« Un
homme descendait de Jérusalem à Jéricho… » cf Luc 10. L’évangile pourrait être résumé
ainsi : c’est l’histoire de quelqu’un qui descend et qui est même descendu… par
d’autres, ignoré par la plupart et soulagé et reconnu par celui qui le fit
monter sur sa monture !
Ce
texte dit du "bon samaritain" est particulièrement célèbre, il fut le sujet
d’innombrables commentaires, il excita la curiosité et la virtuosité de nombres
artistes peintres, sculpteurs et écrivains. C’est même un texte qui est passé
dans le langage courant : le bon samaritain c’est le brave type qui force
l’admiration, au moment ou d’autres qui auraient dû agir sont défaillants car
ils ont passé leur chemin.
Ce
texte est accessible à chacun et à tous ; même s’il ne ressemble à aucun
autre texte : est-il une parabole, mais cela n'est indiqué nulle
part ; est-il un cas d’école sorte d’exemple à l’usage des apprentis
maître en loi et en mœurs ; est-il une création immédiate de Jésus connu
de l’évangéliste Luc seulement ? Est-il tout simplement un enseignement
fondé sur un fait divers banal et ordinaire ; comme si Jésus était en
train de lire le journal de la veille et comme s’il était agacé par la
curiosité et la suffisance dans la foi de ce docteur de la loi ! Il n’est pas
nécessaire d’épiloguer beaucoup pour en comprendre le sens principal, résumé
dans cette fulgurante parole de Jésus et qui clos le texte : Va et, toi
aussi fais de même !
Cette
histoire est particulièrement violente, c’est aussi sans doute la raison pour
laquelle elle n’a pas été reprise par d’autres évangélistes même si elle était
connue. On pourrait dire que le récit du bon samaritain est un pamphlet
anti-religieux radical et absolu. Les hommes du Temple quelles que soient leurs
fonctions dans le sanctuaire sont disqualifiés dans la compréhension de la
vraie foi. Non seulement ils ne comprennent rien ou appliquent encore de vieux
préceptes qui les font passer à côté de la réalité, de la vraie vie concrète et
religieuse à la fois. Les gens de la religion ne sont pas les plus charitables
comme les cordonniers ne sont parfois pas très bien chaussés. Non seulement ils
ne sont pas charitables, mais ils ne servent plus à rien, ils ont été remplacés
par d’autres qui sont des laïcs qui ont du bon sens du cœur et le sens de
l’organisation.
C’est
me semble t-il la première leçon forte de ce texte étrange : la foi, la
religion, Dieu, l’Eglise ne sont pas des limites authentiques et sûres pour la
réalité de l’Evangile de Jésus Christ. Cet évangile est vécu compris dans le
geste et l’accompagnement de celui ou de celle qui ne le revendique pas
vraiment.
Quelqu’un
agit en face d’un autre et cela est suffisant pour que toute la loi de Moïse,
l’amour de Dieu et du prochain soit en quelque sorte accomplie au bénéfice de
celui qui avait besoin de l’autre de quelqu’un d’autre.
C’est
comme si les états nationaux étaient défaillants et que les associations
religieuses ou non, prenaient le relai, pour prendre soins des réfugiés !
C’est souvent comme çà que cela se passe…
C’est
le monde à l’envers ou l’envers du monde que Dieu est venu visiter. Le Christ est
aussi un homme qui est descendu sur la route et la vie des hommes et des femmes
et beaucoup ont passé leur chemin. Le Christ est présent sur cette route qui
est toujours aussi peu sûre entre Jérusalem et Jéricho, cette route s’est
allongée et fait le tour du monde habité ; cette route c’est notre route
et l’on sait qu’elle peut être périlleuse, elle concerne et traverse la terre
habitée.
C’est
curieux cette notion de prochain ; dans l’ancien testament ce mot peut
aussi bien être traduit par « autre » dans l’expression, l’un
l’autre ; les uns les autres. Le prochain c’est l’autre en face de moi,
l’autre que je reconnais comme mon vis-à-vis. Dans l’histoire du voyageur le
regard - vous l’avez sans doute noté – joue un rôle très important. Le prêtre
voit l’homme blessé, le lévite voit l’homme blessé et l’homme blessé voit que
le prêtre et le lévite le voient et font semblant de ne pas le voir. Peut-être
l’homme blessé se reconnaît-il dans ce prêtre et ce lévite et se dit :
c’est normal, moi à leur place j’aurai fait de même. Et sans doute le prêtre
comme le lévite reconnaissent dans la forme allongée au fond du ravin un être
humain semblable à eux. C’est sans doute pour cela qu’ils passent leur chemin,
par crainte d’être atteint par une souffrance ou un interdit ou un je ne sais
pas que faire ou je ne fais rien pour ne pas avoir d’ennui. Cet homme est bien
leur prochain. Mais eux n’agissent pas comme ses prochains ; comme si le
miroir était brisé.
