17 Comme il
se mettait en route, quelqu’un vint en courant et se jeta à genoux devant
lui ; il lui demandait : « Bon Maître, que dois–je faire pour
recevoir la vie éternelle en partage ? »
18 Jésus lui
dit : « Pourquoi m’appelles–tu bon ? Nul n’est bon que Dieu
seul.
19 Tu connais
les commandements : Tu ne commettras pas de meurtre, tu ne commettras pas
d’adultère, tu ne voleras pas, tu ne porteras pas de faux témoignage, tu ne
feras de tort à personne, honore ton père et ta mère. »
20 L’homme lui
dit : « Maître, tout cela, je l’ai observé dès ma jeunesse. »
21 Jésus le
regarda et se prit à l’aimer ; il lui dit : « Une seule chose te
manque ; va, ce que tu as, vends–le, donne–le aux pauvres et tu auras un
trésor dans le ciel ; puis viens, suis–moi. »
22 Mais à cette
parole, il s’assombrit et il s’en alla tout triste, car il avait de grands
biens.
23 Regardant
autour de lui, Jésus dit à ses disciples : « Qu’il sera difficile à
ceux qui ont les richesses d’entrer dans le Royaume de Dieu ! »
24 Les
disciples étaient déconcertés par ces paroles. Mais Jésus leur répète :
« Mes enfants, qu’il est difficile d’entrer dans le Royaume de Dieu !
25 Il est plus
facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer
dans le Royaume de Dieu. »
26 Ils étaient
de plus en plus impressionnés ; ils se disaient entre eux :
« Alors qui peut être sauvé ? »
27 Fixant sur
eux son regard, Jésus dit : « Aux hommes, c’est impossible, mais pas
à Dieu, car tout est possible à Dieu.
Que dois-je faire pour être
heureux ? Ou hériter, avoir part à la vie, la vraie vie ?
Au temps de la rédaction des
évangiles et même avant cette rédaction, face aux tourments, aux guerres et aux
rivalités religieuses dans le monde juif en particulier, deux sortes de réponses sont données
ou proposées.
Une réponse
pour le peuple dans sa grande majorité, une réponse populaire
d’une part et une réponse élitiste une sorte de voie supérieure et royale en
quelque sorte. La réponse populaire ce sera : fais le bien à travers des
codes que la morale ancienne ou traditionnelle enseigne. Et cela paraît fort
pertinent tant les besoins sont immenses et criants. Occupe-toi des autres,
respecte-les, et deviens un être humain concerné par ce qui t’entoure. Le
peuple juif a mis en pratique cela et l’on en trouve des traces fortes et
éminentes dans le nouveau testament qui a repris cette orientation : la
création des diacres dans le livre des Actes ou encore la collecte faite à
l’initiative de Paul pour l’Eglise mère démunie de Jérusalem.
Une
réponse pour quelques uns, une réponse ciblée qui sera en
opposition avec le reste de la société. C’est la réponse des disciples qui
laissent tout et qui quitte la vie séculière et vont vivre avec d’autres les
principes élevées de la morale dans un cadre étroit et fermé. Ce sera alors la
naissance du monachisme ou plutôt ou encore l’apparition de groupes
particuliers qui construisent une autre vie avec d’autres règles plus radicales
et d’autres horizons au cœur du monde jugé et condamné. La communauté des
Esséniens à Qumran par exemple, est le type et même l'archétype de ce genre de
démarche.
La tension sera vive entre les
deux réponses ; le choix peu évident. La première réponse risque de
conduire à la dissolution à l’éparpillement et au manque de visibilité de la
spécificité chrétienne ; tout le monde est vaguement et globalement
chrétien mais plus personne ne se revendique comme tel. On dit même que notre
société est d’inspiration chrétienne, dans laquelle les chrétiens se font
rares. C’est la réussite paradoxale et
ambigüe du christianisme alors de disparaître en diffusant ses valeurs reconnues par tous.
La
deuxième réponse court le risque d’être comprise comme
celle du groupe fermé, comparable à la secte des purs et des durs. C’est au
fond la réponse de celles et ceux qui se soucient peu de leurs semblables mais
qui se préoccupent de leur vie personnelle de leur salut personnel comme l’on
disait autrefois !
Notre vocation de chrétien serait-elle alors de
choisir entre ces deux pistes ? La place de l’Eglise ressemble t-elle
plutôt au monastère ou bien est-elle à l’image d’autres groupes humains qui se
partagent l’espace social et religieux de notre temps ? En d’autres termes
devons-nous, nous faire remarquer par ce que nous sommes et surtout par ce que
nous croyons ; ou au contraire devons témoigner au compte goutte
c'est-à-dire sans faire de vague excessive et rester dans un relatif anonymat
qui ne gêne personne et qui nous assure une certaine tranquillité ?
Le texte de la rencontre de Jésus
avec le jeune homme riche et les réactions des disciples pourrait être une
tentative de réponses à nos
questions ; et même pourrait être une synthèse des points de vues en
question.
