Lectures : Daniel 7, 13-14 ; Apocalypse 1,
5-8 et Jean 18, 33-38 : Pilate et la
Vérité
« Ce matin je disais à Claudia (Pilate parle à
son épouse) qui se prétend chrétienne, qu’il n’y aura jamais qu’une seule
génération de chrétiens : ceux qui auront vu Yéchoua –Jésus ressuscité.
Cette foi s’éteindra avec eux à la première génération, lorsque l’on fermera
les paupières du dernier vieillard qui aura dans sa mémoire le visage et la
voix de Yéchoua vivant.
-
Je ne serai donc jamais chrétien, Claudia. Car je n’ai rien vu, j’ai
tout raté, je suis arrivé trop tard. Si je voulais croire, je devrais d’abord
croire le témoignage des autres.
-
-Alors peut-être est-ce toi, le premier chrétien ? » lui
dit-elle."
Ainsi s’achève le roman d’Eric-Emmanuel Schmitt
« l’Evangile selon Pilate ». Est-ce pensable que Pilate soit en fait
le premier chrétien ? Bien sûr nous sommes là dans la fiction romanesque
et pourtant cette fiction est stimulante pour la foi. Pilate est bien un
personnage décisif pour la foi des témoins et des témoins écrivains des
évangiles. Il est le personnage qui avec Marie la mère de Jésus, est entré dans
la confession de foi dans le symbole des apôtres : « il a souffert sous
Ponce Pilate » Dire sa foi son résumé c’est alors nommer sans cesse Pilate
qui fait entrer l’épisode de la fin de vie de Jésus dans l’histoire. Comme
Quirinius gouverneur de Syrie et César Auguste avaient ouvert le commencement
de sa vie sous le registre d’un recensement, Pilate est la figure centrale du
procès de Jésus ; il est le bras séculier qui sans grande conviction va
dire et faire des choses essentielles. Pilate est le fonctionnaire qui veut
bien faire et ne veut pas d’histoires dans sa juridiction ; il terminera
son existence et sa carrière sans gloire à Rome ; on peut supposer
seulement mais avec une grande probabilité qu’il n’a jamais oublié cette
rencontre avec le supplicié celui qui avait eu un entretien avec lui juste
avant de mourir. S’est-il souvenu des questions qu’il posa un jour au
supplicié : Qu’as-tu fait ? Es-tu roi ? Qu’est-ce que la
Vérité ?

Il est un personnage comme bien d’autres qui nous
aide à savoir à connaître et à croire la personne même de Jésus le Christ.
L’évangile selon Pilate n’est pas le roman de sa vie à lui, c’est plutôt la
trace de l’identité du Christ en train de se dessiner et d’apparaître comme une
révélation comme une évidence incroyable et pourtant en train de se manifester
dans une rencontre. Dans un entretien comme il y eut l’entretien de Jésus avec
Nicodème, avec la Samaritaine, avec la femme adultère, avec Marthe et Marie et
avec les disciples pour rester dans l’évangile de Jean ou l’ultime entretien de
Jésus sur la croix sera celui avec sa mère et avec Jean, Voici ton fils, voici
ta mère ! Cette grande série
d’entretiens et de personnages nous aident à nous positionner : et toi que
dis-tu que je suis ?
Suis –je pour toi, avec Nicodème, celui qui est venu
dans le monde afin que tout homme qui croit en lui a la vie éternelle ?
Suis-je pour toi, Celui qui doit venir Celui est
attendu et qui m’a dit tout ce qui m’est arrivé avec la Samaritaine ?
Suis-je pour toi Celui qui pardonne et qui renvoie
vers la vie renouvelée, avec la femme adultère ?
Suis-je la résurrection et la Vie et un sujet
d’amour avec Marthe et Marie ?
Suis-je le serviteur qui lave les pieds de ses
disciples ? Suis-je le chemin la vérité et la vie avec Philippe ?
L’évangéliste Jean nous tend des perches, nous
envoie des invitations, nous entraîne à sa suite pour que nous fassions nôtre
ce personnage de Jésus qui circule de personnage en personnages de situation en
situation comme pour atteindre la nôtre.
Les rabbins disaient qu’il y avait 99 manières de
parler et de rencontrer Dieu. On se demande pourquoi une telle variété de
situations ? C’est sans doute pour que chacun puisse nommer Dieu ;
pour que chacun se trouve en situation de vis à vis en situation
d’interlocuteur ; en sachant que la meilleure façon sera bien sur la 100ième
celle que révèlera le Messie lui-même lorsqu’il viendra.
L’auteur Jean celui de l’Apocalypse participe lui
aussi à cet inventaire pour nous faire une place pour nous rendre partenaire :
Jésus le témoin fidèle, le premier né d’entre les morts, le prince des rois de
la terre, Celui qui nous aime. Celui qui est, qui était et qui vient, celui dit
Dieu enfin qui est l’alpha et l’oméga.
