Des commentateurs et certains
ecclésiastiques considèrent que la démission de Benoît XVI est courageuse et
moderne dans la mesure où le dirigeant romain reconnaît par cet acte qu'il
n'a plus "
la force " de gouverner l'Eglise, ce qui est
rarissime dans l'histoire du catholicisme. En un mot, le capitaine fait
preuve de responsabilité politique en quittant le navire. Notre thèse est
opposée : cette démission montre l'agonie d'un vieil empire qui connaît de
plein fouet une crise majeure du pouvoir. Il convient d'abord de tirer une
leçon politique des trois démissions volontaires antérieures avant
d'apprécier la crise contemporaine du pouvoir catholique, puis de proposer
trois hypothèses quant à l'avenir de l'Eglise.
Première démission, historique s'il
en est : celle du pape Pontien au IIIe siècle. En effet, Maximin le Thrace,
lorsqu'il se fait acclamer empereur en mars 235, tourne le dos à la tolérance
et fait des chefs chrétiens la cible de ses attaques. Arrêté, Pontien est
déporté en Sardaigne. Ne pouvant plus gouverner son Eglise, il renonce à sa
fonction le 28 septembre 235. Cette démission est la première date de
l'histoire pontificale qui est attestée par les historiens du catholicisme.
Deuxième démission, celle du "
pape angélique " Célestin V à la fin du XIIIe siècle. En juillet 1294,
le moine ermite bénédictin Pierre du mont Morrone est élu au siège de Pierre
pour ses qualités spirituelles et personnelles. Mais face à son incompétence,
à sa naïveté - le roi de Naples, Charles II, l'instrumentalise -, il ne peut
plus gouverner et administrer correctement l'Eglise. Après discussion avec
les cardinaux, il donne sa démission le 13 décembre 1294.
Troisième démission et dernière en
date avant celle de Benoît XVI : celle de Grégoire XII au début du XVe
siècle. Alors que la papauté est divisée entre les papes à Rome et les
antipapes avignonnais, trois prétendants peuvent revendiquer le siège
pétrinien. Le concile de Constance (1414-1418), après avoir déposé les
antipapes Jean XXIII et Benoît XIII, obtient in fine la démission de Grégoire
XII pour mettre fin au Grand Schisme d'Occident. Ne pouvant plus gouverner
l'Eglise, il se retire en 1415 et décède en 1417.
La leçon politique de ces trois
démissions volontaires est que l'acte de renonciation est commis à chaque
fois en situation de crise majeure du pouvoir catholique romain. Le premier
pape est chassé par l'empereur et ne peut plus gouverner l'Eglise depuis la Cité
éternelle ; le deuxième se fait manipuler par le roi influent à Rome à
l'époque ; le troisième n'arrive plus à gérer les déchirures internes qui
touchent le gouvernement de l'Eglise lui-même.
Quid alors de la démission de
Benoît XVI ? Les raisons de santé avancées sont l'arbre qui cache la forêt :
comme les trois précédentes renonciations, elle reflète une crise majeure du
pouvoir catholique, mais cette fois-ci, en régime de modernité. Qu'est-ce que
le gouvernement catholique ? Le catholicisme est la conjonction paradoxale de
deux éléments opposés par nature : une conviction - le décentrement selon
l'amour - et un chef suprême dirigeant une institution hiérarchique et
centralisée selon un droit unificateur, le droit canonique. Le Dieu des
coeurs côtoie une machine à dogme centralisatrice. L'anthropologie
catholique, c'est une institution qui essaie de mettre sous son autorité le
coeur des hommes, du ventre de la mère jusqu'au ventre de la terre. C'est
ainsi que l'Eglise catholique passe tous les âges, non sans opposition,
jusqu'à l'entrée des sociétés occidentales dans la modernité. Et là s'arrête
brusquement son développement.
En effet, alors que l'Eglise se
fonde sur une domination du sentiment par l'institution, la modernité reprend
les mêmes contenus mais cette fois-ci en les séparant méticuleusement. La
modernité peut être considérée comme la séparation des instances : séparation
des pouvoirs (législatif, exécutif, judiciaire), séparation des Eglises et de
l'Etat, séparation des sphères privée et publique, séparation des familles,
séparation des sciences et du théologique... Or, cet " art de séparation
" (Michael Walzer) repose sur une séparation
cruciale : la séparation des sentiments individuels et des institutions.
Dès lors, un choc anthropologique
s'opère sous nos yeux : là où l'institution Eglise tente d'encadrer le
sentiment des individus à partir de son centre romain depuis 1 500 ans, la
modernité vient briser les chaînons de tout contrôle institutionnel pour
faire de l'individu un être libre et souverain aspirant à devenir son propre
centre. Aussi le déphasage est-il considérable entre le principe de
gouvernement catholique - hétéronome, centralisateur et hiérarchique - et le
principe de gouvernement moderne démocratique - autonome, pluraliste et égalitaire.
Dès lors, après Benoît XVI, trois
hypothèses sont envisageables. Soit l'Eglise s'ajuste à la modernité - plus
que ne l'a fait Vatican II - en modifiant son mode centralisé et "
moralisant " le contrôle des sentiments des individus, mais peut-elle le
faire au point de défigurer ce qui la constitue ? Soit un gestionnaire -
italien de préférence - confirme le repli identitaire au sein de foyers
catholiques de résistance dans les sociétés modernes et déploie son
gouvernement dans les autres sociétés extra-européennes, où les institutions
sont encore légitimes à encadrer les consciences individuelles. Soit un
personnage doté d'un fort charisme est élu - comme ce fut le cas pour Jean
Paul II -, et le navire catholique tanguera selon le conservatisme de sa
structure et le charisme de son capitaine qui obtiendra, certes, quelques
changements dans l'Eglise, mais sans pour autant changer d'Eglise.
Olivier
Bobineau
Auteur de « L’Empire des papes. Une sociologie du pouvoir dans
l’Eglise »,
CNRS Editions. (à paraître le 7 mars 2013)
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jeudi 14 février 2013
L'agonie d'un empire malade....Habile geste pour fuir la crise
Paru dans Le
Monde daté du 15/02/2013 page 18.
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Merci Bernard de nous avoir fait découvrir cet article de Olivier Bobineau.
RépondreSupprimerCette thèse me parait tout à fait intéressante. Bien sûr, à l'unanimité des observateurs, même protestants, ce Pape trop vieux a la sagesse de dire qu'il n'en peut plus, qu'il ne comprend plus, qu'il ne peut plus être à la tête d'un monde romain aussi vaste et varié.
Donc bravo à lui de remettre sa démission.
Mais à la lecture de cet article, on se rend bien compte que la "crise de foi" est plus grave et qu'il y a bien dichotomie entre l'affect et l'institution. Et ce pauvre homme dirai-je, ces pauvres hommes en Curie n'y comprennent goutte !
Au lieu de s'occuper à gérer le ventre des femmes ou à qui doivent appartenir les enfants, il ferait de mieux prendre des décisions pour faire vivre l'Eglise Catholique Romaine dans son temps et sa mouvance :
ex : le mariage des prêtres, le statut des divorcés, donner l'exemple pour prendre sa retraite (70 anc chez les prêtres, 80 ans chez les Evêques dont il est le chef).
Lutter contre la corruption, l'enrichissment démesuré,l'injustice et les scandales financiers, de chefs d'Etat ou dirigeants, même au Vatican
Bref, il reste beaucoup de travail à faire et espérons un pape canadien ou américain.
Yes, we can !
Françoise Fruhinsholz catho-pro-unie
Merci Françoise pour cet avis !
SupprimerContinuons d'espérer ensemble.
BA