vendredi 13 septembre 2013

Le perdu et le retrouvé !


Lecture : Luc 15 : les 3 paraboles : le perdu et le retrouvé.

Comment revient-on à la vie ? ou de la vie ? Non il ne s’agit pas de penser ou de croire l’au-delà ; il n’est pas question de faire de la métaphysique c’est à dire,  ce qui serait après les réalités concrètes ; il s’agit bien de rester là dans l’en-de çà, c’est à dire parmi nous dans notre monde. On revient en vie et à la vie lorsque la relation est établie et rétablie. La vie revient comme relation essentielle lorsqu’on peut se mettre à table, manger et boire. Autrement dit et avec une autre image : lorsque le courant passe à nouveau entre des personnes. Lorsque la lumière illumine les uns et les autres qui ont le désir de s’approcher à nouveau.  L’Evangile ou la foi chrétienne est là, dans ce mouvement ce désir et cette vie.

Au fond le christianisme est assez simple à énoncer et à comprendre et particulièrement difficile à vivre et à réaliser. On pourrait même dire que nous ne l’avons pas encore vraiment essayé ; on ne s’est pas encore mis réellement à le vivre à grande échelle ; Et il faut bien dire que si pour Dieu, mille ans sont comme un jour, alors nous en sommes seulement au début du deuxième jour.

Oui, il s’agit tout simplement de mettre en route la réalité du christianisme c’est sans doute notre responsabilité principale. Il est nécessaire de nous débarrasser de l’idée que nous sommes une vielle chose en perte de vitesse et qui n’intéresse plus personne. Il faut sans doute renoncer aux formules qui disent que tout cela - nous l’avons déjà fait – et déjà essayer et rien n’est donc possible. Je suis convaincu que nous n’avons pas tout, loin de là, pas tout essayer pas tout réaliser pas tout vécu, pas tout proposer en nous-mêmes comme autour de nous.

Nous connaissons bien l’exemple célèbre, du fils prodigue - le dépensier - qui fait retour sur lui-même et vers les siens. Ou du Père prodigue : le dépensier qui n’hésite pas à tuer le veau gras au retour de l’un des siens. Et dans ce même chapitre 15 de l’évangile selon Luc et de façon originale et unique - car on ne retrouve pas ces textes ailleurs - sont décrites des situations semblables où une réalité précieuse est perdue et retrouvée au prix d’un certain effort au prix d’une recherche. Ce qui est perdu est retrouvé.

Ces récits présentent une réelle progression dans l’esprit du premier siècle de l’ère chrétienne ; d’abord le monde animal, une brebis retrouvée après que le berger eût laissé les 99 autres. Puis le monde humain et féminin : une pièce d’argent perdue par une femme qui cherche partout dans sa maison ; et puis le monde humain et masculin, avec les fils et frères et le pater familias, le chef de la maison, de sa maison. On pourrait d’ailleurs, raconter ces trois histoires en une seule.   Où la même aventure –perdre /retrouver ou mourir/ou vivre – arrive à tous les étages de la maison, à tout le monde : le personnel d’abord, les bergers sont concernés et la gestion des affaires du troupeau c’est l’activité professionnelle ;  mais aussi la femme de la maison est concernée ; on pourrait dire la mère qui gèrent les dépenses de l’entretien de la maison et afin le père qui a en charge comme à cette époque la gestion de la descendance et de la transmission du patrimoine, bref qui s’occupe de l’avenir des enfants. Toute la maisonnée, toute la famille est concernée.

Et l’on n’a pas trouvé mieux que cette réalité familiale pour dire et caractérisée la vie ecclésiale ; la communauté ou l’assemblée de l’Eglise locale comme en son sens plus large est représentée comme une famille. Les membres s’appelleront frères et sœurs, ils auront un seul Père ; cette communauté sera pour les traditions orthodoxes et catholiques une sorte de Mère ; cette appellation sera rejetée, on le sait par les Réformateurs du XVIième siècle. Oui l’Eglise ressemble à une famille ; c’est sans doute aussi pour cela c’est agréable et utile et en même temps assez compliqué. Dans l’Antiquité la famille c’est le socle social par excellence, le lieu de vie indispensable, car sans cela on est comme les veuves et les orphelins sans statuts sans protection ; les communautés chrétiennes élargiront le cadre familial pour y faire entrer ceux qui n’y ont plus droit : veuves, orphelins et esclaves aussi. Ceux qui n’avaient plus de famille en trouveront une, comme cadre protecteur et vital.

Mais en même temps la famille est un cadre oppressif et même dangereux ;  lieux de tous les pouvoirs et de toutes les perversions. Les tragédies comme les comédies de la littérature ancienne et moderne en sont l’illustration. La famille est aussi en évolution ; elle prend aujourd’hui des formes variées, étonnantes parfois, positives et négatives aussi. Bref il n’y a pas de modèle unique, il n’y a jamais eu de modèle simple ; il en est de même pour la vie de la communauté chrétienne et la vie de l’Eglise qui est aussi aujourd’hui appelé à ce transformer à  se remettre en question parfois, bref à exister autrement.

Il s’agit pourtant au cœur de ces évolutions de discerner ce qui demeure principal, ce qui est important ou ce qui est le point fixe qui permet de vivre avec tous les autres repères et qui permet de dire : voilà nous sommes là en connaissance ; nous sommes bien là chez nous ; nous sommes encore et à notre manière l’Eglise de Jésus Christ, la famille chrétienne.

Retrouver la vie ; être dans l’état de celui ou celle qui trouve ce qui était perdu ; aller faire ses expériences et sa vie ailleurs et pourvoir dire ensuite c’est là chez moi ; je me sens accueilli parmi ceux-là ; je fais partie de cette famille.

