dimanche 3 mars 2013

Ne nous soumets pas à la tentation !

Aujourd’hui la tentation ne fait peur à personne. Dans nos sociétés elle est devenue une force de vente, un moyen, une technique objective qui s’enseigne et se déploie sur des panneaux et nos écrans pour nous pousser à acquérir consommer échanger sans crainte ni retenue elle concerne les riches et les pauvres, bref elle est le moteur dynamique du marché ; elle répond aux besoins et en crée de nouveaux, elle fonde stimule la concurrence. Le vieux texte de la Genèse pourrait être utilisé sans peine : une publicité qui décrit et met en valeur un produit bon à manger, séduisant à regarder et précieux pour agir avec clairvoyance est un produit qui va être vendu et acheté.

40 jours avant Pâques, l’Eglise chrétienne a traditionnellement éprouvé le besoin de corriger ou de gérer la tentation comme attraction en qualifiant ce temps particulier de Carême et en le plaçant sous le signe de son contraire celui du renoncement ou de l’effort à la modération de  nos appétits dévorants de publicité et de consommation. Ceci est l’expression d’un bon sentiment qui ne peut nuire à personne. Il peut être compris comme l’expression d’une certaine sagesse face à bien des excès pour les uns et des manques non choisis pour bien d’autres. Mais les textes bibliques que nous avons n’ont probablement pas été écrits pour nous inviter à vivre un temps de Carême !

Je serais tenté de dire –on n’échappe pas à la tentation, même de dire- je serai donc tenté dire que l’épreuve de la tentation est un cheminement de la vie chrétienne qui nous permet de nous libérer de ce qui entrave notre liberté et notre foi. Et cela d’au moins trois manières.

1-Nous libérer d’un poids, d’une lourdeur, d’un destin. Le fameux texte de la Genèse a été compris comme la manifestation de ce qu’on a appelé le péché originel. Au fond si nous sommes ce que nous sommes, en fait nous n’y pouvons pas grand chose, Dieu l’aurait voulu ainsi et nos augustes mythiques ancêtres devant Dieu auraient commis l’irréparable, surtout elle, d’ailleurs ! Et nous pauvres créatures copies conformes, nous ne pouvons que continuer à convoiter et à succomber à la tentation, à toutes les tentations possibles. Une faute indélébile a été commise. Cette vision des choses me paraît débile.

La liberté d’Adam et Eve est à l’épreuve d’une loi qui structure la vie et les relations entre les vivants. Leurs descendants ne sont pas marqués par un destin néfaste mais ils ont à faire eux aussi avec une loi qui structure, celle de la parole d’un tiers et d’un autre ici Dieu qui dit à sa manière : tout est possible mais tout n’est pas bon pour toi et les autres. Si tu écoutes et entends ma voix qui clarifie et distingue tu n’auras plus honte et tu ne te cacheras plus à toi-même ce qui tu es ; tu ne te cacheras plus devant les autres. La tentation est ici de croire qu’il est possible de vivre sans entendre une voix qui clarifie et distingue.

Les traditions bibliques si diverses, sont toutes d’accord et disent toutes la même chose sur ce point - vivre devant Dieu et avec les autres, ou vivre devant les autres et avec Dieu c’est distinguer et non mêler - c’est reconnaître des individus, des personnes et non des masses, c’est établir des alliances et des codes et non vivre comme si tout était possible. Le Dieu d’Adam et Eve donne la possibilité d’établir des relations de confiance. Au commencement était ni la faute ni le péché mais la parole de confiance qui distingue contre une parole qui mélange et qui trouble. Aujourd’hui comme hier la tentation est toujours grande et vivace de repousser la parole claire, décisive qui fait vivre pour préférer celle qui brouille et qui mêle et qui empêche de vivre bien ou mieux.

2. Nous libérer de l’épreuve ou de la tentation, comme accroissement de nous-mêmes. Il faut croître et s’agrandir. Pour de bonnes raisons les chrétiens ont conquis le monde et nous sommes émerveillés et affolés à la fois de lire l’histoire de la chrétienté comme un développement qui rien ni personne ne purent arrêter avec son lot de bonheurs et de grands malheurs aussi. La tentation s’exprime ici lorsque les fins justifient les moyens employés. Connaître ce qui est bien ou mal, espérer ne pas mourir cela vaut bien la transgression de ce qui paraît un interdit dérisoire : tous les fruits, mais pas celui-là. Comment résister à cet irrésistible ? Ce qui est dit n’a pas été cru ni entendu.

Accroissement des richesses, des territoires, des connaissances, de la foi elle-même ; tout cela ne semble pas négatif en vérité et pourtant tout cela devient objet de chute, de scandale, là où l’objectif poursuivit, n’est plus en relation avec la responsabilité et la liberté de l’homme puissant ou ordinaire.

