samedi 16 février 2013
jeudi 14 février 2013
L'agonie d'un empire malade....Habile geste pour fuir la crise
Paru dans Le
Monde daté du 15/02/2013 page 18.
Des commentateurs et certains
ecclésiastiques considèrent que la démission de Benoît XVI est courageuse et
moderne dans la mesure où le dirigeant romain reconnaît par cet acte qu'il
n'a plus "
la force " de gouverner l'Eglise, ce qui est
rarissime dans l'histoire du catholicisme. En un mot, le capitaine fait
preuve de responsabilité politique en quittant le navire. Notre thèse est
opposée : cette démission montre l'agonie d'un vieil empire qui connaît de
plein fouet une crise majeure du pouvoir. Il convient d'abord de tirer une
leçon politique des trois démissions volontaires antérieures avant
d'apprécier la crise contemporaine du pouvoir catholique, puis de proposer
trois hypothèses quant à l'avenir de l'Eglise.
Première démission, historique s'il
en est : celle du pape Pontien au IIIe siècle. En effet, Maximin le Thrace,
lorsqu'il se fait acclamer empereur en mars 235, tourne le dos à la tolérance
et fait des chefs chrétiens la cible de ses attaques. Arrêté, Pontien est
déporté en Sardaigne. Ne pouvant plus gouverner son Eglise, il renonce à sa
fonction le 28 septembre 235. Cette démission est la première date de
l'histoire pontificale qui est attestée par les historiens du catholicisme.
Deuxième démission, celle du "
pape angélique " Célestin V à la fin du XIIIe siècle. En juillet 1294,
le moine ermite bénédictin Pierre du mont Morrone est élu au siège de Pierre
pour ses qualités spirituelles et personnelles. Mais face à son incompétence,
à sa naïveté - le roi de Naples, Charles II, l'instrumentalise -, il ne peut
plus gouverner et administrer correctement l'Eglise. Après discussion avec
les cardinaux, il donne sa démission le 13 décembre 1294.
Troisième démission et dernière en
date avant celle de Benoît XVI : celle de Grégoire XII au début du XVe
siècle. Alors que la papauté est divisée entre les papes à Rome et les
antipapes avignonnais, trois prétendants peuvent revendiquer le siège
pétrinien. Le concile de Constance (1414-1418), après avoir déposé les
antipapes Jean XXIII et Benoît XIII, obtient in fine la démission de Grégoire
XII pour mettre fin au Grand Schisme d'Occident. Ne pouvant plus gouverner
l'Eglise, il se retire en 1415 et décède en 1417.
La leçon politique de ces trois
démissions volontaires est que l'acte de renonciation est commis à chaque
fois en situation de crise majeure du pouvoir catholique romain. Le premier
pape est chassé par l'empereur et ne peut plus gouverner l'Eglise depuis la Cité
éternelle ; le deuxième se fait manipuler par le roi influent à Rome à
l'époque ; le troisième n'arrive plus à gérer les déchirures internes qui
touchent le gouvernement de l'Eglise lui-même.
Quid alors de la démission de
Benoît XVI ? Les raisons de santé avancées sont l'arbre qui cache la forêt :
comme les trois précédentes renonciations, elle reflète une crise majeure du
pouvoir catholique, mais cette fois-ci, en régime de modernité. Qu'est-ce que
le gouvernement catholique ? Le catholicisme est la conjonction paradoxale de
deux éléments opposés par nature : une conviction - le décentrement selon
l'amour - et un chef suprême dirigeant une institution hiérarchique et
centralisée selon un droit unificateur, le droit canonique. Le Dieu des
coeurs côtoie une machine à dogme centralisatrice. L'anthropologie
catholique, c'est une institution qui essaie de mettre sous son autorité le
coeur des hommes, du ventre de la mère jusqu'au ventre de la terre. C'est
ainsi que l'Eglise catholique passe tous les âges, non sans opposition,
jusqu'à l'entrée des sociétés occidentales dans la modernité. Et là s'arrête
brusquement son développement.
En effet, alors que l'Eglise se
fonde sur une domination du sentiment par l'institution, la modernité reprend
les mêmes contenus mais cette fois-ci en les séparant méticuleusement. La
modernité peut être considérée comme la séparation des instances : séparation
des pouvoirs (législatif, exécutif, judiciaire), séparation des Eglises et de
l'Etat, séparation des sphères privée et publique, séparation des familles,
séparation des sciences et du théologique... Or, cet " art de séparation
" (Michael Walzer) repose sur une séparation
cruciale : la séparation des sentiments individuels et des institutions.
Dès lors, un choc anthropologique
s'opère sous nos yeux : là où l'institution Eglise tente d'encadrer le
sentiment des individus à partir de son centre romain depuis 1 500 ans, la
modernité vient briser les chaînons de tout contrôle institutionnel pour
faire de l'individu un être libre et souverain aspirant à devenir son propre
centre. Aussi le déphasage est-il considérable entre le principe de
gouvernement catholique - hétéronome, centralisateur et hiérarchique - et le
principe de gouvernement moderne démocratique - autonome, pluraliste et égalitaire.
Dès lors, après Benoît XVI, trois
hypothèses sont envisageables. Soit l'Eglise s'ajuste à la modernité - plus
que ne l'a fait Vatican II - en modifiant son mode centralisé et "
moralisant " le contrôle des sentiments des individus, mais peut-elle le
faire au point de défigurer ce qui la constitue ? Soit un gestionnaire -
italien de préférence - confirme le repli identitaire au sein de foyers
catholiques de résistance dans les sociétés modernes et déploie son
gouvernement dans les autres sociétés extra-européennes, où les institutions
sont encore légitimes à encadrer les consciences individuelles. Soit un
personnage doté d'un fort charisme est élu - comme ce fut le cas pour Jean
Paul II -, et le navire catholique tanguera selon le conservatisme de sa
structure et le charisme de son capitaine qui obtiendra, certes, quelques
changements dans l'Eglise, mais sans pour autant changer d'Eglise.