La vie chrétienne c’est chercher et trouver et continuer de chercher et trouver. Chercher sans cesse est désespérant et épuisant ; trouver sans cesse, c’est être dans l’illusion ou la magie. Vivre l’absence et la présence, c’est participer à la famille de Dieu c’est vivre en Christ.

La vie chrétienne c’est vivre dans l’étonnement ; ne plus être étonné c’est prendre de vivre sous le mode de l’éternel retour et de la banalité de ce qui est toujours le même.

Etre étonné par Dieu d’abord. Ou autrement dit changer nos réflexes, nos idées, nos représentations et nos images toutes prêtes que nous nous faisons de Lui ;

Le pater familias est plutôt un tyran qu’un père affectueux et tendre. Le Père c’est celui qui dit la Loi, qui juge, qui punit et qui récompense. C’est davantage  un père fouettard qu’un père fêtard. Sauf dans la famille du Dieu de Jésus Christ.

La notion de Père est proche finalement de celle de Juge et de tribunal. C’est bien souvent y compris dans l’évangile en particulier celui de Matthieu (ch. 25) l’image du roi qui préside le tribunal surtout à la fin ; le roi et père est celui qui règle les compte. Pas dans la parabole de ce jour : il ne règle pas les comptes il les ouvre. Il aurait pu se risquer à quelques réprimandes justifiées sans doute. Il est affirmation de liberté de gratuité et même plus de dons au-delà même du raisonnable. Avec le Père de la parabole ce n’est pas ce qui est nécessaire qui compte c’est ce qui est en plus ; ce qui déborde ; ce qu’il à son bien son avoir son travail ressemble à sa joie, qui ressemble à la vie nouvelle qui est à nouveau là présente. Lorsque Dieu nous étonne nous sommes dans sa famille.

La relation fraternelle reprend une nouvelle dimension et se recompose dirions-nous aujourd’hui ; ce qui allait de soi ne va plus de soi. Les valeurs naturelles ou plutôt habituelles sont changées ou en train de changer. Là où la parole était impossible entre l’aîné et le père entre les deux frères voici qu’elle se met à exister. Là où on était dans le domaine de l’avoir et les familles c’est bien toujours d’abord du patrimoine ; voici que celui ci devient humain, vivant relationnel. Voici que l’investissement devient relationnel et cela est compliqué, peu évident et en même temps complètement nécessaire. 

La relation avec soi même est aussi changée et en train de l’être. Ce n’est plus l’autre qui dit : tu as péché ; tu as tord ; tu dois te repentir, changer de vie et revenir vers nous, ensuite. Ce ne sont plus les autres ni leurs regards ni leurs paroles qui sont jugent ou qui analysent, c’est ici soi-même. Dans la famille de Jésus chacun reçoit la capacité de l’auto-analyse de soi, du retour sur soi, sur cette introspection qui me fait dire : je sais bien ce que j’ai fait ce que je suis du moins à mes yeux ; je suis et deviens sans cesse toujours plus lucide sur moi-même. Dans la famille nouvelle celle de la vie et de la foi. Ces éléments là, sont à moi et pour moi, ils ne sont en rien le moteur de l’action des autres, ils ne font plus partie des autres et de leurs nouveaux regards. Personne dira : tu as raison, tu t’es repenti tu peux venir. L’autre dira : viens et entre dans ma joie de te voir là de te savoir là et mangeons ensemble ! 

La vie de l’Eglise et de la foi c’est mettre au centre la joie d’une présence. C’est ne pas désespérer d’une absence. C’est se mettre à changer nos images et nos habitudes de penser et de croire. C’est voir l’autre, c’est l’entendre avec un autre regard une autre oreille, une autre main en train de m’inviter.  Dans la parabole de la famille, celle des deux fils c’est aussi celle d’un père nouveau comme Dieu, qui est là pour chacune et pour chacun.

Il nous propose une nouvelle façon de vivre la vie et la foi ; même et surtout si nous avons des habitudes.  Pas seulement parce qu’il nous accueille comme nous sommes mais aussi parce qu’il nous donne la capacité d’être lucide sur nous-mêmes et il nous donne ce nouveau regard, cette nouvelle écoute à l’égard des frères des sœurs des pères et des mères en la foi.

 Car il veut faire avec nous nous toutes choses nouvelles, dans la joie exubérante du partage ; par exemple dans le partage du pain et du vin ; une réalité familiale par excellence : celles et ceux qui,  invités,  partagent la même table.

 
 

lundi 26 août 2013

Noé, fidélité et intelligence

Genèse 8 :

  Or au bout de quarante jours, Noé ouvrit la fenêtre de l’arche qu’il avait faite.

7  Il lâcha le corbeau qui s’envola, allant et revenant, jusqu’à ce que les eaux découvrent la terre ferme.

8  Puis il lâcha la colombe pour voir si les eaux avaient baissé sur la surface du sol.

9  Mais la colombe ne trouva pas où poser la patte ; elle revint à lui vers l’arche car les eaux couvraient toute la surface de la terre. Il tendit la main et la prit pour la faire rentrer dans l’arche.

10  Il attendit encore sept autres jours et lâcha à nouveau la colombe hors de l’arche.

11  Sur le soir elle revint à lui, et voilà qu’elle avait au bec un frais rameau d’olivier ! Noé sut ainsi que les eaux avaient baissé sur la terre.

12  Il attendit encore sept autres jours et lâcha la colombe qui ne revint plus vers lui.


Noé : Une première et éternelle alliance : Voici l’eau qui fait mourir et qui fait vivre, voici la terre lieu indispensable et vital, celle qui est nourricière et que vient rencontrer l’eau qui dérange qui nettoie et qui sera marque et signe éternels de la vie.

