Lectures Esaie 9, 1-6 ; Luc 2, 1-20
L'Evangile c'est une parole qui court parmi les vivants et qui à tout moment se délivre et nous délivre de nos doutes et de nos certitudes, de nos déprimes et de nos errances et nous donne le courage d'être à nouveau. L'Evangile nous fait naître à nouveau.
Telle est,
frères et sœurs, la Bonne Nouvelle de
Noël. Ce qui était attendu commence d'arriver, ce qui était souhaité, se
passe. Les premiers chrétiens en écrivant les récits de Noël ont tenté
de dire que Dieu, une fois encore,
cette fois surtout,
intervenait de manière radicale et
paradoxale dans la vie de
hommes, des femmes et
des enfants. Ils ont pour nous concentré toutes les
espérances de leur peuple ; ils ont récapitulé et raccourci toute
l'histoire afin de la faire
résonner dans la
réalité d'un petit
enfant naissant.
Si les hommes ont marché sur la lune froide et vide,
voici qu'ils disent que Dieu lui même vient marcher sur
la terre bruyante et pleine de la vie des femmes, des hommes et
des enfants. Telle est, frères et sœurs, la foi de Noël.
C'est la foi
en un vaste et puissant rapprochement, qui s'exprimera
à jamais dans la faiblesse et la précarité.
Noël c'est
le grand rapprochement : ce qui était éloigné, s'approche,
la périphérie et le centre se mettent en étroite relation ;
un vrai rapprochement qui ne va pas se figer, s'immobiliser ou s'arrêter mais se poursuivre
et permettre à tous, à chacun d'aller plus loin et continuer sa route et
sa vie afin de se sentir accompagné précédé et suivi de la présence d'un vivant qui
ressemble à une parole qui demande à naître toujours à nouveau.
Faisons
l'inventaire de ce rapprochement de Noël. Les auteurs
bibliques et Luc
en particulier ont souhaité situer
leur espérance dans
le cadre de l'histoire profane, réelle
des hommes : César Auguste, le monde entier,
Quirinus, la Syrie. C'est le rapprochement
de Dieu avec l'histoire
humaine et contemporaine,
celle qui nous inquiète, nous fascine, nous menace et nous
intéresse. Ce qui pourrait paraître le plus éloigné
des préoccupations religieuses
des hommes : l'organisation du monde - devient la
cadre de l'espérance et de la foi de Noël. L'horizon ne peut être d'abord
que celui d'une solidarité humaine large et totale ; les personnages
du monde, les pouvoirs et les
injustices des hommes deviennent concernés ; Celui qui est
annoncé et décrit comme Sauveur et Seigneur ne ressemblera pas aux seigneurs
et sauveurs humains, constamment fragile il ne
cessera jamais d'apparaître critique et menaçant à l'égard de tous les pouvoirs :
le salut des hommes n'est pas une réalisation humaine et
pourtant il se tient dans l’histoire, c’est le paradoxe de la foi de Noël.
Le deuxième
élément de cet inventaire réside dans sa datation, dans la cadre d'une
contrainte au temps de Quirinus. On ne rejoue pas chaque année Noël, on ne -revit pas,
on ne redit pas Noël. C'est fait. Il s'agit bien maintenant et cette
année de dégager de mesure et de repérer l'ensemble des conséquences de cette
expression de foi et d'espérance.
Rapprochement avec
l'histoire générale mais
aussi rapprochement
au cœur de
la tradition du
peuple d'Israël,
au cœur de la tradition
familiale. Convergence efficace entre un homme et une femme qui deviennent
le cadre de la proximité de Dieu avec son peuple. Avec Joseph et Marie, avec Bethléem et la Judée, avec
David c'est toute
l'histoire d'une tradition qui
se trouve récapitulée
et contestée. Israël lui
même est appelé à changer ses pratiques et ses habitudes;
si la nouveauté
naît au sein
des traditions c'est aussi pour les transformer. Ce qui a été jadis
réalisé, n'est ni perdu ni oublié, mais là n'était pas le salut. Voici
qu'aujourd'hui, au présent, le passé du peuple est mis à jour et à nu il est actualisé ;
l'histoire d'Israël n'est pas seulement 1' histoire des ancêtres
glorieux et vénérables, voici que l'attente continue d'un
Messie va s'exprimer dans celle de deux illustres inconnus, Joseph et Marie.
L'histoire de Dieu sur
la terre des hommes n'est plus celles des héros mais
plus sûrement celles
des oubliés de l'histoire. Tous
ceux que l'on
allait oublier redeviennent
importants. Le passé glorieux affleure dans la vie inattendue de gens
ordinaires. Noël dans l'histoire
générale, dans l'histoire particulière
d'un peuple, mais aussi dans l'histoire cosmique et théologique ;
Noël c'est aussi la proximité du ciel et de la terre. Là encore les médiateurs sont surprenants:
des bergers agents étonnés et curieux de ce rapprochement. Ce qui les caractérise d'ordinaire c'est plutôt
la rudesse où
1'apreté plus que la bienveillance
et la douceur ; les voici compromis dans l'espérance et la foi de
Noël. Lorsque la foi nous permet de
dire que Dieu vient parcourir la vie et la terre,
des hommes les plus éloignés de ce genre
de préoccupations reçoivent la capacité d'y entrer et d'y participer. La
révélation divine n'est pas promise aux mystères elle n'est pas
réservée aux tourmentés, aux amateurs de
l'extraordinaire, voici qu'elle
passe désormais
par ce que nous pensons
souvent être la périphérie ;
non seulement les oubliés de l'histoire, mais aussi les exclus de l'histoire.