Olivier
Bobineau
Auteur de « L’Empire des papes. Une sociologie du pouvoir dans
l’Eglise »,
CNRS Editions. (à paraître le 7 mars 2013)
|
mercredi 13 février 2013
La prière ...Qui peut dire ce qu'elle est ?
La prière n’est pas
besoin mais désir
Désir de l’autre
Désir d’autre chose
Désir du Tout Autre
La prière c’est d’abord
un acte de présence
Devant Celui qui est ici,
C’est un mouvement de
tout mon être
Vers Celui en qui je crois
C’est un recueillement
intérieur qui rassemble
La vie dispersée – et la ramène
à son Centre.
La prière c’est une
demande qui appelle
Un appel qui espère
Une espérance qui attend.
La prière c’est une
écoute
C’est une antenne qui se déploie
C’est un radar chercheur qui se
tend
La prière c’est le repentir
qui crie miséricorde
L’erreur et le doute qui crient
à l’aide
La faiblesse qui implore la
force.
La prière c’est la
louange qui chante et s’émerveille
De la beauté du monde et des bontés de Dieu
C’est l’action de grâce qui répond à la Grâce
Et rend grâce et dit merci,
C’est la joie du salut et d’être dans Sa main
Et tant aimé de Lui.
La prière c’est le
regard qui contemple l’inconnaissable de Dieu
Le regard sur les hommes comme
les voit Dieu,
Le regard immobile en Dieu.
La prière se déploie
ainsi dans toute la vie. Mouvement qui respire et aspire.
Amour qui lie et relie.
Elle monte la garde
contre Satan
Auprès des biens-aimés
et des être à nous confiés,
Elle veille dans la
nuit de l’épreuve et du malheur
Comme on veille un
malade pour l’assister,
Elle combat avec Dieu
pied à pied,
Le combat des hommes
contre l’Adversaire.
Elle est la science et
la joyeuse confiance
D’être enfants de Dieu
et donc frères de tout homme,
Elle est la joie d’être
collaborateurs au grand Conseil de Dieu
Et serviteurs des
hommes,
Elle est l’honneur
d’être soldats dans le combat de Dieu
Pour Sa victoire dans
le combat des hommes.
Elle est la matrice où
mûrit dans l’homme l’action de l’homme,
La maternité qui couve
dans le monde l’action de Dieu,
La maternelle patience
qui accompagne la foi naissante.
Et que dirais-je
encore ?
La prière c’est un
grand orgue aux multiples registres
Qui remplit de ses ondes la grande
cathédrale,
Et dont le souffleur est l’amour.
La foi est une
forteresse
La prière est sa garnison
L’espérance est un
arbre au printemps
La prière en est la sève.
L’amour est un feu
dévorant
La prière en est la tendresse
Amen ! En vérité.
Antoinette Butte
vendredi 1 février 2013
mardi 29 janvier 2013
Le Combat perdu de l'Eglise....
Par Danièle
Hervieu Léger : Directrice d'études à l'Ecole des hautes études en
sciences sociales (EHESS), sociologue, elle a dirigé, de 1993 à 2004, le Centre
d'études interdisciplinaires des faits religieux (CNRS/EHESS) et a présidé
l'EHESS de 2004 à 2009.
Paru dans Le Monde le12/01/2013
Dans le débat sur le mariage pour tous, il n'est pas étonnant que l'Eglise catholique fasse entendre sa voix. Le soin qu'elle prend d'éviter toute référence à un interdit religieux l'est davantage. Pour récuser l'idée du mariage homosexuel, l'Eglise invoque en effet une "anthropologie" que son "expertise en humanité" lui donne titre à adresser à tous les hommes, et non à ses seuls fidèles. Le noyau de ce message universel est l'affirmation selon laquelle la famille conjugale - constituée d'un père (mâle), d'une mère (femelle) et des enfants qu'ils procréent ensemble - est la seule institution naturelle susceptible de fournir au lien entre conjoints, parents et enfants, les conditions de son accomplissement.
En dotant cette définition de la famille d'une validité "anthropologique" invariante, l'Eglise défend en réalité un modèle de la famille qu'elle a elle-même produit. Elle a commencé de mettre en forme ce modèle dès les premiers temps du christianisme, en combattant le modèle romain de la famille qui s'opposait au développement de ses entreprises spirituelles et matérielles, et en faisant du consentement des deux époux le fondement même du mariage.
Dans ce modèle chrétien du mariage - stabilisé au tournant des XIIe-XIIIe siècles -, le vouloir divin est supposé s'exprimer dans un ordre de la nature assignant l'union à la procréation et préservant le principe de la soumission de la femme à l'homme. Ce serait faire un mauvais procès à l'Eglise que d'occulter l'importance qu'a eue ce modèle dans la protection des droits des personnes et la montée d'un idéal du couple fondé sur la qualité affective de la relation entre les conjoints. Mais la torsion opérée en en faisant la référence indépassable de toute conjugalité humaine n'en est rendue que plus palpable.
Car cette anthropologie produite par l'Eglise entre en conflit avec tout ce que les anthropologues décrivent au contraire de la variabilité des modèles d'organisation de la famille et de la parenté dans le temps et l'espace. Dans son effort pour tenir à distance la relativisation du modèle familial européen induit par ce constat, l'Eglise ne recourt pas seulement à l'adjuvant d'un savoir psychanalytique lui-même constitué en référence à ce modèle.