1-    Noé, une vieille très ancienne tradition, lue dans l’épopée de Gilgamesh avec Utanapichtim en quête d’immortalité ; la question c’est alors comment durer, comment ne pas mourir alors que tout les éléments sont contraires, hostiles, comment être comme des dieux, des divinités toujours là et dont on ne raconte jamais la mort ; mais seulement le remplacement de l’une par l’autre. L’être humain est-il remplaçable par un autre ?  Une quête encore contemporaine, si l’on regarde des magazines et certaines émissions sur l’allongement de la durée de vie, les pilules de jouvence, les marchands d’éternité sont encore bien là ! Ce vieux texte ne dit pas que l’objectif à atteindre serait une illusoire éternité ou immortalité ou une précaire réincarnation mais l’assurance que l’avenir, est toujours promis. Quoiqu’il arrive Noé aura une suite son âge mythique ne fait rien à l’affaire, ses enfants, les autres plus vastes encore  (comme les femmes de ses enfants sorties de nulle part)  seront son avenir muni d’une promesse qui ne s’éteindra pas.
2-   Cette histoire universelle de Déluge comme menace sur la vie réelle des humains est comprise et interprétée comme un regret de Dieu, comme une colère qui revient sur ce qui a été fait et qui disait que tout fut trouvé bon ; car Dieu vit que cela été bon et même très bon. Comme si Dieu était une personne au grand pouvoir celui de construire et de casser ! un Dieu sujet à des émotions et à des crises ; un Dieu caractériel et enfantin. Cette histoire vient nous dire comme dans un premier moment, une première étape que ce Dieu là ne peut être figée enfermée dans un dogme dans une idée dans une théologie, ni même dans un groupe humain ni même dans la conscience de l’humain. Un Dieu étonnant qui est présent certes quand tout va mal. Et ça nous connaissons, nos contemporains connaissent bien lorsqu’ils donnent acte à Dieu de tout ce qui va mal dans le monde et sur la terre. Comment croire en sa réalité et sa présence en voyant tout ce que l’on voit ? Les guerres, la mort des innocents, les famines, les tremblements de terre et les tsunamis de toutes sortes.  Désormais le regard est porté vers un ailleurs. Le mal ce n’est plus du côté de Dieu, mais si mal il y a, les humains seront responsables. On sait aujourd’hui que bien des catastrophes naturelles sont non le fruit du hasard ni de la volonté de Dieu ou d’un dieu mais de la vie des hommes qui vont sans doute trop loin dans leur gestion du monde et de l’univers, trop loin et trop peu soucieux de la vie de la terre. Ce vieux texte est optimiste du côté de Dieu et pessimiste du coté des humains plutôt enclins au mal dès le départ non à cause d’un autre mais à cause de lui, dès le départ de sa vie porté au mal, dès sa jeunesse !

 
3-   En prolongeant cette idée au fond écologique nous pourrions dire que nous vivons tous dans la même maison, la même oikos et cette maison ressemble à une arche dit le texte. Deux textes de la Bible parle de cette arche (téba : comme une thébaïde !) Celui-ci bien-sûr, et le récit du sauvetage du petit Moïse dans son couffin flottant sur le fleuve, protégé ainsi des eaux. Dieu est le maître de la maison flottante ; il est l’artisan l’architecte l’auteur de ce qui protège et sauve. Il fait faire par des humains ce qui les protège et les sauve. Il fait en sorte que la vie flotte sur les eaux, que la vie et les vivants, émergent de ce qui pourrait les engloutir. Oui la foi, l’espérance d’un seul avec d’autres sauve tous les autres. Oui ce qui est à contre-temps ce qui n’est pas dans l’air du temps construire un bateau sur la terre ferme et loin de la mer ou du fleuve peut sembler un délire et une folie. Et pourtant c’est bien cela qui sauve. Lire la Bible et croire ce qu’elle annonce et ce qu’elle veut, ne va pas de soi ; être chrétiens aujourd’hui, être croyants reliés à d’autres par une institution humaine ne semble pas indispensable notre travail notre engagement ressemble d’un peu loin il est vrai à la construction d’une arche par laquelle Dieu seul vient sauver la vie et les vivants ; la communauté de l’Eglise n’est pas le royaume n’est pas le salut mais son annonce et son anticipation indispensable ; oui c’est une proposition de salut : pas seulement les hommes et les femmes mais les vivants tous les vivants celles et ceux capables de reproduire la vie de se reproduire et de vivre l’éternité du temps dans la suite des générations.
 


4- Le texte du Déluge annonce la bonté de Dieu, sa fidélité à toute épreuve résumée en quelque sorte par un « plus jamais çà ! » Désormais les humains seront responsables des dérèglements de la terre, moi plus jamais je ne frapperai les humains ! Dieu n’est plus le Dieu de la colère ou de la vengeance mais déjà le Dieu de l’amour qui dure malgré tout. Mais en même temps le vieux texte du Déluge et de Noé annonce l’intelligence de l’homme et la piété ou la foi qui se met en marche.
A l’obéissance, la soumission de Noé aux injonctions de Dieu et à ses ordres, voici qu’apparaît son intelligence. Comme pour nous dire : n’attends pas que Dieu te parle : agis, invente, fais valoir de ce que tu as reçu !
 