Oui Jésus comme fils de Dieu aurait pu transformer les pierres en pains, il fera des choses au moins aussi extraordinaires mais il dira que le pain partagé est signe de son corps meurtri ; oui il pourrait sauter dans le vide mais sa chute sera de venir habiter parmi nous ; non il n’aurait pas pu se prosterner devant le diable ! Il a préféré laver les pieds de ses disciples. Voici que sa gloire n’est pas en état d’accroissement, où plus exactement son élévation sera celle de la croix. Son enrichissement sera son abaissement, sa vie et sa mort seront pour beaucoup une perspective de vie, sa parole sera une bonne nouvelle, sauver sa vie avec lui sera la perdre toujours avec lui.

Nous avons besoin de croître à tous les niveaux et en même temps nous garder de la tentation de croire que cette croissance est la preuve ou la source de notre fidélité.

3. Nous libérer de la croyance en une faute passée, nous libérer d’une croissance comme preuve et source de salut, nous libérer aussi d’une fausse réalisation de soi-même. La tentation aujourd’hui s’exprime parfois ainsi : soyez vous-mêmes ! Comme pour dire qu’en nous, nous avons ce qu’il faut pour être et vivre de façon autonome et donc en vérité ! Ce qui est remarquable dans les récits de tentation c’est bien la place et le rôle de l’autre qui est concerné. Je ne suis rien sans toi ; je suis démuni sans ta présence ; mon autonomie si chère et si revendiquée n’est qu’un leurre.

Eve implique Adam, le serpent ne peut agir seul, Dieu cherche Adam qui se cache désespérément, comme si Dieu lui-même et l‘homme et la femme ne pouvaient rester seuls. Dans le récit de Matth. Jésus et l’esprit sont reliés comme Jésus est relié à une Ecriture qui devient parole de vie et donc convaincante ; oui nous le savons bien la réalisation de nous-mêmes passe par les autres ;


La foi chrétienne nous annonce que Dieu lui est disponible et présent parmi nous parmi les autres pour nous accompagner, nous précéder, nous suivre. La tentation est ici de croire en nos propres forces ou même en nos propres faiblesses si facilement affirmées. Le salut, le bonheur, la foi n’est pas en nous ils se découvrent dans la parole externe celle des autres celle de Dieu qui nous appellent, qui nous exhortent, qui nous encouragent ou nous consolent ou nous envoient, bref qui nous justifient encore et toujours alors que nos ressources de foi et s’épuisent. M. Luther disait juste et pécheur en même temps ; pardonné est d’espérance sans cesse ayant besoin d’être pardonné par Lui. La réalisation de nous mêmes passe par la reconnaissance des autres et de Dieu.

Au fond, nos petites tentations que nous mettons en pratique ne sont pas très intéressantes, elles relèvent souvent de la morale ordinaire ou du code pénal. La seule  véritable tentation est celle qui concerne notre foi et notre espérance en Dieu lui même. Il nous arrive de ne pas vouloir que Dieu soit Dieu pour nous. Certes il nous arrive de vouloir être Dieu à notre niveau. Il nous arrive de croire en un Dieu que nous nous fabriquons et auquel nous nous habituons. La tentation religieuse ou spirituelle est sans doute la plus grande la plus subtile des tentations.

Le Dieu d’Adam et Eve est un Dieu qui surprend, il fera avec celle et celui qui ont transgressé : il ne les fera pas mourir mais vivre, la sortie du jardin sera non pas une condamnation mais le commencement d’une nouvelle et rude aventure ; le Dieu de la Genèse va accompagner et sera le vis à vis surpris et complice de cette nouvelle étape d’histoires et de vie.

Le Dieu de Jésus Christ renonçant à la toute puissance pourra rencontrer les hommes et les femmes pour qu’ils vivent leur vie et leur mort munis de sa présence et de sa vie : sans juger mais en stimulant, sans condamner, mais ouvrant un espace et un temps pour vivre et re-vivre.

Le Carême n’est pas une privation infligée ; c’est le temps de la réception d’une nouvelle compréhension de Dieu et des autres, c’est le temps d’un regard neuf, c’est le temps d’une foi renouvelée, c’est encore le temps des tentations en présence de Celui qui se tient à côté de nous et qui nous permet de les vivre :  ne crois pas que tu puisses transformer le pain et vin mais crois que tu peux en ma présence, le partager en souvenir de ma vie et de ma mort ; ne crois pas que tu puisses te suffire à toi-même, mais viens à ma rencontre pour avancer encore ; ne crois pas que je sois un Dieu conforme à tes souhaits, mais accepte de croire en la surprenante bonne nouvelle : tu es important pour moi ; Seigneur, ne me soumets pas à la tentation mais renouvelle ma foi et mon regard en ce temps de Carême.

 

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