Débarrassés de toutes les fausses
préoccupations des hommes, affrontés à la dure quotidienneté,
aux problèmes vitaux et réels de
l'existence difficile et menacée,
les bergers
sont les anti-héros
et les porteurs
d'une révélation qui les dépasse peut être, mais qui les concerne
surtout.
Enfin il me semble, que l'on
pourrait aussi souligner un dernier rapprochement, celui qui a lieu dans la personne même
de Marie ; il est signe
de tout rapprochement
qui s'effectue en nous-mêmes, entre le raisonnable et l'incroyable, entre l'acceptation personnelle
et le don, le partage avec tous autres. C'est ce
qui se passe
sans cesse en
nous comme tiraillement
entre ce qu'il est possible de faire, de croire de penser. C'est la
découverte d'être soudain concerné
par ce qui
était inespéré et
sûrement incroyable. Frères et Sœurs, ces divers
rapprochements sont pour nous les lieux où peut s'exprimer et s'actualiser notre foi et notre
espérance de Noël.
Noël c'est
l'enfant et César. Il y avait en ce temps là un César Pontifex, qui se disait
Auguste et ne faisait rire personne, il imposait la présence
de ses légions à tous les peuples, il se disait sauveur et réduisait
les étrangers à l'esclavage, il se disait seigneur et le ciel et la terre
étaient fermés à l'espérance. Là où nous sommes comme nous sommes nous
avons à faire le lien et le rapprochement entre notre espérance et
notre foi de Noël avec la vie de notre monde.
Noël c'est l'enfant et Israël : II y
avait en ce
temps là une
religion et des religieux, qui faisaient
certes ce qu'ils pouvaient; mais leurs rites et leurs pratiques s'épuisaient; il y avait les
purs et les autres, les bons et les autres. Là où nous sommes comme nous
sommes nous avons à faire le lien et le rapprochement entre notre espérance et notre foi de
Noël avec l'usage que nous faisons de la religion, de ses signes et
pratiques au service d'une fidélité plus exigeante et renouvelée.
Noël c'est
l'enfant et les bergers. Il y avait en ce temps là des gens de la périphérie, les
banlieusards dans tous les domaines ; l'authenticité de l'engagement
des chrétiens et sa vitalité
passe probablement aujourd'hui par la remise au centre de tous ceux et
celles qui sont en manque d'humanité. Là où nous sommes et comme nous
sommes, nous avons à faire le lien et le rapprochement entre notre foi et notre espérance de
Noël avec ce
qu'il ne convient
plus d'accepter.
Noël c'est
l'enfant et Marie. En ce temps là il y avait une femme promise à Joseph et à un grand
avenir sans qu'elle en sache quelque chose. Dans l'existence ordinaire de
sa vie, l'extraordinaire à surgi pour le meilleur et pour le pire. Elle a dit : pourquoi pas
? Là où nous sommes et comme nous sommes nous avons à faire le lien et
le rapprochement entre notre foi et
notre espérance de Noël et notre propre existence. Ainsi
l'enfant de Noël n'est pas seul, il n'est pas isolé, il
est en relation avec notre réalité ; il fait lien, et met en relation ce
qui pour nous et en nous ne l'était pas. Pour être Sauveur, Christ et Seigneur il vivra et
mourra comme un serviteur,
pour être le Maître, pour nous il sera
l'esclave, pour être crédible il sera incroyable. Le jour de Noël un certain silence, un certain
conformisme est rompu. Noël ça fait du bruit à l'extérieur
comme à l'intérieur : chez Hérode, Quirinus, César, chez Joseph
et Marie chez les bergers et même chez les anges : puissions nous ne pas mettre
en sourdine l'écho de ces bruits, ils sont pour nous les signes
de l'espérance et de la foi de Noël ;
comme disait Luther, arrêtons de vouloir escalader le ciel, allons
plutôt à Bethléem, lorsque cela sera possible et puisque dit-on, il n'y avait pas de place pour eux,
essayons de leur en faire une, là où nous sommes et comme nous sommes, afin d'être
reliés à eux, à tous les autres, à nous mêmes. Laissons-nous
envahir par la foi et l'espérance de Noël.
« Chacun
devrait connaître au moins un lieu une place dans son entourage où il peut par son
initiative, adoucir une douleur, réparer une discordance, aider à découvrir une
vérité, dénoncer une tension, former une amitié » C.F. von Weizacher.
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