« Sur le visage de n’importe quel humain est inscrite la seule
demande (l’impératif moral) à
laquelle la seule réponse possible est : me voici » Emmanuel Levina
« Me voici » c’est bien ce que diront les prophètes à la
suite de Moïse lorsqu’il entend son nom dans le buisson qui ne se consume pas
et par où Dieu révèle son nom et son programme
La foi en Dieu la foi au Dieu de Jésus Christ c’est aussi une morale,
une éthique qui nous font agir et accomplir des gestes et des paroles que d’autres
pourraient accomplir, mais qui sur le moment même de l’action disent la
présence de l’humain et du divin solidaires et unis dans la banalité de
l’existence humaine soudain éclairée et habitée par une présence ; une
espérance qui dépasse largement ce qui est dit ce qui est fait. C’est lorsque
les croyants reconnaissent en l’autre leur frère et leur sœur qu’ils disent assurément ;
et parfois sans même le savoir, la présence du Dieu de Jésus Christ ; ils
affirment alors leur foi qui est comprise, claire et comme évidente.
Pendant la deuxième guerre mondiale - nous avons vu cela récemment en
particulier à Yad Vaschem à Jérusalem - des familles protestantes ou autres qui
ont accueillis des enfants juifs - ils auraient pu être musulmans - n’ont
jamais eu le sentiment d’être héroïques ou devenir pas là de super croyants.
Ils ne se sont pas demandés ce qu’on allait en penser et ce que faisaient les
autres, ailleurs. Ils sont devenus des prochains auprès de leurs prochains à
demi-morts ou promis à le devenir ; Ils ont vu dans le miroir de la relation
à l’autre, des enfants et leurs enfants ; ils ont croisé leur route leur
regard, leur foi différente, bref, leur vie sur la route mortelle ils ont dit
la vie et la bénédiction ; Ils se sont fait proches car souvent
confusément d’ailleurs, ils avaient choisi par eux-mêmes dans la dureté de leur
existence la vie, la bénédiction plutôt que la mort et la malédiction. Ce n’est bien sûr que plus tard après-coup
que tout cela prend du sens et du poids et devient pour d’autres des exemples
de foi et de vie.
Fais-cela et tu auras la vie, avait dit Jésus avant de raconter
l’histoire du samaritain et tu n’auras plus besoin, en quelque sorte de poser
la question folle et pernicieuse : qui est mon prochain ? Mes prochains sont ceux et celles qui me
ressemblent ; qui pensent croient et prient comme moi voilà ce dont j’ai
envie et voilà ce qui n’est pas possible dans la foi au Christ Jésus. C’est la
marque des religieux et des religions d’appeler prochains ceux qui leur
ressemblent ; comme si les prochains devenaient nos semblables. Et qui se
ressemble, s’assemble. L’assemblée que nous formons rassemblée par la Parole du
Seigneur, malgré les habitudes et les relations établies est une communauté de dissemblables et non de
semblables et c’est pour cela que nous pouvons vivre la réalité du prochain
entre nous et au-delà de notre cercle.
Qui est mon prochain ? Qui pourrions-nous, aider ? ne sont
plus de bonnes questions. Ces questions sont changées et transformées en de
nouvelles questions de nouvelles orientations où l’aide de Dieu devient
décisive et active. Qu’est-ce qui pourrait nous mettre en route, moi qui ne
bouge plus ? Qu’est-ce qui change
mon regard sur tel ou tel ? Qu’est qui fait que malgré tous mes doutes, ma
timidité, finalement je m’approche. Qu’est ce qui pourrait faire pour que je
retrouve le calme et que je calme mon impétuosité et ma boulimie d’actions qui
m’évite de voir tout simplement l’autre tel qu’il est et non pas tel que je
voudrais qu’il soit pour moi ou avec moi.
Ce nouveau regard, ces nouvelles orientations, ces nouveaux projets,
sont la loi de l’amour de Dieu et du prochain, passée au filtre de la personne
du Christ Jésus qui vit d’abord ce qu’il propose ensuite à celles et ceux qui
se mettent à sa suite. Jésus est devenu le prochain, le proche ; il s’est
approché afin que nous puissions nous approcher.
Le test de notre capacité d’actions auprès des autres sera aussi celui
de notre capacité, notre aptitude à le recevoir et à l’accepter comme notre
prochain ; accepter qu’il s’approche de nous, accepter de nous approcher
de Lui : voilà le programme.
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