Dans cette galerie de portraits dans cet étalage de
propositions de foi concernant la personne de Jésus comme Christ quelle est la
part spécifique de Pilate qui voit les choses et les êtres de l’extérieur
apparemment peu concerné ; comment voit-il Jésus depuis son monde à
lui ?
Comme un roi dérisoire. (Rome depuis l’origine, n’aime pas
la royauté !) Comme une caricature de royauté dont il connaît bien les
attributs et les fastes. Jésus est roi non comme César, il le voit bien ;
mais il dit lui-même que sa royauté n’est pas de ce monde ci et qu’elle
concerne finalement le monde de la vie intérieure et personnelle ; un roi
dérisoire aux normes du monde, un roi qui donne du prix à la vie qui donne du
prix à l’espérance à l’amour qui donne du prix à la vérité. Jésus n’est pas en
compétition avec César comme empereur ; il sera en compétition avec lui
lorsque celui-ci se prendra pour un dieu ; comme avec les idoles, avec
tout ce qui ressemble ou croit ressembler à une divinité idolâtre que les
humains aiment fabriquer. Ces attributs dérisoires de royauté, le manteau de
pourpre comme la couronne même d’épines critiquent, contestent malgré tout, les
pouvoirs qui se croient ultimes et divins.
Pour Pilate Jésus c’est l’Homme, l'humain : Voici l’homme dira-t-il
après l’entretien. On dit qu’il est Dieu qu’il est fils de Dieu ; qu’il
parle avec lui comme avec son Père et voici qu’il est humain très humain trop
humain et cela sera un problème insurmontable et incroyable pour tous, tant
juifs que grecs ou latins. Dans l’humanité de Jésus Pilate découvre que malgré
tout, ce n’est plus une faiblesse mais une force ; sa fragilité est une
résistance. Paul disait déjà que c’est lorsqu’il est faible qu’il se sent fort
de cette faiblesse même.
Enfin pour Pilate, Jésus est celui qui ouvre les
portes de la Vérité. Notre temps est celui, bien souvent de la post-vérité ! Qu’est-ce
que la Vérité ? Comme accéder au fait que la vérité c’est désormais
quelqu’un et non plus une idée, que la vérité c’est ce qui est dit et
écrit ; Pilate est en train de le découvrir ; il dira que ce qu’il a
écrit, restera écrit à savoir que Jésus de Nazareth est le roi des juifs. Il va
découvrir l’autorité de l’écriture lui qui est aussi un auteur du Nouveau
Testament.

Le terme employé dans la langue de l’évangile pour
dire la vérité est un terme qui commence par un « a » un alpha si
vous voulez, un « a » que l’on appelle privatif car le mot qui suit
traduit aussi la réalité de l’oubli. Ainsi la vérité c’est lorsqu’on n’oublie
pas. La vérité c’est le contraire de l’oubli. La vérité de Jésus c’est qu’il se
souvient c’est que nous nous souvenons de lui de ce qu’il a dit et fait. La
vérité de Jésus c’est ne pas oublier ce qu’il a fait en nous et pour nous.
Jésus le Christ dit la vérité de Dieu car il renvoie sans cesse à lui à un
autre que lui-même ; il n’oublie jamais l’autre. Les entretiens de Jésus
avec des personnes sont en vérité car l’autre n’est pas oublié. Le visage
d’autrui, dira pour la tradition juive suivant Lévinas, le visage d’autrui dira
la vérité de Dieu lui-même, comme impossibilité de passer à côté et d’oublier.
Le mot « vérité » en grec comme en hébreu
commence par la première lettre de l’alphabet ; l’écriture est la
possibilité de ne pas oublier car les paroles s’envolent mais les écrits
restent ; écrire composer sa vie sa foi composer une confession de
foi ; dire sa foi sa relation avec Dieu c’est commencer à entrer dans le
monde de la vérité. Pilate ne connaît pas la vérité comme une personne vivante
pourtant il a écrit le début d’une confession de foi devant le personnage
Jésus. Il a commencé seulement il a cru en l’alpha qu’il avait devant lui ;
il n’a pas tout compris, pas tout écrit mais il s’est engagé sur un chemin de
Vérité encore il est vrai, prisonnier de son statut de sa fonction.
Jésus le Christ est un chemin de Vérité de
renoncement à l’oubli ; il est un commencement et une fin ; il est
l’alpha et l’oméga il est - de a à z - ce qui permet de comprendre et de croire
et d’écrire une vie nouvelle ou la faiblesse sera une force ou le dénuement
deviendra richesse ; ou tout ce qui est attendu deviendra réalité ou enfin
la réalité de Dieu sera en proximité avec la vie des hommes et des femmes.
Pilate a dit la vérité partielle sur Jésus ; il
n’a sûrement pas oublié cette rencontre ; son entretien avec Jésus nous
ouvre et nous invite à la confession de l’alpha et de l’oméga pour écrire sans
cesse dans nos vies une parole vraie celle qui n’oubliera pas ; écrire
dans nos vies, une parole de reconnaissance.