Lectures : Néhémie 8, 1-10 et 1 Corinthiens 12, 12-30 et
Luc 1, 1-4 et 4, 14-21
Commencements… « Puisque beaucoup ont entrepris de
composer un récit… il m’a paru bon moi aussi…Il vint à Nazareth… alors il
commença à leur dire : aujourd’hui cette écriture est accomplie… »
C’est
le temps de la déconstruction et voici que commence le temps de la
reconstruction… il faut d’abord commencer par nourrir, héberger, soigner, et il
faudra bien commencer et recommencer à vivre. Il se pourrait que depuis d'évènements dramatiques personnels ou plus politiques nous soyons prompts à un nouveau commencement à un recommencement qui réclame l’aide le
soutien dans le temps, du plus grand nombre.
L’humain,
l’humanitaire c’est toujours un commencement. Nous n’en finissons pas de
commencer et de recommencer. Il se
pourrait que nos vies personnelles comme la vie des peuples et des
civilisations ne soient pas harmonieuses mais plutôt saccadées ; plutôt
dans la discontinuité que dans la continuité. Nous avons acquis par confort et
par habitude, l’idée du temps linéaire, on naît, on vit, on meurt et ça
recommence ou plus exactement au moment où cela se passe cela commence et
recommence ailleurs. Les événements de nos existences nous poussent cependant à
vivre des commencements sans cesse : après un accident, une maladie, un
mariage, un divorce, la venue d’un enfant, la perte ou la redécouverte d’un
travail : tout est propice à comprendre sa vie comme succession de commencements
nouveaux.
Parfois
aussi nos contemporains ne voient pas le lien, ne voient plus ce qui lie et
relie ces commencements ; ils font les choses et vivent une chose l’une
après l’autre sans se poser trop de questions ; ils disent qu’ils vivent
sans se poser trop de questions et font face malgré tout, aux urgences, aux
événements qui surviennent et qui bousculent l’existence des humains et qui
bousculent aussi la réalité tranquille de la nature comme dans l’événement
planétaire que nous vivons.
Peut
être sommes-nous là sur cette terre, pour permettre à d’autres de vivre des commencements.
Il se pourrait que les autres soient là tout simplement pour m’aider à vivre mes
recommencements personnels. Là se tient, je le crois, le mode de fonctionnement
des sociétés humaines : permettre aux individus de ne pas sombrer dans
l’éclatement permanent ou à l’inverse permettre à d’autres d’éviter de se
fondre dans un tout, un magma indifférent où ma vie n’intéresserait plus
personne car elle serait confondue avec toutes les autres.
Paul utilise la parabole du corps, bien connue à son époque
par certains penseurs grecs et romains jusqu’à La Fontaine, pour dire la
vitalité des membres du corps au service et au bénéfice de l’ensemble. Les
pieds sont utiles à la tête et la tête aux pieds ! L’estomac même a besoin
des mains et des pieds ! La réalité de l’Eglise est semblable à ce grand
corps qui devient malade si l’utilité des uns est contestée par la vie ou la
mort des autres. Si la solidarité n’est plus seulement une œuvre de charité
chrétienne ou pas, mais plutôt une nécessité vitale sans laquelle tout est
déréglé et rien de ne devient plus utile et où tout peut tomber dans un
dysfonctionnement anarchique et fou.
Il arriva dans l’histoire que le peuple d’Israël fasse
l’expérience vitale d’un recommencement, pas seulement après la Shoah, comme
après un événement dramatique et mortel mais après un événement plutôt agréable
et positif celui de la libération d’une partie du peuple, avec Cyrus le grand
roi perse qui renvoie on ne sait pas trop pourquoi d’ailleurs, les captifs vers
la liberté et vers Jérusalem pour ceux qui le souhaitaient et le désiraient
comme un vœu de chaque année prononcé sans y croire vraiment et enfin accompli : l’an prochain à Jérusalem ! Ils se mirent
alors à écouter la lecture d’une écriture ancienne d’une vieille loi qui
devenait pour eux structurante dans leur situation nouvelle ; elle venait
mettre de l’ordre dans le désordre et l’exubérance d’une nouvelle installation
dans le pays des ancêtres.