Elle trouve aussi, dans l'hommage appuyé rendu au code civil, un moyen d'apporter un surplus de légitimation séculière à son opposition à toute évolution de la définition juridique du mariage. La chose est inattendue si l'on se souvient de l'hostilité qu'elle manifesta en son temps à l'établissement du mariage civil. Mais ce grand ralliement s'explique si l'on se souvient que le code Napoléon, qui a éliminé la référence directe à Dieu, n'en a pas moins arrêté la sécularisation au seuil de la famille : en substituant à l'ordre fondé en Dieu l'ordre non moins sacré de la "nature", le droit s'est fait lui-même le garant de l'ordre immuable assignant aux hommes et aux femmes des rôles différents et inégaux par nature.
La référence préservée à l'ordre non institué de la nature a permis d'affirmer le caractère "perpétuel par destination" du mariage et d'interdire le divorce. Cette reconduction séculière du mariage chrétien opérée par le droit a contribué à préserver, par-delà la laïcisation des institutions et la sécularisation des consciences, l'ancrage culturel de l'Eglise dans une société dans laquelle elle était déboutée de sa prétention à dire la loi au nom de Dieu sur le terrain du politique : le terrain de la famille demeurait en effet le seul sur lequel elle pouvait continuer de combattre la problématique moderne de l'autonomie de l'individu-sujet.
Si la question du mariage homosexuel peut être considérée comme le lieu géométrique de l'exculturation de l'Eglise catholique dans la société française, c'est que trois mouvements convergent en ce point pour dissoudre ce qui restait d'affinité élective entre les problématiques catholique et séculière du mariage et de la famille.
Le premier de ces mouvements est l'extension de la revendication démocratique hors de la seule sphère politique : une revendication qui atteint la sphère de l'intimité conjugale et familiale, fait valoir les droits imprescriptibles de l'individu par rapport à toute loi donnée d'en haut (celle de Dieu ou celle de la nature) et récuse toutes les inégalités fondées en nature entre les sexes. De ce point de vue, la reconnaissance juridique du couple homosexuel s'inscrit dans le mouvement qui - de la réforme du divorce à la libéralisation de la contraception et de l'avortement, de la redéfinition de l'autorité parentale à l'ouverture de l'adoption aux célibataires - a fait entrer la problématique de l'autonomie et de l'égalité des individus dans la sphère privée.
Cette expulsion progressive de la nature hors de la sphère du droit est elle-même rendue irréversible par un second mouvement, qui est la remise en question de l'assimilation, acquise au XIXe siècle, entre l'ordre de la nature et l'ordre biologique. Cette assimilation de la "famille naturelle" à la "famille biologique" s'est inscrite dans la pratique administrative et dans le droit.
Du côté de l'Eglise, le même processus de biologisation a abouti, en fonction de l'équivalence établie entre ordre de la nature et vouloir divin, à faire coïncider de la façon la plus surprenante la problématique théologique ancienne de la "loi naturelle" avec l'ordre des "lois de la nature" découvertes par la science. Ce télescopage demeure au principe de la sacralisation de la physiologie qui marque les argumentaires pontificaux en matière d'interdit de la contraception ou de la procréation médicalement assistée. Mais, au début du XXIe siècle, c'est la science elle-même qui conteste l'objectivité de ces "lois de la nature".
La nature n'est plus un "ordre" : elle est un système complexe qui conjugue actions et rétroactions, régularités et aléas. Cette nouvelle approche fait voler en éclats les jeux d'équivalence entre naturalité et sacralité dont l'Eglise a armé son discours normatif sur toutes les questions touchant à la sexualité et à la procréation. Lui reste donc, comme seule légitimation exogène et "scientifique" d'un système d'interdits qui fait de moins en moins sens dans la culture contemporaine, le recours intensif et désespéré à la science des psychanalystes, recours plus précaire et sujet à contradiction, on s'en rend compte, que les "lois" de l'ancienne biologie.
La fragilité des nouveaux montages sous caution psychanalytique par lesquels l'Eglise fonde en absoluité sa discipline des corps est mise en lumière par les évolutions de la famille conjugale elle-même. Car l'avènement de la "famille relationnelle" a, en un peu plus d'un demi-siècle, fait prévaloir le primat de la relation entre les individus sur le système des positions sociales gagées sur les différences "naturelles" entre les sexes et les âges.
Le coeur
de cette révolution, dans laquelle la maîtrise de la fécondité a une part
immense, est le découplage entre le mariage et la filiation, et la
pluralisation corrélative des modèles familiaux composés et recomposés. Le
droit de la famille a homologué ce fait majeur et incontournable : ce n'est
plus désormais le mariage qui fait le couple, c'est le couple qui fait le
mariage.
Ces trois mouvements - égalité des droits jusque dans l'intime, déconstruction de l'ordre supposé de la nature, légitimité de l'institution désormais fondée dans la relation des individus - cristallisent ensemble en une exigence irrépressible : celle de la reconnaissance du mariage entre personnes de même sexe, et de leur droit, en adoptant, de fonder une famille. Face à cette exigence, les argumentaires mobilisés par l'Eglise - fin de la civilisation, perte des repères fondateurs de l'humain, menace de dissolution de la cellule familiale, indifférenciation des sexes, etc. - sont les mêmes que ceux qui furent mobilisés, en leur temps, pour critiquer l'engagement professionnel des femmes hors du foyer domestique ou combattre l'instauration du divorce par consentement mutuel.
Il est peu probable que l'Eglise puisse, avec ce type d'armes, endiguer le cours des évolutions. Aujourd'hui, ou demain, l'évidence du mariage homosexuel finira par s'imposer, en France comme dans toutes les sociétés démocratiques. Le problème n'est pas de savoir si l'Eglise "perdra" : elle a - beaucoup en son sein, et jusque dans sa hiérarchie, le savent - déjà perdu.