Noé invente le baromètre ou mieux encore, la mesure ; à la démesure de Dieu ou de la nature, voici l’invention de la mesure ; Noé discerne et détermine l’instrument de mesure. Pour savoir si ça monte ou si ça baisse, il essaie, il envoie, et il sait ; oui un savoir se met en route plus besoin d’attendre les décisions divines on peut désormais piloter et se piloter dans la vie dans l’existence. Oui l’humanité peut grâce à son savoir ses connaissances ses expériences faire face à tout ce qui peut arriver.
Ce texte est un encouragement à la faculté d’entreprendre et de se conduire dans la vie lorsque nous est donné la responsabilité des autres humains. C’est un texte d’espérance et de reconnaissance. L’espérance intelligente et créative d’abord : « Noé tendit la main et voici qu’elle avait au bec un frais rameau d’olivier et Noé sut ainsi que les eaux avaient baissé sur la terre. » (8, 10-11)  La piété, la foi ensuite comme acte de reconnaissance tournée vers le créateur qui nous fait co-créateur avec lui : « Noé éleva un  autel pour le Seigneur et il offrit des holocaustes sur l’autel » (8, 20)
5-   L’association de cette intelligence de Noé et de sa reconnaissance : c’est cela qui change tout. Sa vie sûrement sa responsabilité est désormais sous le regard des autres et de Dieu lui. Cela change Dieu aussi : il ne punira plus de façon générale et absolue ; Dieu n’est plus celui qui fait pleuvoir sur les bons et sécher et rôtir les moins bons ; il fera briller son soleil sur les justes et les injustes dira aussi le NT. La création aussi est renouvelée, recommencée, reprise et pour toujours ; d’autres étapes viendront la compléter et lui donner un sens mais tout est là poser, pour que ça marche.
Comme pour nous dire que l’intelligence seulement, les facultés humaines seules ne sont pas suffisantes pour un monde une maison bien équipée. La piété seule, la religion seule et dominante n’est pas souhaitable  car elle maintien la créature de Dieu dans une soumission infantile et peu créatrice. L’association de l’intelligence de l’humain et sa faculté à dire merci à Dieu à lui être reconnaissant va résolument tout changer : les humains - Dieu et le monde.

La terre, notre veille terre dépend aussi de nous, elle est promise à  la bienveillance de Dieu. Il ne s’agit pas de tout garder en l’état mais d’entrer dans un processus de création et de re-création ou de création continuée qui passe par nous notre intelligence et notre foi mélangée pour toujours cela sera un signe que nous pouvons contrôler et même parfois faire reculer cette méchanceté qui gît au fond du cœur des hommes. Dieu est lucide pour nous et avec nous, Il nous invite – et c’est cela sa patience - à garder et sauvegarder sa création, il nous rend capable d’agir intelligemment d’espérer avec confiance et de croire avec amour.
 
 

jeudi 1 août 2013

Un conservateur habile en rhétorique

Article paru dans "Le Monde" daté vendredi 2 août 2013

Le pape François n'est pas un révolutionnaire




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Olivier Bobineau
     Sociologue
 
Le pape François a donné sa première conférence de presse dans l'avion qui le menait de Rio de Janeiro à Rome dans la nuit de dimanche 28 à lundi 29 juillet. Depuis qu'il occupe le siège de Pierre, il propose une tout autre image de sa fonction que Benoît XVI. Son style est nouveau - langage non magistral, sens de la formule spontanée, simplification du protocole - et surtout il manifeste une plus grande proximité avec " le peuple, à commencer par les plus pauvres et les plus faibles ", sans oublier les jeunes à Rio, qui ont apprécié le changement de ton.
 
Tout le monde reconnaît que le successeur de Pierre est en train d'opérer un changement important dans l'Eglise catholique. D'ailleurs, l'affection populaire le prénomme déjà le " bon pape François " en référence à Jean XXIII qui fit souffler un vent de réforme avec Vatican II (1962-1965).
 
Notre point de vue prend le contre-pied de cette façon de penser. Aucun changement d'importance sur le plan structurel n'est à attendre. Le style nouveau et la mise en scène renvoient à une méthode d'argumentation théologique très ancienne, développée notamment par les jésuites : la casuistique.
 
Conçue comme une forme d'argumentation, la casuistique est un art rhétorique qui confronte le cas particulier et la jurisprudence, d'une part, à un ensemble de principes généraux, d'autre part. Les jésuites s'en emparent au XVIe siècle pour lutter contre la réforme protestante. L'ambition est de convertir en masse à " la vraie religion " en adaptant, autant que faire se peut, les principes originels... sans - trop - en trahir l'esprit.
 
Quatre piliers ou " 4 p " constituent la casuistique jésuite  : proximité, pragmatisme, principe et... performance. Le pape François, premier jésuite à occuper la fonction papale, sait les mettre à l'oeuvre dans notre société par le truchement des médias.
 
La proximité, tout d'abord. La casuistique enseigne qu'il faut être empathique et solidaire des cas particuliers, de ce qui semble petit, marginalisé pour remonter vers le plus général, vers le plus central par touches successives. François ne fait pas autre chose en simplifiant le protocole pontifical, en habitant dans une modeste demeure, en se rendant accessible au peuple.
Solidarité encore avec ce qui est abandonné, lorsqu'il jette une couronne de fleurs dans les eaux de Lampedusa pour commémorer les centaines de migrants naufragés. Solidarité avec les plus humbles et " coup de com " lorsqu'il ne va pas au concert de musique classique donné au Vatican en l'honneur de l'année de la foi, le 23 juin, en déclarant : " Je ne suis pas un prince de la Renaissance, qui écoute de la musique classique plutôt que de travailler. " Il demande non seulement aux jeunes mais aussi aux... journalistes de l'aider à aller dans le sens de " l'empathie " et de " collaborer pour le bien de la société ".
 
