Lecture : Luc 15 :
les 3 paraboles : le perdu et le retrouvé.
Comment revient-on à la vie ? ou de la
vie ? Non il ne s’agit pas de penser ou de croire l’au-delà ; il n’est pas question de faire de
la métaphysique c’est à dire, ce qui
serait après les réalités concrètes ; il s’agit bien de rester là dans
l’en-de çà, c’est à dire parmi nous dans notre monde. On revient en vie et à la
vie lorsque la relation est établie et rétablie. La vie revient comme relation
essentielle lorsqu’on peut se mettre à table, manger et boire. Autrement dit et
avec une autre image : lorsque le courant passe à nouveau entre des
personnes. Lorsque la lumière illumine les uns et les autres qui ont le désir
de s’approcher à nouveau. L’Evangile ou
la foi chrétienne est là, dans ce mouvement ce désir et cette vie.
Au fond le christianisme est assez simple à énoncer
et à comprendre et particulièrement difficile à vivre et à réaliser. On
pourrait même dire que nous ne l’avons pas encore vraiment essayé ; on ne
s’est pas encore mis réellement à le vivre à grande échelle ; Et il faut
bien dire que si pour Dieu, mille ans sont comme un jour, alors nous en sommes
seulement au début du deuxième jour.
Oui, il s’agit tout simplement de
mettre en route la réalité du christianisme c’est sans doute notre
responsabilité principale. Il est nécessaire de nous débarrasser de l’idée que
nous sommes une vielle chose en perte de vitesse et qui n’intéresse plus
personne. Il faut sans doute renoncer aux formules qui disent que tout cela -
nous l’avons déjà fait – et déjà essayer et rien n’est donc possible. Je suis
convaincu que nous n’avons pas tout, loin de là, pas tout essayer pas tout
réaliser pas tout vécu, pas tout proposer en nous-mêmes comme autour de nous.
Nous connaissons bien l’exemple célèbre, du fils
prodigue - le dépensier - qui fait retour sur lui-même et vers les siens. Ou du
Père prodigue : le dépensier qui n’hésite pas à tuer le veau gras au
retour de l’un des siens. Et dans ce même chapitre 15 de l’évangile selon Luc
et de façon originale et unique - car on ne retrouve pas ces textes ailleurs -
sont décrites des situations semblables où une réalité précieuse est perdue et
retrouvée au prix d’un certain effort au prix d’une recherche. Ce qui est perdu
est retrouvé.
Ces récits présentent une réelle
progression dans l’esprit du premier siècle de l’ère chrétienne ; d’abord
le monde animal, une brebis retrouvée après que le berger eût laissé les 99
autres. Puis le monde humain et féminin : une pièce d’argent perdue par
une femme qui cherche partout dans sa maison ; et puis le monde humain et
masculin, avec les fils et frères et le pater familias, le chef de la maison,
de sa maison. On pourrait d’ailleurs, raconter ces trois histoires en une
seule. Où la même aventure –perdre
/retrouver ou mourir/ou vivre – arrive à tous les étages de la maison, à tout
le monde : le personnel d’abord, les bergers sont concernés et la gestion des
affaires du troupeau c’est l’activité professionnelle ; mais aussi la femme de la maison est
concernée ; on pourrait dire la mère qui gèrent les dépenses de l’entretien de
la maison et afin le père qui a en charge comme à cette époque la gestion de la
descendance et de la transmission du patrimoine, bref qui s’occupe de l’avenir
des enfants. Toute la maisonnée, toute la famille est concernée.
Et l’on n’a pas trouvé mieux que cette réalité
familiale pour dire et caractérisée la vie ecclésiale ; la communauté ou
l’assemblée de l’Eglise locale comme en son sens plus large est représentée
comme une famille. Les membres s’appelleront frères et sœurs, ils auront un
seul Père ; cette communauté sera pour les traditions orthodoxes et
catholiques une sorte de Mère ; cette appellation sera rejetée, on le sait
par les Réformateurs du XVIième siècle. Oui l’Eglise ressemble à une
famille ; c’est sans doute aussi pour cela c’est agréable et utile et en
même temps assez compliqué. Dans l’Antiquité la famille c’est le socle social
par excellence, le lieu de vie indispensable, car sans cela on est comme les
veuves et les orphelins sans statuts sans protection ; les communautés
chrétiennes élargiront le cadre familial pour y faire entrer ceux qui n’y ont
plus droit : veuves, orphelins et esclaves aussi. Ceux qui n’avaient plus
de famille en trouveront une, comme cadre protecteur et vital.
Mais en même temps la famille est un cadre oppressif
et même dangereux ; lieux de tous
les pouvoirs et de toutes les perversions. Les tragédies comme les comédies de
la littérature ancienne et moderne en sont l’illustration. La famille est aussi
en évolution ; elle prend aujourd’hui des formes variées, étonnantes
parfois, positives et négatives aussi. Bref il n’y a pas de modèle unique, il
n’y a jamais eu de modèle simple ; il en est de même pour la vie de la
communauté chrétienne et la vie de l’Eglise qui est aussi aujourd’hui appelé à
ce transformer à se remettre en question
parfois, bref à exister autrement.