Le problème le plus crucial qu'elle doit affronter est celui de sa propre capacité à produire un discours susceptible d'être entendu sur le terrain même des interrogations qui travaillent la scène révolutionnée de la relation conjugale, de la parentalité et du lien familial. Celui, par exemple, de la reconnaissance due à la singularité irréductible de chaque individu, par-delà la configuration amoureuse - hétérosexuelle ou homosexuelle - dans laquelle il est engagé.
Celui, encore, de l'adoption, qui, de parent pauvre de la filiation qu'elle était, pourrait bien devenir au contraire le paradigme de toute parentalité, dans une société, où quelle que soit la façon dont on le fait, le choix d'"adopter son enfant", et donc de s'engager à son endroit, constitue le seul rempart contre les perversions possibles du "droit à avoir un enfant", qui ne guettent pas moins les couples hétérosexuels que les couples homosexuels.
Sur ces différents terrains, une parole adressée à des libertés est attendue. Le mariage homosexuel n'est certainement pas la fin de la civilisation. Le fait qu'il puisse constituer, si l'Eglise n'a pas d'autre propos que celui de l'interdit, un jalon aussi dramatique que le fut l'encyclique Humanae Vitae en 1968 sur le chemin de la fin du catholicisme en France n'est pas une hypothèse d'école.
DHL
mercredi 23 janvier 2013
jeudi 10 janvier 2013
Un peu d'histoire pour mieux comprendre aujourd'hui...
Les
réformateurs et le mariage pour tous au XVIe siècle !
Conférence
de Marianne CARBONNIER-BURKARD, maître de conférences honoraire à l’Institut
protestant de théologie, vice-présidente de la Société d’histoire du
protestantisme français, à la SHPF le mercredi 9 janvier 2013.
Au risque
de décevoir, autant prévenir tout se suite : ni Luther ni Calvin n’ont été des
partisans du « mariage pour tous » au sens qu’a aujourd’hui l’expression dans
le débat politique franco-français, à savoir l’ « ouverture du mariage aux
personnes de même sexe ». Cependant, à la lettre, les réformateurs ont bel et
bien été des champions du mariage pour tous. Je me propose de montrer qu’il ne
s’agit pas là simplement d’un jeu de mot, et qu’un détour par le XVIe siècle
peut donner matière à des considérations actuelles (ou Inactuelles ou
Intempestives). L’éloignement dans le temps permet aussi de suspendre les
passions. Allons-y.
Rendez-vous
à l’hôtel de ville de Zürich, le 29 janvier 1523. A ce
moment, Huldrych Zwingli, prêtre prédicateur de la ville, présente devant les
autorités du canton 67 thèses pour un débat public, une « dispute », en vue
d’une réforme de l’Eglise, sur le fondement de l’Ecriture. Parmi ces thèses,
celle-ci :
Tout ce que Dieu a permis ou n’a pas défendu est juste. C’est pourquoi nous enseignons que le mariage est bon pour tous les humains.
Tout ce que Dieu a permis ou n’a pas défendu est juste. C’est pourquoi nous enseignons que le mariage est bon pour tous les humains.
Cette
proposition apparemment consensuelle était polémique. « Nous enseignons » : ce
sont des contestataires qui parlent. Ils s’opposent entre autres à la norme du
célibat ecclésiastique,
et par là ils mettent en cause la doctrine de l’Eglise, tout l’ordre de l’Eglise.
La source luthérienne, « hérétique » donc, de cette thèse contestataire n’était pas douteuse : depuis quelques mois, des pamphlets venus d’Allemagne circulaient sur ce sujet.
Très vite, le mariage des prêtres, et plus largement la valorisation du mariage, a été l’un des marqueurs de la Réforme protestante.
Il s’agit à la fois de changement dans la doctrine théologique et de changements pratiques.
J’examinerai ces changements sous le double aspect qu’implique la formule « bon pour tous les humains » :
- La valorisation (même la sanctification) du mariage par les réformateurs
Une dissociation entre le mariage et l’Eglise (la désacralisation du mariage) par les mêmes réformateurs
1. La valorisation (sanctification) du mariage
et par là ils mettent en cause la doctrine de l’Eglise, tout l’ordre de l’Eglise.
La source luthérienne, « hérétique » donc, de cette thèse contestataire n’était pas douteuse : depuis quelques mois, des pamphlets venus d’Allemagne circulaient sur ce sujet.
Très vite, le mariage des prêtres, et plus largement la valorisation du mariage, a été l’un des marqueurs de la Réforme protestante.
Il s’agit à la fois de changement dans la doctrine théologique et de changements pratiques.
J’examinerai ces changements sous le double aspect qu’implique la formule « bon pour tous les humains » :
- La valorisation (même la sanctification) du mariage par les réformateurs
Une dissociation entre le mariage et l’Eglise (la désacralisation du mariage) par les mêmes réformateurs
1. La valorisation (sanctification) du mariage
Concernant le mariage, la doctrine de l’Eglise au XVIe siècle reste ambivalente.
Cependant, depuis la fin du XVe siècle, l’air du temps est à la critique de la vie monastique et à une certaine promotion religieuse des laïcs, des « gens mariés ». Erasme y contribue, en particulier dans un ouvrage au parfum de scandale (Encomium matrimonii, 1518), où il raille l’idéal de « virginité » de la vie « religieuse », et loue le mariage, institué par Dieu « au commencement », « grand sacrement », au surplus délicieux et nécessaire au genre humain. Les théologiens de Louvain froncent les sourcils. Erasme esquive, prétendant pour sa défense qu’il s’agit un simple essai de rhétorique.