1- Jésus
n’est pas là pour condamner la richesse. Le christianisme n’est pas réduit à un
idéal de pauvreté ; même si, dans son histoire en des temps particuliers,
il y a été contraint tant sa propre richesse matérielle devenait insolente aux
yeux de tous. L’homme rencontré par Jésus n’est pas condamné il est même, ce
qui est rare, déclaré « aimé » par le Christ. « Il le
regarda et il l’aima ». Avant de le rendre triste par la demande d’un acte
de d’abandon, un acte de délestage, cet homme est pris en considération. Cet homme est le représentant
symbolique d’un nouveau mode d’appartenance au christianisme. Il
est le type du nouveau disciple qui ne suit pas en permanence le Maître comme les Douze. Il est le
représentant de celle et ceux qui croisent la route du Seigneur. Presque par
hasard. « Comme il se mettait en route quelqu’un vient en courant et lui
barra la route et se jeta à ses genoux… » Il est le représentant d’une
trajectoire et non d’un cercle.
2- Le
christianisme a une dimension dynamique d’accueil. En chemin.. en marchant..
comme si rien ni personne n’était installé. La rencontre efficace s’opère dans
cette rencontre éphémère où ma question où la question de l’autre est reçue et
accueillie. Même si le résultat n’est pas très important. Même si le résultat
n’est pas pour tout de suite. Ici il n’y a pas conversion mais conversation qui
entraine l’amour du Christ. Au fond faire ce qu’on doit faire, assurer un
service même minimum comme cet homme qui pratique fidèle une partie de la loi
de Moïse, ce n’est pas si mal. A aucun moment Jésus dit que cet notoirement
insuffisant.
3- La rencontre
avec le Christ doit envisager un pas de plus que tous ne peuvent pas réaliser
ou vivre. Un acte de délestage. Un acte de renoncement de ce je possède,
richesse, savoir, conviction, relation. Le « suivre Jésus » (la
Nachfolge de D. Bonhoeffer) implique un
-laisser-là- un dépôt de ce qui encombre ; elle implique une nouvelle
manière de vivre ou de comprendre l’existence renouvelée. Il faut noter que cet
abandon ne vient pas encombrer Jésus lui-même ; ce qui est donné n’est pas
pour le groupe de Jésus, n’est pas pour l’Eglise qui s’enrichirait sans
cesse ; il est pour une autre cause pour un autre organisme au service de
celles et ceux qui manquent vraiment de ce qui est nécessaire.
4- Enfin les
disciples et Pierre toujours à l’affût, représentent l’autre solution, l’autre
modèle d’appartenance celui de la vie radicalement abandonnée et changée pour
vivre avec celles et ceux qui ont fait un choix identique. C’est la solution de
la sauvegarde de l’Eglise pour elle-même.
Cette
notion semble aussi accepter par Jésus lui-même, tout laisser pour recevoir au
centuple. Pierre lui dit : Nous nous avons tout laissé pour te suivre…Les
Douze ont sûrement fait un effort ils ont changé de vie et pourtant cela ne
suffit pas encore ; dans l’ordre du don et du renoncement on n’est jamais
arrivé ; on n’est jamais au bout du compte. Et croire que cela serai
possible c’est finalement croire que nous pouvons nous mêmes réaliser le salut
et faire autrement dit, notre bonheur.
5- Cette
page d’évangile si connue nous dit qu’au fond il ne s’agit pas de choisir entre
deux modèles entre deux solutions radicales celle du tout-venant et celle des
disciples reconnus et officiels. Cette page d’évangile nous interroge sur notre
chemin et sur les rencontres que nous y faisons, celle du Christ parfois et
celles des autres, souvent. Cette histoire de disciples nous invite à réaliser
où nous sommes, dans quel camp, dans quelle catégorie ? Si nous sommes ici
aujourd’hui il y a des chances que nous
sommes du côté des disciples reconnus, du bon côté en quelque sorte mais pas
encore arrivés, pas encore dans la « suivance » du Christ, mais en
chemin. Parmi nous il y a aussi les occasionnels, les provisoires, celles et ceux
qui viennent voir entendre et rencontrer et qui pratiquent déjà une vraie et
bonne morale une vraie obéissance mais qui ne connaissent pas encore le geste
du don, le geste de la dépossession de ce qui encombre nos vies en quête de
bonheur…
Finalement, la communauté de
l’Eglise ne peut pas et n’a pas à choisir ce quelle doit être et ce qu’elle
doit devenir. Elle n’est pas le monastère isolé et abrité des bruits et des
tourments du monde ; elle n’est pas non plus, un groupe quelconque anonyme
qui doit disparaître dans le paysage du monde. La communauté de l’Eglise c’est
une synthèse. C’est au fond le monastère, l’abbaye au cœur de la cité, c’est et
devrait être la possibilité de la rencontre et de l’accueil sans condition des
questions et des remarques des autres ; et la possibilité de donner du
prix et du sens à nos vies en quête de joie et de bonheur.
Il n’y a pas de recette magique
pour passer du « tout triste » à trouver le bonheur véritable ou
découvrir la joie imprenable du royaume !
Il n’y a qu’une rencontre
possible du Christ dans le mouvement de la rencontre des autres et dans le geste
d’abandon de ce que je crois posséder qui conduit à La Sagesse et à la
découverte d’une vraie Parole de bonheur.
Merci Bernard pour cette prédication plus facile à entendre qu'à mettre en pratique.
RépondreSupprimerFraternellement en Christ,
François Girod (Erf Périgueux)