Il s’agit pourtant au cœur de ces évolutions de
discerner ce qui demeure principal, ce qui est important ou ce qui est le point
fixe qui permet de vivre avec tous les autres repères et qui permet de
dire : voilà nous sommes là en connaissance ; nous sommes bien là
chez nous ; nous sommes encore et à notre manière l’Eglise de Jésus
Christ, la famille chrétienne.
Retrouver la vie ; être dans l’état de celui ou
celle qui trouve ce qui était perdu ; aller faire ses expériences et sa
vie ailleurs et pourvoir dire ensuite c’est là chez moi ; je me sens
accueilli parmi ceux-là ; je fais partie de cette famille.
La vie chrétienne c’est chercher et trouver et
continuer de chercher et trouver. Chercher sans cesse est désespérant et
épuisant ; trouver sans cesse, c’est être dans l’illusion ou la magie.
Vivre l’absence et la présence, c’est participer à la famille de Dieu c’est
vivre en Christ.
La vie chrétienne c’est vivre dans
l’étonnement ; ne plus être étonné c’est prendre de vivre sous le mode de
l’éternel retour et de la banalité de ce qui est toujours le même.
Etre étonné par Dieu d’abord. Ou autrement dit
changer nos réflexes, nos idées, nos représentations et nos images toutes
prêtes que nous nous faisons de Lui ;
Le
pater familias est plutôt un tyran
qu’un père affectueux et tendre. Le Père c’est celui qui dit la Loi, qui juge,
qui punit et qui récompense. C’est davantage
un père fouettard qu’un père fêtard. Sauf dans la famille du Dieu de
Jésus Christ.
La
notion de Père est proche finalement de celle de Juge et de tribunal. C’est
bien souvent y compris dans l’évangile en particulier celui de Matthieu (ch.
25) l’image du roi qui préside le tribunal surtout à la fin ; le roi et
père est celui qui règle les compte. Pas dans la parabole de ce jour : il
ne règle pas les comptes il les ouvre. Il aurait pu se risquer à quelques
réprimandes justifiées sans doute. Il est affirmation de liberté de gratuité et
même plus de dons au-delà même du raisonnable. Avec le Père de la parabole ce
n’est pas ce qui est nécessaire qui compte c’est ce qui est en plus ; ce
qui déborde ; ce qu’il à son bien son avoir son travail ressemble à sa
joie, qui ressemble à la vie nouvelle qui est à nouveau là présente. Lorsque
Dieu nous étonne nous sommes dans sa famille.
La relation fraternelle reprend une nouvelle
dimension et se recompose dirions-nous aujourd’hui ; ce qui allait de soi
ne va plus de soi. Les valeurs naturelles ou plutôt habituelles sont changées
ou en train de changer. Là où la parole était impossible entre l’aîné et le
père entre les deux frères voici qu’elle se met à exister. Là où on était dans
le domaine de l’avoir et les familles c’est bien toujours d’abord du
patrimoine ; voici que celui ci devient humain, vivant relationnel. Voici
que l’investissement devient relationnel et cela est compliqué, peu évident et
en même temps complètement nécessaire.
La relation avec soi même est aussi changée et en
train de l’être. Ce n’est plus l’autre qui dit : tu as péché ; tu as
tord ; tu dois te repentir, changer de vie et revenir vers nous, ensuite.
Ce ne sont plus les autres ni leurs regards ni leurs paroles qui sont jugent ou
qui analysent, c’est ici soi-même. Dans la famille de Jésus chacun reçoit la
capacité de l’auto-analyse de soi, du retour sur soi, sur cette introspection qui
me fait dire : je sais bien ce que j’ai fait ce que je suis du moins à mes
yeux ; je suis et deviens sans cesse toujours plus lucide sur moi-même.
Dans la famille nouvelle celle de la vie et de la foi. Ces éléments là, sont à
moi et pour moi, ils ne sont en rien le moteur de l’action des autres, ils ne
font plus partie des autres et de leurs nouveaux regards. Personne dira : tu as
raison, tu t’es repenti tu peux venir. L’autre dira : viens et entre dans
ma joie de te voir là de te savoir là et mangeons ensemble !
La vie de l’Eglise et de la foi c’est mettre au
centre la joie d’une présence. C’est ne pas désespérer d’une absence. C’est se
mettre à changer nos images et nos habitudes de penser et de croire. C’est voir
l’autre, c’est l’entendre avec un autre regard une autre oreille, une autre
main en train de m’inviter. Dans la
parabole de la famille, celle des deux fils c’est aussi celle d’un père nouveau
comme Dieu, qui est là pour chacune et pour chacun.
Il nous propose une nouvelle façon de vivre la vie
et la foi ; même et surtout si nous avons des habitudes. Pas seulement parce qu’il nous accueille
comme nous sommes mais aussi parce qu’il nous donne la capacité d’être lucide
sur nous-mêmes et il nous donne ce nouveau regard, cette nouvelle écoute à
l’égard des frères des sœurs des pères et des mères en la foi.
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