Luther, lui, tout professeur de théologie qu’il est, religieux et prêtre (mais excommunié depuis 1521) ne s’embarrasse pas des précautions de l’humaniste. Après avoir critiqué les vœux monastiques, Luther publie, en 1522, un petit traité au sujet De la vie conjugale1. En fait un sermon : Luther prêche la parole de Dieu. Dans la Genèse, aussitôt après avoir créé l’homme, Dieu dit : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul, je veux lui faire une aide à ses côtés » (Gen. 2, 18) : ce sera Eve, tirée de la côte d’Adam ; au premier homme et à la première femme, Dieu dit : « Soyez féconds et multipliez » (Gn 1,27). Cette parole, écrit Luther, est plus qu’un commandement, c’est « une œuvre divine qu’il ne nous appartient pas d’empêcher ou de négliger, mais qui est aussi nécessaire que le fait que je sois homme ». C’est ainsi que Dieu a institué le mariage, l’union de l’homme et de la femme, et l’a déclaré « bon ». Cet ordre bon de la Création n’a pas été remis en cause par la Chute ; il n’est pas devenu un moindre mal, un simple « remède au péché » (ce qu’il est aussi, car il canalise les débordements de la sexualité naturelle) ; il reste « l’état que Dieu a institué et dans lequel il a placé sa Parole et son bon plaisir, qui rendent saintes, divines et précieuses les œuvres, la vie même et les souffrances de cet état ».
Le mariage est bon en lui-même, dans sa quotidienneté triviale. Luther se met à la place d’un père qui prie en ces termes :
Ô Dieu ! Parce que je suis certain que tu m’as fait homme et que c’est de mon corps que tu as engendré l’enfant, je sais aussi avec certitude que cela te plaît par dessus toutes choses et je te confesse que je ne suis pas digne de bercer le bébé ni de laver ses couches ni de prendre soin de lui et de sa mère…
Et Luther
commente :
Si un homme se mettait à laver les
couches ou à s’acquitter auprès de son enfant de quelque autre tâche
méprisable, et si tout le monde se moquait de lui et le tenait pour un sot et
pour un homme efféminé, alors qu’il agit uniquement (…) dans la foi chrétienne
; dis-moi, mon cher, qui aurait, ici, le plus sujet de se moquer de l’autre ?
Et Dieu rit avec tous les anges et toutes les créatures, non pas de ce qu’un
homme lave les couches, mais de ce qu’il le fait dans la foi… 3.
Pour
Luther, le mariage et la famille deviennent modèles de la « perfection
chrétienne ». Il sont en effet le lieu de la vraie foi (autrement dit la
confiance dans la Parole), et l’accomplissement de l’œuvre divine de la
création ; alors que les vœux monastiques et la règle du célibat, loin de la
parole de Dieu, ne sont que des inventions des hommes. Mariage et famille sont
aussi le lieu de la vraie pureté, la vraie chasteté, contre la pseudo-chasteté
« des nonnes et des moines ». Luther souligne le renversement opéré dans la
hiérarchie traditionnelle des états de vie : « J’ai voulu m’opposer aux
blasphémateurs qui rabaissent l’état conjugal tellement loin derrière l’état
virginal… Aux yeux de Dieu, écrit-il, on n’a le droit de placer aucun état
au-dessus de l’état conjugal ». Il pousse l’audace jusqu’à placer la famille
naturelle, même celle d’une prostituée, au-dessus de l’état ecclésiastique.
Le traité de Luther De la vie conjugale connut un succès foudroyant.
On retrouve d’ailleurs ses thèmes, la polémique contre le vœu de célibat, de pair avec la louange du mariage, chez les prédicateurs « évangéliques » dans l’Empire et en Suisse, dans les années 1520-1535 (en particulier chez Zwingli, et en Suisse romande chez Guillaume Farel).
Il ne s’agissait pas seulement de discours.
Le traité de Luther De la vie conjugale connut un succès foudroyant.
On retrouve d’ailleurs ses thèmes, la polémique contre le vœu de célibat, de pair avec la louange du mariage, chez les prédicateurs « évangéliques » dans l’Empire et en Suisse, dans les années 1520-1535 (en particulier chez Zwingli, et en Suisse romande chez Guillaume Farel).
Il ne s’agissait pas seulement de discours.
Le 9
novembre 1523, Antoine Firn, de Haguenau, curé de la paroisse Saint –Thomas à
Strasbourg (curé concubinaire, comme la plupart de ses collègues à Strasbourg),
faisait célébrer son mariage à la cathédrale. Le curé Matthieu Zell
prononça le sermon et termina par cette exhortation :
Cher Antoine, sois sans crainte, car tu es bienheureux de rompre par cet acte avec l’Antéchrist [l’Eglise romaine qui s’oppose à l’Evangile par ses interdits]. Tu as pour toi Dieu et sa Parole ! ne t’inquiète pas de l’opinion des hommes ; l’un blâme, l’autre loue. Ne t’inquiète pas non plus de ce qui pourra t’en advenir de pénible : toutes choses tourneront à ton bien. Tu serais expulsé, tu serais condamné à périr ; ni l’exil, ni la mort ne peuvent rien sur toi : tu fais ce que Dieu t’a commandé de faire contre son ennemi, contre l’Antéchrist ; sois sans crainte !
On perçoit la fièvre eschatologique, liée à l’angoisse de ce moment de transgression publique de la tradition de l’Eglise. Grand scandale à l’évêché.
A cette époque, les mariages publics de prêtres et de religieux se multiplient, devenant la modalité usuelle du passage à la Réforme évangélique.
Ces mariages ont été le signal concret d’un nouvel ordre du monde chrétien, visible de tous, même les non-lettrés. Bien des laïcs qui fermaient les yeux sur les concubinage des prêtres ont été choqués par cette violation inouïe d’un ordre considéré comme sacré.