Autre pilier, le pragmatisme. S'orienter vers l'action concrète, agir au coeur du monde en mettant au premier plan la pratique plutôt que la théorie, le pape François ne fait pas autre chose quand il revendique sa simplicité et son souci permanent d'aller sur le terrain quitte à créer des bousculades, comme aux Journées mondiales de la jeunesse. Pragmatisme encore, quand on sait qu'avec plus de 7 millions d'abonnés sur Twitter, le " pape courage ", " homme de l'année " - selon l'édition italienne du Vanity Fair - supplante le dalaï-lama, chef spirituel jusque-là le plus populaire sur ce réseau social. Pragmatisme enfin quand il s'attaque à la réforme de la banque du Vatican, instaurant une " enquête de terrain " et déclarant non sans un certain sens de la formule : " Ne vous laissez pas tenter par l'argent. Saint Pierre n'avait pas de compte en banque. "
 
Troisième pilier, le rappel des principes originels. Mariage gay et avortement ? Lors de sa conférence de presse, le pape répond sèchement : " Vous connaissez la position de l'Eglise. " Place des femmes ? " L'Eglise est féminine ", soulignant la primauté de Marie sur l'institution. Le pape ne déroge à ce que les Pères de l'Eglise ont déjà écrit. Ordination des femmes ? Il répond : " Jean Paul II a fermé la porte. " Soit, mais dans la mesure où aucune parole évangélique n'interdit de donner une place prééminente aux femmes dans la communauté des fidèles, pourquoi n'ouvre-t-il pas cette porte ? Homosexualité ? Il considère, en se référant explicitement au Catéchisme de l'Eglise catholique (1992) rédigé par ses deux prédécesseurs, qu'" on ne doit pas marginaliser ces personnes qui doivent être intégrées dans la société ". Cependant, il omet de souligner que ce même ouvrage déclare que " les actes d'homosexualité se présentent comme des dépravations graves ", " intrinsèquement désordonnés ", " contraires à la loi naturelle ". Et si les homosexuels doivent " être accueillis avec respect, compassion et délicatesse ", " ils ne sauraient recevoir d'approbation en aucun cas " (§ 2 357, § 2 358).
 
A priori, le pape actuel ne ferait que s'inscrire dans la continuité de Jean Paul II et Benoît XVI, perpétuant les principes traditionnels de la morale chrétienne. A posteriori, deux indices pourraient signifier un certain retour au conservatisme moral pré-Vatican II.
 
Premier indice, François rappelle régulièrement l'importance du combat des croyants contre " le diable " lors de ses homélies. On retourne cinquante ans en arrière. Second indice : sa sortie contre le lobbying gay. Derrière cette attaque contre le pouvoir d'influence des gays, se trouve " le " modèle du lobbying pour la conscience catholique : la franc-maçonnerie. Or, François, au bout de quatre mois de pontificat, remet au goût du jour cette société secrète, alors que le droit canon de 1983 ne la mentionne pas, pas plus que le Catéchisme de l'Eglise catholique de 1992. Le successeur de Pierre aurait-il peine à masquer sa nostalgie d'un ordre moral disparu dans les sociétés européennes mais pas en Amérique du Sud ?
 
La question se pose d'autant plus que sa communication semble performante, conformément au dernier pilier de la casuistique. N'arrive-t-il pas à convertir, en bon casuiste, à sa vision de l'Eglise observateurs et fidèles, de plus en plus enthousiastes ? Pour notre part, nous attendrons la mise en oeuvre des réformes pour nous prononcer.
 
Olivier Bobineau Sociologue est l’auteur de « L’empire des papes. Une sociologie du pouvoir dans l’Eglise » CNRS Editions 300 p. 22
 
© Le Monde

 

dimanche 21 juillet 2013

Marthe et Marie, ou la grande Réparation !


Lectures : Genèse 14,17-20 : invitation de Melkisédeq et Luc 10, 38-42 : Marthe et Marie

·         Il y a peu de trace de la vie de Jésus  en famille, le fils du charpentier de Nazareth ne se raconte pas et ne présente pas sa famille comme une réalité sacrée et fermée. A contraire on perçoit davantage la structure familiale comme une ouverture nécessaire qui ira même jusqu’à l’affirmation élargie des frères te des sœurs qui sont ceux et celles qui se rassemblement autour de la Parole lue et proclamée.

·         On sait par ailleurs que le clan familial de Jésus a été particulièrement important après sa mort et qu’il a voulu imposer  et presque réussi dans l’affirmation d’une orthodoxie liée dans un premier temps à la communauté juive de Jérusalem avec à sa tête Jacques appelé le frère du Seigneur.

·         Le cercle des Douze deviendra l’autre figure de la réalité familiale, et une troisième étape est constituée par la maison de Béthanie avec Lazare, Marthe et Marie ses sœurs selon la tradition de l’évangéliste Jean, on dirait aujourd’hui que celui qui n’avait pas de lieu où reposer sa tête, avait l’habitude de se poser à Béthanie, avant de reprendre sa marche sur les chemins de Galilée et de Judée : c’était sa famille recomposée.

Le récit de Luc, suit celui que nous avons lu dimanche dernier, le samaritain bienveillant. On peut penser et croire que ce court récit qui culmine dans la dernière réplique de Jésus, est une sorte de correctif, une affirmation qui vient annoncer et dire et redire qu’il n’y a pas dans la tradition chrétienne une seule et unique voie pour réaliser et donner un sens à sa vie. Le texte que l’on lit après celui de ce jour, est le don de la prière, le Notre Père ! Marthe et Marthe entre le samaritain et la prière ! 

Il y a toujours les actifs, les pragmatiques, ceux et celles qui sont dans le concret et par lesquels il se passe des choses celles te ceux qui font avancer efficacement, la réalité de la vie en train de se produire : il faut bien agir pour vivre ; les actifs des temps anciens, de l’Antiquité sont les plus méprisés ; faire ou travailler est associé au statut de l’esclave ; ultérieurement le tiers état sous l’ancien régime sera le lieu de la pratique et de la vie concrète, loin des préoccupations de la noblesse et de clergé. Ce sont aussi parmi cette catégorie là que l’on trouve aussi non seulement des actifs mais aussi des activistes celles et ceux qui accélèrent le mouvement de la vie ou de l’histoire. Au temps de Jésus, nombreux sont ceux qui veulent mettre concrètement dehors ceux qu’ils considèrent comme des envahisseurs des occupants. Les mouvements nombreux de résistances sont à l’œuvre et Jésus ou les premiers chrétiens devront choisir leur camp. Celui de l’attente ou celui de l’action.