Il arriva aussi dans l’histoire de Jésus sans doute qu’il
commença un jour par assurer le service ordinaire dans une synagogue ordinaire
et voici que d’un seul coup le texte lu, relu, parcouru et entendu bien souvent
devient ce jour-là non plus seulement un texte, mais une parole qui venait
rencontrer la vie saccadée des auditeurs de ce jour nouveau :
« Aujourd’hui cette écriture est accomplie pour vous qui l’entendez » ? Il donnait ainsi une interprétation nouvelle
et radicale : Dieu n’est pas dans le passé de l’écriture d’Esaïe, il n’est
pas dans l’avenir dans le futur espéré ou rêvé, Il est : Aujourd’hui !
Dans une réalisation et un accomplissement au jour le jour comme au temps jadis
de la manne dans le désert. Son geste et sa parole venaient introduire du
désordre dans l’ordre établi. Son interprétation suscitait un commencement
vraiment nouveau pour beaucoup ; ils étaient tournés vers le passé, ils
espéraient dans l’avenir, ils oubliaient le présent difficile à vivre pour le
plus grand nombre.
Il arriva aussi que dans l’existence d’un personnage écrivain
qui s’appelle Luc, l’envie de commencer une rédaction renouvelée des événements
qui l’avaient intéressé et qui s’étaient déroulés dans un passé récent qui
précisément ne passait pas ! Ces événements n’arrivaient pas à devenir un passé !
Ces événements l’aidaient non seulement à vivre et à se repérer dans
l’existence, mais Luc éprouvait le besoin nouveau de les transmettre de les
faire connaître à sa manière qui était nouvelle et originale. Il commençait à
écrire un Evangile ! Il devenait en
nous invitant à l’être à notre tour, il
devenait : serviteur de la Parole. Son écriture, son geste, son souci de
transmettre devenait un service. Son écriture il ne s’en doutait pas allait
être lue et relue par des centaines de générations d’humains comme aucune autre
écriture dans l’histoire de l’humanité.
Nous sommes au bénéfice de ces commencements
de ces moments et de ces gestes fondateurs. Ils nous aident à lire et à vivre
notre présent, à relire notre passé, à nous préparer à l’avenir ; l’Evangile est là
possible pour relire le passé sans crainte et envisager malgré tout, un autre
avenir. Parfois seul le passé nous retient comme une bouée ou un rocher sur
lequel nous nous tenons agrippés. Parfois seul l’avenir nous occupe et nous
préoccupe car nous y voyons le temps et le lieu de celles et ceux qui nous
succèderont un jour.
L’Evangile de Luc, la relecture de la loi par Esdras selon
Néhémie, le commencement de la prédication de Jésus sont là pour faire le lien
dans nos vies entre ce qui nous a précédé ce qui va nous dépasser pour nous
permettre de vivre aujourd’hui et commencer à nouveau
Enfin dans la perspective chrétienne, la prédication pragmatique,
concrète de Jésus en train de se réaliser selon Luc, reste pour nous une orientation
de vie indépassable et une exigence personnelle et communautaire :
·
L’annonce
de l’Evangile à tous et aux plus pauvres
·
L’annonce
d’une liberté et d’une libération pour ceux qui sont dans l’oppression physique,
spirituelle ou sociale
·
L’annonce
d’un temps d’accueil et d’un partage inconditionnels au nom du Seigneur.
On sait que cela ne fut pas une mince affaire pour Celui qui
annonça cela ; le message était déjà porté par d’autres comme Esaïe, il
devenait avec le Christ d’une brûlante actualité.
Le rôle de l’Eglise et des chrétiens aujourd’hui c’est bien
de montrer la toujours brûlante actualité de ce message. Le rôle de la foi en Dieu
c’est de montrer cette actualité du message au cœur de nos existences avant
même de l’annoncer à d’autres et de le vivre avec eux.
L’Evangile de Jésus Christ est un commencement nouveau, neuf.
Il n’est pas répétition. A nous de ne pas le reléguer dans un passé enfoui et
dépassé ni dans un avenir qui ne nous menace plus mais à la redécouvrir comme une irréductible
espérance, au cœur de notre aujourd’hui.
BA
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