Parmi ces laïcs, je pourrai citer Florimond de Raemond, un magistrat bordelais, auteur de l’histoire de « l’hérésie de ce siècle » (la Réforme protestante). Il écrit à la fin du XVIe siècle (donc déjà à distance des événements) : il raconte avec horreur le mariage de Luther avec une nonne échappée du couvent (tout un chapitre sur le sujet), et plus loin il décrit les changements en Suède à l’arrivée des prédicateurs luthériens :
Cher Antoine, sois sans crainte, car tu es bienheureux de rompre par cet acte avec l’Antéchrist [l’Eglise romaine qui s’oppose à l’Evangile par ses interdits]. Tu as pour toi Dieu et sa Parole ! ne t’inquiète pas de l’opinion des hommes ; l’un blâme, l’autre loue. Ne t’inquiète pas non plus de ce qui pourra t’en advenir de pénible : toutes choses tourneront à ton bien. Tu serais expulsé, tu serais condamné à périr ; ni l’exil, ni la mort ne peuvent rien sur toi : tu fais ce que Dieu t’a commandé de faire contre son ennemi, contre l’Antéchrist ; sois sans crainte !
On perçoit la fièvre eschatologique, liée à l’angoisse de ce moment de transgression publique de la tradition de l’Eglise. Grand scandale à l’évêché.
A cette époque, les mariages publics de prêtres et de religieux se multiplient, devenant la modalité usuelle du passage à la Réforme évangélique.
Ces mariages ont été le signal concret d’un nouvel ordre du monde chrétien, visible de tous, même les non-lettrés. Bien des laïcs qui fermaient les yeux sur les concubinage des prêtres ont été choqués par cette violation inouïe d’un ordre considéré comme sacré.
Parmi ces laïcs, je pourrai citer Florimond de Raemond, un magistrat bordelais, auteur de l’histoire de « l’hérésie de ce siècle » (la Réforme protestante). Il écrit à la fin du XVIe siècle (donc déjà à distance des événements) : il raconte avec horreur le mariage de Luther avec une nonne échappée du couvent (tout un chapitre sur le sujet), et plus loin il décrit les changements en Suède à l’arrivée des prédicateurs luthériens :
Ce fut un étrange mélange de mariages
infames, & incestueus, qu’on vid partout, odieus au Ciel & à la terre.
Personnes dignes de foy de ce païs-là ont écrit que l’Archevéchesse de Stocolme
à sa premiere grossesse, s’accoucha d’un grand nombre de grenouilles, & une
autre Prétresse au lieu d’un enfant eut une guenon….Bref, le
monde à l’envers (tout de même un peu exagéré).
A vrai
dire, déjà autour de 1530 la polémique contre le célibat ecclésiastique passe à
l’arrière-plan dans les territoires passés à la Réforme, mais la promotion du
mariage pour tous ne faiblit pas, diffusé par les catéchismes protestants et la
prédication. Partout est enseigné que la vie conjugale est pour tous les
humains le modèle de la vie bonne voulue par Dieu.
C’est ce que martèle le Grand catéchisme de Luther (un catéchisme à l’usage des pasteurs et des maîtres) : Le mariage est « l’état le plus universel, le plus noble qui soit répandu dans toute la chrétienté, voire dans le monde entier ».
Si le mariage est « l’état le plus universel », c’est bien qu’il n’est pas un sacrement de l’Eglise.
C’est ce que martèle le Grand catéchisme de Luther (un catéchisme à l’usage des pasteurs et des maîtres) : Le mariage est « l’état le plus universel, le plus noble qui soit répandu dans toute la chrétienté, voire dans le monde entier ».
Si le mariage est « l’état le plus universel », c’est bien qu’il n’est pas un sacrement de l’Eglise.
2. La
dé-sacramentalisation du mariage par les réformateurs
Dès 1520, Luther a fait sienne la critique lancée par Erasme, à propos du passage de l’épître aux Ephésiens (Ep 5, 32) toujours cité pour justifier le mariage comme l’un des sacrements de l’Eglise : « Les deux seront une seule chair, c’est là un grand sacrement ».
C’est à tort que la Vulgate traduit le grec « mysterion » par « sacramentum » et à tort que les théologiens ont appliqué le mot au mariage. De plus, ce qui fait le sacrement, selon Luther, c’est la promesse de grâce de Dieu et un signe établi par Dieu. Or le mariage n’a ni promesse de grâce ni signe établi de Dieu. Ces points d’exégèse et de théologie étant réglés, reconnaissons, dit Luther, que le mariage des « infidèles » n’est pas moins vrai, pas moins saint, que celui des chrétiens (à soutenir le contraire, nous nous exposerions « au rire des infidèles »).
La critique du sacrement de mariage est reprise par tous les réformateurs, avec les mêmes arguments.
Sur cette base, Bucer, le réformateur de Strasbourg, repense l’institution du mariage6 à l’aide des catégories du droit romain impérial (reprises par les canonistes, mais Bucer veut retourner aux sources ; il présente le droit romain comme l’expression du « droit naturel ») : le mariage n’est pas un « contrat-sacrement » comme le soutiennent les canonistes, mais un pur « contrat entre un homme et une femme qui consiste en une totale communauté de vie en toutes choses divines et humaines », sous tendue par l’ « affection conjugale », càd une « ardente » « affection et charité mutuelle ». Le mariage des chrétiens le même que celui que Dieu a institué à la Création pour tous les hommes, est donc le mariage monogame par échange des consentements d’un homme et d’une femme et cohabitation.
Le socle du droit naturel (droit romain) déclaré conforme à l’Ecriture, permet à Bucer et aux protestants humanistes de couper court à des tentatives marginales de « radicaux » pour légitimer, Bible en main, des formes extrêmes de « mariages pour tous » :
L’opposition
des réformateurs au mariage sacrement, contre toute la tradition de l’Eglise
depuis au moins le XIIe siècle, devait déclencher les foudres du Concile de
Trente contre les « hérétiques » protestants (en 1547 puis en 1563) : le
concile réaffirme le mariage comme sacrement, et la compétence exclusive de
l’Eglise sur les affaires de mariage.
