraire, car c’est bien là que nous attendent nos frères et sœurs en
humanité promis à la rencontre inattendue, celle de la foi Christ de la vie.
Nos communautés sont des langages différents de cette annonce et de cette
certitude, puissions nous nous souvenir que nos langages nos histoires sont
enracinés et trouvent leur véritable sens dans cette affirmation
centrale : afin que nous croyions, Dieu est venu aimer ce monde dans la
vie, la mort, les gestes et la parole de Jésus le Christ. Nicodème est le
premier témoin de cette promesse.
Nicodème, le conquérant tel Guillaume ! du peuple et
pour le peuple de Dieu : il est le vainqueur des tentations de toujours
répondre comme de l’extérieur d’un savoir tout prêt à croire car le vent, comme
l’esprit souffle dans toutes les directions ; Il est le conquérant qui
questionne et vient voir lorsqu’il difficile de voir ; il vient répondre
de lui-même et de celui qu’il rencontre.
Témoin questionneur, témoin de l’étonnement nécessaire,
témoin dans la nuit, témoin est le premier témoin de la grande nouvelle.
Puissions nous nous retrouver en lui, puissions nous avec lui, avec nos
communautés, stimulés par lui retrouver l’élan et la dynamique d’un témoignage
divers et varié mais enraciné et comme abreuvé par cette seule source, l’amour
inconditionnel de Dieu pour nous.
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