Charte pour une parole publique crédible
Nourris par une tradition protestante qui se traduit chez
certains par une conviction religieuse, chez d’autres par une conscience
éthique, chez d’autres encore par une culture du débat et de la liberté de
penser (… ces trois modes n’étant pas cloisonnés) ; également ancrés dans le
paysage laïc français, auquel le protestantisme a lui-même apporté sa
contribution et qu’il ne renie pas ; profondément soucieux des évolutions de
l'espace public de nos démocraties, nous souhaitons mettre en avant les
quelques positions qui suivent.
Ces positions, ou plutôt ces invitations, sont le reflet non
pas d’une naïveté devant la complexité du réel, mais d’un choix : nous choisissons
de penser qu’il est possible de changer nos pratiques individuelles et
collectives, que nous soyons responsables politiques ou simples citoyens, pour
ce qui relève de la parole publique et, ainsi, de transformer le monde
dans lequel nous vivons.
1. Tout d’abord, il nous semble important d’entrer dans
l’espace public avec une vraie sensibilité à la pluralité, cette pluralité
constitutive des sociétés humaines. Personne n’a raison tout seul, il faut «
faire avec » les autres. Alors que nous avons en France une faible culture du «
dissensus », du désaccord honoré comme respectable, fondateur, soutenable,
productif, il nous semble déterminant de mieux soutenir l’entrelacs des
consensus et des dissensus, ce qui doit favoriser la profondeur des
convictions et la qualité du débat.
2. La possibilité même d’une parole politique et, plus
largement, d’une parole publique, fait l’objet de rapports de force, qui ne
peuvent être évités ou effacés. Mais veillons à toujours rééquilibrer ces
rapports, de telle sorte que le plus faible ne soit pas trop faible et que
certaines voix ne soient pas purement et simplement étouffées.
3. Au-delà de tous les discours sur les politiques ou les médias, nous sommes aussi responsables de notre parole, de notre écoute, de notre regard. Prenons donc le temps de différer notre jugement pour chercher à comprendre ce qui est dit sans disqualifier d’avance telle voix ou telle tradition de pensée - avant toute prise de position ou tout engagement.
4. Dans la vie publique, dans les médias, nous considérons comme prioritaire de démanteler les mécanismes d’humiliation et de reconnaître la dignité de l’autre, adversaire ou contradicteur, soit en lui faisant place, soit au contraire en respectant sa discrétion, voire sa volonté d’anonymat. Il en va de la crédibilité de notre propre parole.
5. Parce qu’il n’y a pas d’un côté « la vraie vie », de
l’autre « le virtuel », parce que nous incarnons vraiment l’humanité lorsque
nous sommes cohérents avec nous-mêmes, restons « citoyens » aussi sur Internet
! Élaborons les modalités d’une cyber-civilité et… mettons-les en
pratique.
6. Si la « dénonciation » des injustices et des mensonges,
la « protestation » et la « résistance » sont à la fois nécessaires et
génératrices d’espérance, ne cédons jamais à la tentation d’en faire des
postures de confort. Il nous paraît indispensable de penser ensemble la
critique et la justification, la distance et la participation, en respectant
à la fois la gouvernance et ce qui la met en question.
7. Plus encore, en intériorisant chacun les conflits qui
touchent aux difficultés communes, faisons-nous porteurs des débats
difficiles de notre société - étant assurés que penser soi-même la
pluralité des opinions et des solutions ne s’oppose ni à la conviction ni à la
militance.
8. Être des citoyens, ce n’est pas « consommer » de la
démocratie, c’est la faire vivre pour tous. Soyons donc force de
proposition, là où nous sommes, dans les espaces publics et les lieux de
responsabilité.
9. Face aux emballements médiatiques et quelles que soient nos visions du monde, il revient au politique, mais aussi aux grands groupes de conviction - dont les religions - de ramener à ce qui permet de vivre ensemble, c’est-à-dire de reformuler sans cesse l’ordre de priorité des questions qui sont agitées dans l’espace public.
Ont contribué
à la rédaction de ces éléments : Olivier Abel, Éric Aeschimann, Jean Baubérot,
François Clavairoly, Séverine Daudé, Pierre Encrevé, Isabelle Fiévet-Rossignol,
Catherine Gras, Mathieu Gervais, Philippe Krasnopolski, Christine Lazerges,
José Razafindranaly, Jean-Pierre Rive, Guy Rodet, Patrice Rolin, Laurent
Schlumberger, Didier Sicard, Guénaëlle Thiery.
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