On
comprend que la novation doctrinale de Luther était politiquement sensible.
Dès lors que le mariage n’est plus considéré comme un sacrement , il ne relève plus du droit canonique, ni des juridictions ecclésiastiques. Son fondement dans la parole de la Genèse, pour l’humanité entière, fait rentrer le mariage dans le champ des « affaires temporelles ». Pour Luther, pour Melanchthon, pour les théologiens et juristes protestants de l’Empire, le mariage est « chose politique et civile ». Aux autorités politiques de légiférer sur les mariages, les conditions de la formation du lien et de sa dissolution. A des magistrats le soin de régler les contentieux du mariage.
Pour Calvin aussi, à Genève, la compétence de l’Etat est de droit en matière de mariage (compétence législative et judiciaire).
Touchant les différents en causes matrimoniales pource que ce n’est pas matière spirituelle, mais mêlée avec la politique, cela demeurera à la Seigneurie. Ce néanmoins avons avisé de laisser au Consistoire la charge d’ouïr les parties, afin d’en rapporter leur avis au Conseil8.
Dès lors que le mariage n’est plus considéré comme un sacrement , il ne relève plus du droit canonique, ni des juridictions ecclésiastiques. Son fondement dans la parole de la Genèse, pour l’humanité entière, fait rentrer le mariage dans le champ des « affaires temporelles ». Pour Luther, pour Melanchthon, pour les théologiens et juristes protestants de l’Empire, le mariage est « chose politique et civile ». Aux autorités politiques de légiférer sur les mariages, les conditions de la formation du lien et de sa dissolution. A des magistrats le soin de régler les contentieux du mariage.
Pour Calvin aussi, à Genève, la compétence de l’Etat est de droit en matière de mariage (compétence législative et judiciaire).
Touchant les différents en causes matrimoniales pource que ce n’est pas matière spirituelle, mais mêlée avec la politique, cela demeurera à la Seigneurie. Ce néanmoins avons avisé de laisser au Consistoire la charge d’ouïr les parties, afin d’en rapporter leur avis au Conseil8.
Donc à
Genève, le consistoire, organe de l’Eglise composé de pasteurs et de
magistrats, joue-t-il un rôle important dans les affaires de mariage, mais un
rôle moral, infra-judiciaire. Ce sera le cas aussi dans les nouvelles Eglises
réformées en France, légalisées par l’édit de Nantes, tenues d’observer le
droit canonique, seul compétent dans le royaume en matière de mariage. Les
Français n’avaient pas le choix.
Dans les
territoires protestants tant luthériens que réformés, une fois le droit
canonique aboli, un nouveau droit a été reconstruit par les magistrats,
s’inspirant des réformateurs, avec parfois la collaboration directe des réformateurs.
Quels ont été les traits de cette « réformation » du mariage ? Ils sont de plusieurs sortes :
Quels ont été les traits de cette « réformation » du mariage ? Ils sont de plusieurs sortes :
les causes d’empêchements du droit
canonique, tellement nombreuses et sources de revenus pour l’Eglise, via le
système des dispenses- sont drastiquement limitées : parenté par le sang [≠
jusqu’au 4e degré canonique : petits-enfants de cousins] et par l’alliance (
limités à ceux de Lv 18= entre ascendants et descendants en ligne directe,
frères et sœurs, beaux-frères et belles-soeurs) ; parenté spirituelle
(supprimé) ; ordres sacrés et vœux (supprimés) .
Voilà qui va encore dans le sens du mariage pour tous.
[de même l’empêchement des « temps clos » (avent et carême) est supprimé]
Voilà qui va encore dans le sens du mariage pour tous.
[de même l’empêchement des « temps clos » (avent et carême) est supprimé]
Sur ce plan, le mariage des protestants apparaît moins « libéral » que celui des canonistes classiques : la doctrine canonique, non sans hésitations sur le rôle du prêtre dans le sacrement de mariage, était arrimée au droit romain de l’Empire, purement consensualiste (« L’échange des consentements fait les noces »), avec les inconvénients du défaut d’une publicité obligatoire : « mariages clandestins », risque de bigamie.
Au XVIe siècle, en France notamment, les élites et la bourgeoisie contestaient cette vieille doctrine qui favorisait les « mariages clandestins » au détriment de la puissance paternelle et de l’intérêt de la société. Les protestants ont été bien sûr du côté des modernes, en l’occurrence du côté des pères contre l’Eglise.
Sous la pression des gallicans, le concile de Trente, en 1563 (décret Tametsi ), fera aussi du consentement des parents, ainsi que des bans et de la célébration à l’église une condition de validité du mariage.
Comme ce nouveau droit canonique de l’Eglise catholique, les ordonnances politiques des luthériens et des réformés (aussi de l’Eglise d’Angleterre) prévoient les bans et la cérémonie publique à l’église, réglée par une liturgie célébrée par le pasteur, conditionnent aussi de la validité du mariage. Cependant ces cérémonies dérivées de la cérémonie médiévale, suivies de l’enregistrement, n’impliquent pas une autonomie de l’Eglise en matière de mariage (même si la symétrie avec la cérémonie canonique est facteur d’ambigüité).
Bucer est allé le plus loin, à la fois dans l’analyse du divorce et dans sa libéralisation : il relit en exégète les Evangiles avec l’Ancien Testament, le droit romain, la valeur de l’ « équité « ; il conclut - que Jésus Christ n’a pas aboli le divorce juif (Mt 19, 7-9) ; - que si la « communauté d’affection » n’existe plus entre époux, le mariage n’existe plus, ce qui autorise à le rompre formellement ; - enfin que le remariage est autorisé « à tous vivans », même aux conjoints coupables, puisque , selon l’apôtre Paul, « il vaut mieux se marier que brûler » (I Co 7,9). Encore une propagande de théologien pour le mariage pour tous ?