Il y a toujours aussi les contemplatifs, les rêveurs, les intellectuels, celles et ceux qui vivent comme on le leur dit parfois, dans un autre monde, celui des idées, des débats des idéologies des religions, des mystiques de toutes sortes, plus que dans la réalité ! Plus que dans la vraie vie. Il y en a qui s’enferment volontairement dans des groupes et communautés, ils vivent selon des règles de vie  très précises, codifiées et obéissent souvent à un chef ; il y en a aussi qui indépendants et peu insérés socialement, vivent seul ou à quelques uns à côté de la vie réelle, on dit qu’ils sont marginaux, il en existe de toutes sortes : leur présence leur mode vie est une critique non violente en général de la société dans laquelle ils se trouvent. Les grandes écoles et leurs membres dans l’empire gréco-romains, les stoïciens, les pythagoriciens, les cyniques, les élèves de Platon et bien d’autres faisaient partie de cette catégorie.

Le christianisme sera compris et va se développer en favorisant les deux modes de vie, les deux comportements. On pourrait dire qu’il ne pourra jamais choisir et que son originalité, sa marque spécifique sera de conjuguer absolument les deux voies complètement reconnues et assumées.

·         Jésus est un fils de charpentier qu’on ne voit pas souvent au travail

·         Paul fabriquant de tentes, drapier, se prévaudra de son travail comme condition de son indépendance

·         Les disciples de Jésus ont laissé une activité concrète pour suivre le Maître et son enseignement

·         Le message de Jésus s’exprime dans un langage accessible et concret voire imagé par exemple celui des paraboles. La dimension matérielle banale « un semeur qui sème » est aussi le support d’une interprétation qui échappe à la réalité racontée.

On pourrait ainsi décrire le christianisme comme une tentative de dire à la fois les deux voies possibles. C’est d’ailleurs le judaïsme de tendance pharisienne qui va donner l’exemple et associer les commandements  dans la vie quotidienne, comment manger se vêtir etc… avec l’idée de plaire et d’obéir à Dieu, non pas seulement de façon spirituelle mais aussi de façon matérielle, réelle, concrète.

Nous ne sommes pas tous des samaritains ; et nous ne sommes pas tous appelés à le devenir ; mais peut être sommes tout à la fois, légiste ou légaliste, prêtre et samaritain. Ces personnages sont des caractères, des orientations des aspirations qui nous composent plus qu’elles nous qualifient. Nous ne sommes ni Marthe ni Marie ; nous ne sommes pas appelés à le devenir ; mais plutôt à stimuler en nous ce qui dort ce qui somnole ce qui est paresseux soit du côté de Marthe soit du côté de et cela n’est pas simple.

Nous aimons bien nous qualifier nous définir et nous enfermer dans un rôle qui nous plaît, nous convient davantage et qui ne nous oblige pas à en sortir. Dire à un agité qu’il est appelé aussi à la méditation n’est pas simple. Dire à un méditatif, qui se contente de peu qu’il est aussi appelé à agir et à produire, à consommer à s’enrichir et à agir avec d’autre, c’est bien complexe. Oui c’est nous ne sommes pas ce que nous sommes et nous plus et autrement que ce que nous donnons à voir et à entendre aux autres.  Oui nous sommes et Marthe et Marie.

Aujourd’hui dans notre culture occidentale, européenne c’est Marthe qui a gagné. L’action en vue de la réussite est une constante de nos sociétés. Produire et faire valoir ce que l’on fait est devenu banal est devenu ce qui identifie la réalité humaine. Le risque est grand chez Marthe ce se justifier le risque est grand chez elle de se comparer avec celle qui est semble t-il toute à son loisir tout à son écoute pour rien de l’autre qui est là.

Peut être qu’une société de samaritains serait dangereuse et n’aurait plus grand sens ni valeur car nous serions ce que nous ferions. Un peu comme la fourmilière qui malgré les apparences n’est pas un modèle libre et responsable d’activités créatrices. Une communauté monastique, une communauté retirée de la vie réelle n’est plus un modèle crédible pour la survie de l’humanité aux prises avec des menaces constantes, internes ou externes.

La relation à l’autre comme la relation au Christ ou à Dieu se vit comme une hospitalité. J’accueille celui par qui je me laisse accueillir. L’hospitalité ne regarde pas à côté et ailleurs, elle ne jalouse pas, elle trouve son sens en elle-même. Il y a sans doute un temps pour tout sous le ciel. Ici avec Marthe et Marie après l’épisode du samaritain, l’écoute celle de la Parole du Maître est essentielle, centrale, première.

·         Les temps personnels de la lecture biblique de la méditation et de la prière restent des bornes des passages obligés chers aux Réformateurs. Ces temps sont nécessaires et ils sont la marque de nos personnalités et de nos libertés sans soumission à un autre ou à une Eglise, car ici l’obéissance est celle rendue à Dieu directement en son Esprit.

·         Le Talmud décrit la réalité du Tikoun, (Rabi Nahman de Breslev)  c’est le temps de la Réparation. Au fond la création n’est pas si bonne  qu’on veut bien le dire et le croire. Il y a des imperfections il y a des réalités à changer modifier réparer. C’est notre travail, si cela a du sens pour nous cela peut devenir notre œuvre et pour cela nous avons à notre disposition quelques outils bien utiles et identifiés et mis à notre disposition. Ce qui va réparer, non pas changer le monde non pas changer de monde mais réparer celui que nous connaissons bien, ce sont Marthe sans Marie et Marie sans Marthe. C’est le samaritain sans le légiste et le prêtre, sans Marthe et Marie.

Participer au Tikoun c’est découvrir ce qui en moi n’était pas évident, Marthe et Marie, ou Abram en train d’inviter un inconnu nommé Melkisédeq.

 

 

 

 

 

vendredi 12 juillet 2013

Fraternité, Liberté, Egalité !


Dimanche 14 juillet 2013 à Monflanquin (Lot et Garonne)


Lectures :
Deutéronome 30, 15-20 :

15   Vois : je mets aujourd’hui devant toi la vie et le bonheur, la mort et le malheur,

16  moi qui te commande aujourd’hui d’aimer le SEIGNEUR ton Dieu, de suivre ses chemins, de garder ses commandements, ses lois et ses coutumes. Alors tu vivras, tu deviendras nombreux, et le SEIGNEUR ton Dieu te bénira dans le pays où tu entres pour en prendre possession.

17  Mais si ton coeur se détourne, si tu n’écoutes pas, si tu te laisses entraîner à te prosterner devant d’autres dieux et à les servir,

18  je vous le déclare aujourd’hui : vous disparaîtrez totalement, vous ne prolongerez pas vos jours sur la terre où tu vas entrer pour en prendre possession en passant le Jourdain.

19  J’en prends à témoin aujourd’hui contre vous le ciel et la terre : c’est la vie et la mort que j’ai mises devant vous, c’est la bénédiction et la malédiction. Tu choisiras la vie pour que tu vives, toi et ta descendance,

20  en aimant le SEIGNEUR ton Dieu, en écoutant sa voix et en t’attachant à lui. C’est ainsi que tu vivras et que tu prolongeras tes jours, en habitant sur la terre que le SEIGNEUR a juré de donner à tes pères Abraham, Isaac et Jacob.

Evangile selon Luc 10, 25-37 :

25  Et voici qu’un légiste se leva et lui dit, pour le mettre à l’épreuve : « Maître, que dois–je faire pour recevoir en partage la vie éternelle ? »

26  Jésus lui dit : « Dans la Loi qu’est–il écrit ? Comment lis–tu ? »

27  Il lui répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée, et ton prochain comme toi–même. »

28  Jésus lui dit : « Tu as bien répondu. Fais cela et tu auras la vie. »

29  Mais lui, voulant montrer sa justice, dit à Jésus : « Et qui est mon prochain ? »

30  Jésus reprit : « Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, il tomba sur des bandits qui, l’ayant dépouillé et roué de coups, s’en allèrent, le laissant à moitié mort.

31  Il se trouva qu’un prêtre descendait par ce chemin ; il vit l’homme et passa à bonne distance.

32  Un lévite de même arriva en ce lieu ; il vit l’homme et passa à bonne distance.

33  Mais un Samaritain qui était en voyage arriva près de l’homme : il le vit et fut pris de pitié.

34  Il s’approcha, banda ses plaies en y versant de l’huile et du vin, le chargea sur sa propre monture, le conduisit à une auberge et prit soin de lui.

35  Le lendemain, tirant deux pièces d’argent, il les donna à l’aubergiste et lui dit : Prends soin de lui, et si tu dépenses quelque chose de plus, c’est moi qui te le rembourserai quand je repasserai.

36  Lequel des trois, à ton avis, s’est montré le prochain de l’homme qui était tombé sur les bandits ? »

37  Le légiste répondit : « C’est celui qui a fait preuve de bonté envers lui. » Jésus lui dit : « Va et, toi aussi, fais de même. »

 
«  Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho… » L’évangile  pourrait être résumé ainsi c’est l’histoire de quelqu’un qui descend et qui est même descendu ! par d’autres ; ignoré par la plupart et soulagé et reconnu par celui qui le fit monter sur sa monture.

Ce texte dit du bon samaritain est particulièrement célèbre, il fut le sujet d’innombrables commentaires, il excita la curiosité et la virtuosité de nombres artistes peintres, sculpteurs et écrivains. C’est même un texte qui est passé dans le langage courant : le bon samaritain c’est le brave type qui force l’admiration, au moment ou d’autres qui auraient dû agir sont défaillants car ils ont passé leur chemin au lieu de voir et d’agir sur le chemin.

Ce texte est accessible à chacun et à tous ; même s’il ne ressemble à aucun autre texte : est-il une parabole ? Mais cela n'est indiqué nulle part ; est-il un cas d’école, sorte d’exemple à l’usage des apprentis maître en loi et en mœurs ? Est-il une création immédiate de Jésus connu de l’évangéliste Luc seulement ? Est-il tout simplement un enseignement fondé sur un fait divers banal et ordinaire ? Comme si Jésus était en train de lire le journal de la veille et comme s’il était agacé par la curiosité et la suffisance dans la foi de ce docteur de la loi ! Il n’est pas nécessaire d’épiloguer beaucoup pour en comprendre le sens principal, résumé dans cette fulgurante parole de Jésus et qui clos le texte : Va et, toi aussi fais de même !

Cette histoire est particulièrement violente, c’est aussi sans doute la raison pour laquelle elle n’a pas été reprise par d’autres évangélistes même si elle était connue. On pourrait dire que le récit du bon samaritain est un pamphlet anti-religieux radical et absolu. Les hommes du Temple quelles que soient leurs fonctions dans le sanctuaire sont disqualifiés dans la compréhension de la vraie foi. Non seulement ils ne comprennent rien ou appliquent encore de vieux préceptes qui les font passer à côté de la réalité, de la vraie vie concrète et religieuse à la fois. Les gens de la religion ne sont pas les plus charitables comme les cordonniers ne sont parfois, pas très bien chaussés, dit-on ! Non seulement ils ne sont pas charitables, mais ils ne servent plus à rien, ils ont été remplacés par d’autres qui sont des laïcs qui ont du bon sens du cœur et le sens de l’organisation.