Sans être aussi extensif que dans le modèle de Bucer, le divorce mis en usage sous l’impulsion des réformateurs devait être pour plusieurs siècles une ligne de démarcation entre pays protestants et pays catholiques. L’institution du divorce est bien l’indice d’une sécularisation du mariage, même si celle-ci, au XVIe siècle, est encore dans le cadre d’un Etat chrétien, autrement dit d’une Eglise d’Etat.
***
Je conclus.
Parce qu’il était l’état des laïcs, le mariage a été l’un des révélateurs de la révolution luthérienne au XVIe siècle. Sur ce terrain, les réformateurs ont accéléré, parfois lancé, un bouleversement de représentations, de symboles, de pratiques vénérables, voire sacrées. Ils ont osé proclamer en langue du peuple des nouveautés distillées par Erasme : la sainteté du mariage, comme l’ordre bon de la Création, - le mariage pour tous, qui va de pair avec la désacramentalisation du mariage. Ouvrant la porte à une sécularisation du mariage, les réformateurs ont entraîné à leurs côtés des juristes et des politiques, tout en suscitant des affrontements violents, jusqu’à cliver durablement les pays d’Europe.
Contrecoup des guerres de religion du XVIe siècle, l’existence de minorités confessionnelles à l’intérieur d’un Etat, a indirectement contribué à étendre la sécularisation du mariage. Ainsi en France, après la révocation de l’édit de Nantes, des juristes gallicans, lecteurs de Grotius et autres jurisconsultes protestants de l’Ecole du droit naturel, ont imaginé un modèle de mariage civil pour les « non-catholiques » du royaume : c’est l’édit de 1787, qui sur le point du mariage préfigure la loi de septembre 1792 instituant le mariage civil, et à sa suite, sous la plume de Portalis, le Code civil de 1849.
Je conclus.
Parce qu’il était l’état des laïcs, le mariage a été l’un des révélateurs de la révolution luthérienne au XVIe siècle. Sur ce terrain, les réformateurs ont accéléré, parfois lancé, un bouleversement de représentations, de symboles, de pratiques vénérables, voire sacrées. Ils ont osé proclamer en langue du peuple des nouveautés distillées par Erasme : la sainteté du mariage, comme l’ordre bon de la Création, - le mariage pour tous, qui va de pair avec la désacramentalisation du mariage. Ouvrant la porte à une sécularisation du mariage, les réformateurs ont entraîné à leurs côtés des juristes et des politiques, tout en suscitant des affrontements violents, jusqu’à cliver durablement les pays d’Europe.
Contrecoup des guerres de religion du XVIe siècle, l’existence de minorités confessionnelles à l’intérieur d’un Etat, a indirectement contribué à étendre la sécularisation du mariage. Ainsi en France, après la révocation de l’édit de Nantes, des juristes gallicans, lecteurs de Grotius et autres jurisconsultes protestants de l’Ecole du droit naturel, ont imaginé un modèle de mariage civil pour les « non-catholiques » du royaume : c’est l’édit de 1787, qui sur le point du mariage préfigure la loi de septembre 1792 instituant le mariage civil, et à sa suite, sous la plume de Portalis, le Code civil de 1849.
La mémoire
de toutes ces grandes batailles qui ont conduit au mariage civil, le mariage
pour tous, sans distinction de religion, de parti ou de race, empêche de rester
sourd aux voix de nouveaux changements dans l’institution du mariage. Même aux
voix d’un changement qui touche à la définition usuelle du mariage, comme le
propose l’actuel projet de loi « ouvrant le mariage aux personnes de même sexe
».
En même
temps, n’aurions-nous pas (« nous » : citoyens français, protestants…) en préalable à tout changement, un devoir de
mémoire à l’égard de cette histoire du mariage civil, à partir de ses sources
du XVIe siècle ? Ceci afin de prendre la mesure du changement, et de l’inscrire
dans une histoire collective et un projet collectif.
Or la
stratégie politique semble être de minimiser le changement en question, sans
doute pour contrer des adversaires qui diabolisent ce changement. On entend
ainsi, en haut lieu, que le changement ne touchera que le mariage civil : mais
en France, à la différence de la plupart des pays, le mariage civil est le
mariage, le mariage du Code civil, du pacte commun qui rassemble tous les
Français.
Et si on
lit l’exposé des motifs du projet de loi, on ne peut qu’être déçu. Les seuls
motifs énoncés dans ce texte pour changer l’institution du mariage (et par
ricochet, celle de la filiation) dans le Code civil des Français sont
1. L’évolution de l’opinion des Français, aujourd’hui majoritairement favorables à l’ouverture du mariage aux « personnes de même sexe »
2. Le souhait des « couples de personnes de même sexe » de pouvoir se marier et adopter des enfants.
N’est-ce pas un peu court ?
1. L’évolution de l’opinion des Français, aujourd’hui majoritairement favorables à l’ouverture du mariage aux « personnes de même sexe »
2. Le souhait des « couples de personnes de même sexe » de pouvoir se marier et adopter des enfants.
N’est-ce pas un peu court ?
Pour
secouer l’institution romaine et faire advenir un nouveau monde, Luther en
appelait à la parole de Dieu dans la Genèse, pour accueillir la Révolution
française dans le Code civil, Portalis invoquait le droit de la Nature,
l’histoire de France, l’idée du bonheur.
Au nouveau projet de loi sur le « mariage pour tous », ne manque,-t-il pas, au fond, un réformateur au souffle long, qui puisse entraîner tout un peuple pour espérer le rassembler ?
Au nouveau projet de loi sur le « mariage pour tous », ne manque,-t-il pas, au fond, un réformateur au souffle long, qui puisse entraîner tout un peuple pour espérer le rassembler ?
Je laisse
cette question ouverte.
Marianne
CARBONNIER-BURKARD
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