C’est, me semble t-il, la première leçon forte de ce texte étrange : la foi, la religion, Dieu, l’Eglise ne sont pas des limites authentiques et sûres pour la réalité de l’Evangile de Jésus Christ. Cet évangile est vécu compris dans le geste et l’accompagnement de celui ou de celle qui ne le revendique pas vraiment.

Quelqu’un agit en face d’un autre et cela est suffisant pour que toute la loi de Moïse, l’amour de Dieu et du prochain soit en quelque sorte accomplie au bénéfice de celui qui avait besoin de l’autre de quelqu’un d’autre. 

C’est comme si les services sociaux étaient défaillants et que les associations religieuses ou non, prenaient le relai. C’est souvent comme ça que cela se passe. C’est comme si le pompier ou le médecin n’avait plus le temps ni le goût d’agir et que les gosses des banlieues se mettaient à prendre en charge leurs semblables !

C’est le monde à l’envers ou l’envers du monde que Dieu est venu visiter. Le Christ est aussi un homme qui est descendu sur la route et la vie des hommes et des femmes et beaucoup ont passé leur chemin. Le Christ est présent sur cette route qui est toujours aussi peu sûre entre Jérusalem et Jéricho, cette route s’est allongée et fait le tour du monde habité ; cette route c’est notre route.

C’est curieux cette notion de prochain ; dans l’ancien testament ce mot peut aussi bien être traduit par « autre » dans l’expression, l’un l’autre ; les uns les autres. Le prochain c’est l’autre en face de moi, l’autre que je reconnais comme mon vis-à-vis. Dans l’histoire du voyageur, le regard - vous l’avez sans doute noté – joue un rôle très important. Le prêtre voit l’homme blessé, le lévite voit l’homme blessé et l’homme blessé voit que le prêtre et le lévite le voient et font semblant de ne pas le voir. Peut-être l’homme blessé se reconnaît-il dans ce prêtre et ce lévite et se dit : c’est normal, moi à leur place j’aurai fait de même. Et sans doute le prêtre comme le lévite reconnaissent dans la forme allongée au fond du ravin un être humain semblable à eux. C’est sans doute pour cela qu’ils passent leur chemin, par crainte d’être atteint par une souffrance ou un interdit ou un « je ne sais pas que faire » ou « je ne fais rien pour ne pas avoir d’ennui ». Cet homme est bien leur prochain. Mais eux n’agissent pas comme des prochains, des proches ; comme si le miroir était brisé.


« Sur le visage de n’importe quel humain est inscrite la seule demande       (l’impératif moral) à laquelle la seule réponse possible est : me voici ». Emmanuel Lévinas.


« Me voici » c’est bien ce que diront les prophètes à la suite de Moïse lorsqu’il entend son nom dans le buisson qui ne se consume pas et par où Dieu révèle son nom et son programme de liberté et de fraternité.

 La foi en Dieu, la foi au Dieu de Jésus Christ c’est aussi une morale ; une éthique qui nous font agir et accomplir des gestes et des paroles que d’autres pourraient accomplir ;  mais qui, sur le moment même de l’action disent la présence de l’humain et du divin solidaires et unis dans la banalité de l’existence humaine soudain éclairée et habitée par une présence ccomme une espérance qui dépasse largement ce qui est dit ce qui est fait.

C’est lorsque les croyants reconnaissent en l’autre leur frère et leur sœur qu’ils disent la présence du Dieu de Jésus Christ ; ils affirment alors leur foi qui est comprise, claire et comme évidente.

« Fais-cela et tu auras la vie », avait dit Jésus avant de raconter l’histoire du samaritain et tu n’auras plus besoin, en quelque sorte de poser la question folle et pernicieuse : Qui est mon prochain ?  Mes prochains sont ceux et celles qui me ressemblent ; qui pensent croient et prient comme moi voilà ce dont j’ai envie et voilà ce qui n’est pas possible dans la foi au Christ Jésus. C’est la marque des religieux et des religions d’appeler prochains ceux qui leur ressemblent ; comme si les prochains devenaient nos semblables. Et qui se ressemble, s’assemble. L’assemblée que nous formons rassemblée par la Parole du Seigneur, malgré les habitudes et les relations établies est une communauté de dissemblables et non de semblables et c’est pour cela que nous pouvons vivre la réalité du prochain entre nous et au-delà de notre cercle. 

Qui est mon prochain ? Qui pourrions-nous aider, ne sont plus de bonnes questions. Ces questions sont changées et transformées en de nouvelles questions de nouvelles orientations où l’aide de Dieu devient décisive et active.

Qu’est-ce qui pourrait nous mettre en route, moi qui ne bouge plus ?  Qu’est-ce qui change mon regard sur tel ou tel ? Qu’est qui fait que malgré tous mes doutes, ma timidité, finalement je m’approche. Qu’est ce qui pourrait se faire en moi pour que je retrouve le calme et que je calme mon impétuosité et ma boulimie d’actions qui m’évite de voir tout simplement l’autre tel qu’il est et non pas tel que je voudrais qu’il soit pour moi ou avec moi. 

Ce nouveau regard,  ces nouvelles orientations, ces nouveaux projets, sont la loi de l’amour de Dieu et du prochain, passée au filtre de la personne du Christ Jésus qui vit d’abord ce qu’il propose, et ensuite le à celles et ceux qui se mettent à sa suite. Jésus est devenu le prochain, le proche ; il s’est approché afin que nous puissions nous approcher.

Le test de notre capacité d’actions auprès des autres sera aussi celui de notre capacité, notre aptitude à le recevoir et à l’accepter comme notre prochain ; accepter qu’il s’approche de nous, accepter de nous approcher de Lui : voilà le programme, pour chacune et chacun.